Bolivie

Carlos Mesa fait son discours à la télévision.

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Mesa démissionne et exerce un chantage

 

Nous publions ci-après deux courts articles sur la situation bolivienne. L’un de la red Econnoticias ; l’autre de C.A. Udry. Red


Encerclé par la protestation sociale qui paralyse à moitié la Bolivie, le président néolibéral Carlos Mesa-Giesbert [Mesa avait le statut de vice-président et a assumé le rôle de président en octobre 2003 – voir dossier Bolivie sur ce site] a annoncé dans la nuit du dimanche au lundi qu’il renonçait à la présidence de la République et que cela deviendrait effectif au cours du lundi 7 mars [dès le mois de mai 2004 la crise était ouverte, et Mesa, pour tenter de la désamorcer avait accepté la démission du Ministre du secteur des hydrocarbures, Xavier Nogales, le quatrième responsable de ce ministère à démissionner en moins de deux ans].

Dans un message dramatique, fait à la télévision durant plus de 40 minutes, Carlos Mesa, défenseur déclaré des transnationales pétrolières a dit qu’il ne pouvait pas continuer à gouverner au milieu des blocages de routes et des multiples protestations qui se sont généralisées dans les campagnes et les villes, aussi bien contre les compagnies étrangères que contre la politique néolibérale qui paupérise la plus grande partie des Boliviens.

Les secteurs sociaux, paysans et cultivateurs de coca, en alliance avec les habitants et travailleurs des quartiers les plus pauvres des principales villes de Bolivie se sont levés pour exiger l’expulsion de la plus grande transnationale de l’eau [Aguas del Illimani, filiale de Suez-Lyonnaise des Eaux] de qui opère dans les villes de La Paz [la capitale] et de El Alto [ville auto-construire de quelques 800'000 habitants qui surplombe le cratère dans lequel se loge La Paz, El Alto est à 4'000 d’altitude]. Ils ont réclamé que soit mis fin au privilège des quelques millionnaires privilégiés qui profitent des entreprises pétrolières qui ont le contrôle de tout le gaz et le pétrole bolivien.

Evo Morales, dirigeant du MAS (Mouvement vers le socialisme – Movimiento al Socialismo), qui il y a peu de temps encore soutenait le gouvernement Mesa a déclaré: «Si ces politiciens corrompus qui défendent les transnationales veulent la guerre, nous sommes disposés à offrir nos vies une fois de plus».

«La lutte à mort pour la récupération des ressources naturelles a commencé, en Bolivie» a affirmé, de son côté, le dirigeant de la Coordination de défense du gaz, Oscar Olivera, alors que s’intensifiait une grève puissante dans la ville de El Alto, épicentre de la rébellion contre les transnationales et le régime néolibéral.

Mesa a annoncé que, il déposerait sa démission devant le Congrès national, où les milieux néolibéraux disposent d’une ample majorité ; ce dernier définira s’il accepte cette démission et comment il procédera à la mise au point d’une voie de sortie constitutionnelle. La Bolivie vit des heures d’incertitude.


***

Selon la BBC, le président de la Bolivie Carlos Mesa a annoncé ce lundi 7 mars qu’il renoncerait à la présidence. Ce fait a été confirmé à la BBC par une source interne à la présidence, au cours d’une conversation téléphonique.

Dans la nuit du 6 au 7, Carlos Mesa a affirmé sur les chaînes nationales de radio et télévision qu’il remettrait au Congrès sa démission aux premières heures du lundi. Mesa a déclaré qu’une série de protestations régionales avaient abouti à bloquer le pays.

Toutefois le président a laissé clairement entendre que sa démission n’était pas définitive, irrévocable, et que la décision finale serait prise par le Congrès. «C’est un chantage, a signalé le président de la Comission du développement économique du Congrès, Santos Ramirez, un opposant membre du MAS, toutefois à la tête de cette importante commission, le président incapable de définir un programme de gouvernement cohérent et de remplir ces engagements est obligé aujourd’hui d’utiliser le chantage. Le loup habillé en agneau se démasque, parce que Mesa fut toujours un défenseur des multinationales» ; le MAS a contribué, pour sa part, à quelques illusions sur Mesa, ce qu’il reconnaît, de fait, aujourd’hui.

Les protestations populaires mettent en difficultés le régime de Mesa, seulement 17 mois après son arrivée au pouvoir ; ce qui indique bien la profondeur de la crise institutionnelle qui marque l’ensemble des pays andins. Son prédécesseur, Gonzalo Sanchez de Lozada, avait dû quitter le pouvoir après l’échec d’une réaction répressive qui fit quelque 60 mortes.

La Bolivie traverse une crise des plus profondes. Elle a été donnée comme un exemple de réussite des politiques du FMI par de nombreux journalistes suisses qui militaient en faveur – et avec les faveurs – de l’entrée de la Suisse au FMI. Aujourd’hui, ils font silence. Déontologie helvétique de l’information oblige.

Le peuple bolivien paie encore aujourd’hui le prix d’une terrible exploitation séculaire. La fondation Patino, qui fait briller la culture à Genève, plus que le salon de l’auto, est le pur produit de cette exploitation des mineurs de l’étain par la famille qui en détenait le quasi monopole jusqu’en 1952. L’échec de la révolution bolivienne de 1952-53 a conduit le peuple bolivien dans de nombreuses impasses, au prix de dictatures et de massacres. Puis, «l’ouverture démocratique» des années 1980 c’est rapidement transformé en une ouverture néolibérale et répressive, sélectivement. Dès le milieu des années 1980, l’étain et les mines d’argent furent réduites presque à néant. Le pétrole et le gaz prirent de plus en plus d’importance. Toutefois, ils se trouvent dans la partie du pays (la vaste région dont Santa Cruz est la ville phare) qui, depuis des décennies, est tenue par un capital spéculateur et mafieux menaçant, à chaque crise, le pays de sécession. Les paysans déracinés de El Alto font grèves et luttent pour récupérer des ressources géographiquement inatteignables par eux. Il y a là la métaphore tragique d’une révolution qui bute, à chaque fois, sur le mur d’un double encerclement de la Bolivie: celui géographique d’un pays sans accès à la mer et celui de la difficile alliance entre le paupériatat (un prolétariat hyperpaupérisé) et les couches paysannes et indiennes. Cette tragédie se paie au prix fort.

Ce n’est pas la crise d’un gouvernement qui s’affirme aujourd’hui, c’est la crise d’un peuple dont l’énergie, à chaque fois renouvelée, puise dans des ressources historiques où la conscience nourrie par la tradition-mémoire orale a une place prépondérante. Un fait face auquel la gauche européanisée exprime la mécompréhension la plus totale ou l’adaptation à l’indigénisme le plus culturaliste. Cette gauche ne comprend simplement pas la profondeur du développement inégal et combiné au sein de la formation sociale bolivienne. 

Udry Charles-André

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