Bolivie

 

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Le nouveau défi

Guillermo Almeyra *

Par le passé, la Bolivie a déjà connu une autre révolution, d’autres gouvernements nationalistes, de grands mouvements de masse, des expériences de double pouvoir (COB-MNR – Central Obrera Boliviana - Movimiento Nacionalista Revolutionario en 1952 – soit syndicats-gouvernement, milices ouvrières et paysannes-Etat). Elle a également connu des réformes agraires imposées par l’occupation des terres par les paysans et même, brièvement, un autre président indigène, le Tata Manuel Belzu [Manuel Isidoro Belzu, président de 1848 à 1855], celui qui a renvoyé du pays l’ambassadeur anglais monté en croupe à l’envers sur une mule.

Mais la Bolivie n’a jamais connu des mouvements sociaux qui, en dix ans consécutifs, ont réussi à conquérir d’abord les rues (dans la guerre de l’eau à Cochabamba et celle du gaz), puis de conquérir les institutions au moyen de majorités électorales croissantes, avant de reconstruire un Etat à l’aide d’une Assemblée Constituante et, enfin, de ratifier la conquête de l’Etat plurinational et des autonomies et des droits des peuples et des communautés indigènes (en plus des régionales) au moyen de scrutins dans lesquelles ont participé plus de 90% des électeurs.

Ce processus révolutionnaire ne s’explique pas uniquement par Evo Morales, même si c’est lui qui le canalise et le soutient. L’importance du personnage de Evo s’explique au contraire par le processus lui-même, qui le pousse et auquel il obéit, mais vers lequel il doit également se hisser. En quelques années, Evo a passé de n’être qu’un des députés indigènes recevant moins de 4% des votes, à l’obtention de 20.9% des suffrages lors des élections présidentielles de 2002 ; le MAS {Mouvement vers le Socialisme) en obtenait 11.9%. Cela avant de gagner les élections présidentielles de 2005 avec 53,74% des votes, mais sans la majorité absolue dans le Congrès. Et maintenant, dans les élections générales de 2009, il a obtenu presque onze points de plus que dans les scrutins précédents (près du 65%) ainsi que le contrôle absolu de l’Assemblée Nationale, où le MAS a réussi à gagner les deux tiers des sièges.

Grâce aux mobilisations constantes et aux mesures gouvernementales nationalistes et dans le domaine social, il a désarmé, affaibli et désorganisé une opposition oligarchique qui a, y compris, tenté des attentats d’ampleur et a perpétré des tueries de paysans. Il a réussi à gagner à cette opposition une partie de ses bases sociales dans les classes moyennes urbaines et rurales, au point où la Demi-Lune (Media Luna) conservatrice est maintenant réduite aux deux départements du Beni et Santa Cruz. Jusqu’à maintenant, l’alliance sociale (symbolisée par le président aymara et le vice-président k’ara, métis et intellectuel) entre des paysans pauvres, des classes urbaines travailleuses et des secteurs plus pauvres et nationalistes des classes moyennes urbaines, s’est renforcée derrière le projet indigène et national.

Mais Garcia Linera – le vice-président – n’a pas abandonné son idée de construire le capitalisme andin avec ce qui reste du ayllu aymara [ayllu: collectivité agraire basée sur des liens de parenté, de voisinage, mais aussi sur un système de travail coopératif et de propriété collective], communautaire et avec la proto-bourgeoisie aymara et « de pollera » [petits commerçants], alors que le MAS pense en termes d’un développement démocratique, basé sur l’industrialisation et l’exportation de matières premières minières ou agricoles (soja), comme le concevait le vieux nationalisme dans le passé, y compris le MNR en 1952.

Que fera maintenant la droite vaincue, raciste, classiste et violemment opposée aux syndicats et au mouvement indigène ? Elle a perdu sa force politique, y compris sur le plan institutionnel, mais elle maintient une force économique et son alliance avec l’Eglise et l’ambassade états-unienne, ainsi que son contrôle sur les médias (ce qui n’a cependant pas empêché l’avalanche de votes en faveur de Evo, ni en Bolivie ni à l’extérieur, puisqu’à Buenos Aires les émigrés formaient, dès 3 heures du matin, des queues longues de 15 pâtés de maisons pour voter pour LEUR gouvernement).

Il ne reste donc à cette droite que le sabotage depuis le Pérou ou le Chili (où le partisan de Pinochet, Sebastian Piñera, ce Berlusconi miniature, l’emportera probablement aux élections ce dimanche). Ou alors elle pourrait préparer un attentat, même si dans le rapport de forces actuel cela pourrait être dangereux, car un tel acte mettrait socialement le feu aux poudres.

Que fera pour sa part le gouvernement, et surtout le MAS, maintenant qu’il n’est plus d’entravé sur le plan institutionnel par le sabotage de la droite au Sénat, et qu’il peut appliquer et modifier la Constitution, les nouvelles lois, en approuver d’autres, et entreprendre une très importante réforme agraire ?

Est-ce qu’il donnera les terres aux paysans et aux communautés pour qu’ils cultivent des aliments et construisent des pouvoirs locaux autonomes et autogestionnaires, pluriculturels et démocratiques ? Ou est-ce que ce gouvernement cherchera à obtenir des devises, en destinant les terres oisives arrachées aux latifundia à la production capitaliste du soya pour l’exportation ? Va-t-il promouvoir des cultures alternatives pour la consommation populaire, puisqu’il existe en Bolivie des paysans spécialisés et mobilisés, ou importera-t-il des aliments, aux dépens des ressources naturelles, en exportant plus de gaz, plus de minerais, plus de pétrole ? Est-ce que le gouvernement développera une industrie à haute intensité en capitaux, orientée vers l’exportation, ou est-ce qu’il cherchera à promouvoir les industries nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, le marché intérieur et les agro-industries paysannes ? L’idée d’étendre à la droite vaincue un pont vers le MAS et les postes étatiques ne l’aidera-t-elle pas à se réorganiser et à corrompre une partie du MAS, qui n’est pas un parti de combat mais un mélange entre une agence de placement à tous les niveaux de l’appareil étatique et un pool d’organisations corporatives dont les intérêts sont parfois contradictoires, et sans initiative politique face au Pouvoir Exécutif ?

La victoire du peuple le plus politisé de notre continent a été énorme. C’est l’occasion de frapper à chaud et d’appliquer la Constitution en ce qui concerne le domaine agraire et celui de la démocratisation de la Justice. Il ne faut pas laisser les vaincus relever la tête, et il faut préparer les vainqueurs à l’idée que la lutte n’est pas terminée dans les urnes, mais commence maintenant, dans la refondation du pays. (Traduction A l’Encontre)

* Guillermo Almeyra est professeur à l’UNAM (Mexique) et contribue au quotidien La Jornada.

(17 décembre 2009)

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