Bolivie




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Six raisons de nationaliser le pétrole

Ivan Castellon*

Nous publions ci-dessous un article traduisant les principales motivations et raisons de la revendication de nationalisation des hydrocarbures en Bolivie.

Un dur conflit politique se déroule sur la question du référendum qui doit se dérouler le 18 juillet. Un mouvement de boycott de ce référendum est lancé par divers syndicats et organisations paysannes qui se regroupent autour de la Centrale ouvrière bolivienne (COB). Ces forces ont inventé un terme: le «tramparendum» , le référendum piège – referendum tramposo –, car il ne pose pas clairement la question de la nationalisation.

La mobilisation la plus forte pour le boycott se retrouve sur l'Altiplano et dans diverses vallées. Des heurts politiques exacerbés opposent les forces sociales et syndicales en faveur du boycott et le dirigeant populaire Evo Morales qui se profile pour une place présidentielle.

Simultanément se multiplient les interventions des forces policières et militaires contre les mobilisations. La crise ouverte en Bolivie depuis février 2003 reste vive.  – Réd.

Face au refus du gouvernement de modifier les questions posées à l'occasion du référendum du 18 juillet ­– les mouvements sociaux de Bolivie exigeaient que le référendum se fasse sur une seule question: nationaliser les hydrocarbures, oui ou non – la Coordination de défense du gaz développe une campagne de collection de signatures de toute personne étant d'accord de mettre en avant une politique de nationalisation. Selon les organisateurs de cette Coordination, cette campagne constituera un référendum populaire et alternatif au référendum organisé par le pouvoir exécutif dans la mesure où elle captera le sentiment et la volonté d'une bonne partie de la population bolivienne qui pourra exprimer une décision que le référendum convoqué par le président Carlos Mesa ne permet pas.

Ce référendum populaire et alternatif se fonde sur la nécessité de nationaliser les hydrocarbures qui furent dénationalisés par Sanchez de Losada à partir de 1996 (loi 1689, loi 1731, et décret 24806). Par nationalisation, il est fait référence à un acte politique consistant à récupérer pour l'Etat bolivien toutes les réserves de gaz et de pétrole existantes, annulant ­– et dans certains cas modifiant – les 80 contrats signés avec les entreprises pétrolières transnationales.  

La Coordination de défense du gaz fournit des réponses à des interrogations telles que: pourquoi nationaliser? pour des raisons juridiques, économiques et politiques. Examinons-les.

a) Juridiques. Les entreprises pétrolières transnationales ont signé des contrats avec l'Etat bolivien qui met à mal la Constitution politique de l'Etat dans son article 137. Mais il ne s'agit pas que de cela. Une fois signés, ces contrats n'ont pas été respectés si l'on prend en considération la législation sur les hydrocarbures, sous laquelle ils sont placés. En particulier les articles 30 de la loi 1689 qui oblige les compagnies pétrolières à creuser un puits par parcelle concédée. En outre, les compagnies pétrolières ont commis des actes délictueux tels que contrebande d'hydrocarbures en direction du Chili ou du Brésil, évasion d'impôts face à l'Etat bolivien pour une valeur de 600 millions de bolivars, selon les déclarations mêmes du service des contributions bolivien. Dès lors, il est nécessaire de rétablir et d'appliquer la loi dans toute sa dimension, de telle façon à ce que la sécurité juridique ne se transforme pas en moyen de chantage aux mains de transnationales, mais devienne un droit de toutes et tous.

b) Economiques. Les sociétés pétrolières s'approprient 82% des gains, alors que l'Etat bolivien reste avec un misérable 18%. Cette répartition injuste ne peut continuer. Dès lors, il est nécessaire que l'Etat dispose de la propriété et du contrôle absolu sur les ressources naturelles (gaz, pétrole, minaux et autres), de telle manière à ce que l'excédent économique issu de la gestion des hydrocarbures et la richesse nationale soient destinés à la création d'un modèle de développement fondé sur l'équité et la justice sociale.

c) Politiques. Selon le diagnostic effectué par la Coordination de défense du gaz, le modèle néolibéral qui protège les intérêts privés et transnationaux est entré en crise. L'illusion ne peut être prolongée selon laquelle, avec ce modèle, les grands problèmes du pays seront résolus. La guerre de l'eau en avril 2000 (Cochabamba), la guerre contre le nouvel impôt frappant les salaires en février 2003 et la guerre du gaz en octobre 2003 représentent les symptômes clairs que les mouvements sociaux qui ont été à la tête de ces mobilisations ont identifié le modèle néolibéral comme étant le responsable de la vente du pays à des intérêts étrangers. Dès lors, il est nécessaire de construire un nouveau projet politique, obéissant aux principes d'organisation collective et paticipative qui répondent à une identité multiple, classiste, indigène, urbaine et rurale. Cela sera possible avec la prochaine Assemblée constituante qui devrait «nationaliser l'Etat bolivien», aujourd'hui placé sous la domination du capital transnational.

Comment nationaliser? La Coordination y répond de la sorte. Avec l'unité, l'organisation et la mobilisation populaire, avec une proposition ou un programme de nationalisation qui soit effectivement partagé et – comme le soulignait un travailleur paysan de la région orientale – avec une direction politique qui représente les organisations et les mouvements sociaux du pays. Cela signifie avec un corps social qui dispose de pieds, de mains et de têtes, ce qui signifie aussi la reconstitution du corps de Tupac Katari [leader historique de la rébellion indienne fin du XVIIIe] qui, au moment d'être démembré, a juré de revenir sous la forme de millions de personnes.

Quand nationaliser? Le processus de nationalisation a commencé en octobre 2003, quand le peuple bolivien s'est prononcé contre la vente de gaz au Chili et pour la récupération des hydrocarbures en faveur du peuple de Bolivie. Cette volonté doit être étendue et matérialisée dans tous les secteurs politiques de la Bolivie, afin de permettre une accumulation de forces en faveur de la nationalisation, jusqu'à ce que ce mot d'ordre se convertisse en «religion populaire». Ces espaces politiques sont représentés et créés par le référendum populaire (la collecte de signatures pour la nationalisation), par les élections municipales, par l'Assemblée constituante et, principalement, par les luttes directes dans la rue qui peuvent se dérouler parallèlement à l'agenda politique déjà fixé. C'est en définitive au travers des luttes directes dans la rue que pourra se concrétiser la perspective de nationalisation.

Finalement: pour quoi nationaliser?

a) pour arrêter d'acheter du gaz et du pétrole à des transnationales;

b) pour récupérer des réserves de gaz et de pétrole d'une valeur de 120'000 millions de dollars;

c) pour transformer le gaz et le pétrole sur territoire bolivien;

d) pour recréer une société nationale des hydrocarbures;

e) pour générer des fonds favorables à l'emploi, à l'investissement dans l'éducation, la santé, les routes et les services de base;

f) pour récupérer notre souveraineté et dignité nationale.

Voilà en somme le contenu de la proposition de la Coordination du gaz sur le thème de la nationalisation des hydrocarbures.

* Membre du Groupe d'appui des mouvements sociaux.

 


 

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