Brésil


Lula et le vice-président José Alencar, représentant du grand capital

Un an de gouvernement Lula: entretien avec le sociologue "Chico" de Oliveira*

L'année 2003 a suscité l'attente d'une «refondation» du Brésil, avec l'arrivée au pouvoir, pour la première fois de son histoire, d'un président issu des couches populaires. Pourtant, durant le déroulement de la première année de son mandat, l'orientation  gouvernementale suivie par Luiz Inacio Lula da Silva en faveur d'une orthodoxie conservant les liens avec le modèle libéral -  modèle qui a été approfondi par son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso - est devenue évidente. Pour analyser les directions et chemins pris par le gouvernement Lula durant sa première année d'existence,le Correio da Cidadania (Courrier de la Citoyenneté) s'est entretenu avec le sociologue "Chico" de Oliveira, l'un des fondateurs du Parti des Travailleurs qui a fait figure, au sein  du PT, d'un des principaux critiques du maintien du modèle néolibéral. CC

Correio de Cidadania (CC): Quel bilan tirer de cette première année de gouvernement ?

Chico de Oliveira: Comme je l'ai déjà dit à diverses occasions, mon bilan est négatif. Le gouvernement Lula n'existe pas, puisque dans le domaine économique, il est piloté depuis l'extérieur [du FMI à la Banque Centrale autonome, dirigée par un banquier ancien PdG international de la Bank of Boston]. Tout ce qui apparaît comme une action du gouvernement n'en est pas une; et la chute, par exemple, du risque-pays [taux d'intérêt qui doit être élevé pour attirer des capitaux, à cause du risque de défaut sur la dette publique et privée] n'est que le résultat de l'augmentation de la liquidité internationale [c'est-à-dire de la masse des capitaux cherchant à se placer dans un pays, même en profitant de taux d'intérêt plus bas que par le passé, mais qui sont nettement plus élevés toutefois que les taux d'intérêts réels - intérêt moins inflation - servi dans les autres pays]. Et donc cela n'a rien à voir avec la politique que mène le gouvernement. Le solde de la balance commerciale est le résultat de la récession interne, qui elle-même résulte d'une diminution des importations [puisque la demande des ménages et des entreprises se réduit].

Un autre domaine  de la politique du gouvernement s'est un peu singularisé: c'est la politique extérieure, sur laquelle je ne peux pas émettre de jugement négatif, même s'il faut dire que seule, cette politique n'est pas tenable.

Mais pour ce qui a trait à la politique sociale, où le PT a toujours été meilleur que les autres partis brésiliens, nous nous trouvons face à un véritable fiasco. Rien ne décolle, il y a tout juste un ensemble de politiques d'assistance fragmentaires et sans lien les unes avec les autres. Enfin, mon bilan n'est vraiment pas bon.

CC: Et pour les années à venir, qu'attendez-vous ?

CO: Je ne m'attends à rien de différent. Il pourrait même se produire une certaine croissance économique, mais cela est si erratique et indépendant qu'elle n'est pas soutenable; une année, nous pourrions avoir une croissance de 4% du Produit intérieur brut (PIB) et, une autre année, cette croissance pourrait chuter de 1%, en raison de nos conditions de vulnérabilité et de dépendance financière extérieures.

CC: Il existe parmi les politiciens, les intellectuels et les militants, des gens qui pensent que le gouvernement se trouve  actuellement dans une situation où des courants se disputent en son sein (em disputa) et qui considèrent que l'importance des mouvements sociaux est grande, ceux-ci pouvant infléchir le gouvernement vers la gauche. Que pensez-vous de cela ?

CO: Je ne pense pas que le gouvernement soit encore dans cette situation de conflit entre courants. Il l'a été. Mais la direction hégémonique du gouvernement  a été rapidement définie: je ne vois aucun mouvement social qui soit actuellement d'un quelconque secours dans les débats portant sur les options du gouvernement Lula.

Tout le monde ne parle que du MST (Mouvement des Sans-Terre), voulant laisser aux Sans-Terre l'énorme responsabilité de faire pencher la balance du côté des réformes progressistes. Je crois que le MST fait sa part, mais que tout seul il n'aura pas cette force. Les autres mouvements sociaux quant à eux ne possèdent pas la capacité de s'opposer aux politiques du gouvernement et le mouvement des fonctionnaires, qui a été érigé en ennemi public numéro un, est complètement abattu. Le mouvement syndical également n'avance aucune revendication, et certains points de la réforme des retraites, par exemple, qui pourtant avaient été approuvés même par  la CUT (Centrale Unitaire des Travailleurs), n'ontmême pasété acceptés par le gouvernement.

CC: Serait-on en train d'assister à l'émergence d'un populisme d'un genre nouveau avec le gouvernement Lula, conformément aux analyses que vous avez faites durant les derniers mois ?

CC: C'est cela. Mais c'est moins une décision d'orientation politique qu'une contingence due au fait que sont menées des politiques fragmentaires, qui jouent avec le clientélisme et qui ne sont pas universelles; une contingence due également au fait que les mouvements sociaux sont fortement ébranlés et que la base sociale du PT, qui est traditionnellement la classe des salarié·e·s et des ouvriers industriels, a subi une forte érosion au cours de ces dernières années.

Le populisme surgit donc comme une espèce de justification et de légitimation de l'Etat, mais qui n'est pas voulu par les politiciens eux-mêmes. Il ne s'agit pas d'un populisme traditionnel, comme il fut le cas depuis les années 1940 jusqu'au coup militaire de 1964. Ce dernier se définissait par l'inclusion, par la voie autoritaire, de la classe laborieuse dans la politique.

Il s'agit maintenant d'une espèce de néopopulisme, qui se concrétise par l'exclusion de la classe des travailleurs hors du champ de la politique et qui est présente dans toute l'Amérique Latine.

Le style de Lula lui-même va également fortement dans cette direction, lui qui veut parler au-dessus des classes, au-dessus des catégories, qui veut s'adresser directement au peuple, ce qui, dans le langage sociologico-politique, s'appelle du populisme.

CC: Vous avez interprété le cours des événements ,comme se produisant au-delà de du changement du PT comme parti, estimant que  la conjoncture actuelle est le fruit de l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle classe sociale liée aux fonds de pensions. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

CC: Ce n'est pas exactement le fruit de l'arrivée au pouvoir de cette classe, qui ne fait qu'achever un long processus, contradictoire et obscur. Il ne s'agit ni  de bourgeoisie, ni de prolétariat ni encore de cadres traditionnels des grandes entreprises, mais d'une nouvelle classe ayant une autre fonction dans le développement du capitalisme de la périphérie. Quand cette classe arrive au gouvernement, celle-ci subit, pour utiliser une métaphore du règne animal, une métamorphose, de la même façon qu'un papillon qui a achevé son évolution.

CC: Entrevoyez-vous une quelconque issue au scénario actuel ?

CO: Non. Pour ma part, j'ai cessé d'étudier et d'observer les processus structurels à moyen et long  terme. Nous pensions que le néolibéralisme était en déroute, alors qu'en réalité toutes les valeurs qui sont les nôtres sont néo-libérales.

Ce qui a été mis en déroute, c'est peut-être une certaine conjoncture spécifique des politiques économiques, qui ont été vaincues en Argentine, au Brésil, au Venezuela et dans presque tous les autres pays d'Amérique Latine.

Mais en ce qui concerne l'orientation structurelle, la dépendance à l'égard du capital financier extérieur [impérialiste], le rétrécissement du pouvoir régulateur de l'Etat et la valorisation des icônes du marché, le néolibéralisme est en pleine santé, puisqu'il a réussi à engloutir même le gouvernement Lula. Cela n'est pas du pessimisme, il ne s'agit que d'analyser un peu le comportement des économies et des sociétés. Il existe des situations dans lesquelles l'optimisme n'est d'aucun secours.

*Des interventions de Chico de Oliveira peuvent être trouvées sur ce site.

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