Brésil

«Lula n'est pas un populiste», déclare F.H. Cardoso

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Nous publions ci-dessous la traduction d'un article qui, à la fois, permet de connaître le jugement de F.H. Cardoso sur son successeur Lula et de montrer les opérations en cours dans certains cercles des élites dirigeantes latino-américaines (cf. note 1). Réd.

Noelia Sastre*

«Je ne crois pas que Lula soit un populiste», a affirmé hier l'ex-président brésilien Fernando Henrique Cardoso, à propos de l'actuel représentant de son pays, Luiz Inacio Lula da Silva.

«Il est important pour le Brésil d'avoir un ex-syndicaliste comme président. Lula,toutefois, est dans un processus d'apprentissage.» Il a besoin de temps pour transformer la société puisque la politique est «un processus et non un acte», a poursuivi Cardoso qui intervenait dans le séminaire Les voix des dirigeants latino-américains, séminaire organisé par l'ancien ministre des Affaires étrangères du Mexique, Jorge Castaneda1, à l'Université de New Yort (NYU). Fernando Henrique Cardoso a passé en revue les avancées sociales, économiques et politiques de l'Amérique latine au cours des dernières décennies. Il fut précisément un des acteurs de cette histoire récente grâce à son passage à la présidence du Brésil entre 1995 et 2002. Il est de plus un des membres de ladite «troisième voie» [pour faire référence à Tony Blair, au New Labour et aujourd'hui au New PT].

De fait, Cardoso a parlé à nouveau de ce courant qui a été appuyé par Clinton, Jospin, ex-premier ministre du PS en France, Blair, Gutierrez, militaire président de l'Equateur, et Lagos, président du Chili, particulièrement dans sa variante latino-américaine.

«Conjuguer la présence des marchés financiers avec le rôle toujours plus protagoniste des organisations civiles2 est la meilleure solution pour nos pays», a affirmé Cardoso.

Cardoso croit qu'il «est essentiel que l'Etat s'ouvre à la société, crée une solide culture civile qui dépasse les vieilles idées de la gauche traditionnelle3», de là l'importance de la troisième voie.

Pour ce qui a trait aux politiques économiques de la gauche et de la droite, Cardoso croit que la politique de Lula n'est pas très différente de celle de ses prédécesseurs [lui entre autres], comme ne l'est pas celle de Fox [le président actuel de Mexique] par rapport à celle de Zedillo [Ernesto Zedillo Ponce de Léon, élu président en août 1994 à la tête du PRI, avec, officiellement, 48,77% des voix].

Cardoso continue ainsi: «Lula est un orthodoxe [c'est-à-dire un néolibéral] du point de vue économique... Il dispose de peu de marge de manoeuvre face aux diktats du marché. Je rappelle qu'aujourd'hui il n'y a pas de viabilité pour les économies fermées.» Pour Cardoso, qui a affirmé à plusieurs occasions qu'il ne voulait pas critiquer son pays ni son président, un des grands acquis de Lula consiste dans le fait «qu'il s'est rendu compte de cette situation et qu'il a développé des politiques responsables», prenant ses distances avec le radicalisme qu'espéraient grand nombre de gens lorsqu'il gagna les élections.

Cardoso a rappelé que Lula et lui luttèrent côte à côte contre la dictature [des militaires brésiliens]. L'ex-président n'eut que des bonnes paroles pour décrire l'activité de Lula lors de la première année de son mandat: «Lula fait son apprentissage, ses politiques économiques sont responsables et c'est un démocrate», a-t-il conclu.

Les étudiants du campus de la NYU ont pu parler avec Ernesto Zedillo, avec le président de la firme Telefonos de Mexico4 et avec l'écrivain péruvien Vargas Llosa5.

Le prochain invité au séminaire dénommé Les voix des leaders latino-américains sera l'écrivain mexicain Carlos Fuentes.


1. Jorge G. Castaneda est le fils d'un ancien ministre des Affaires étrangères du Mexique, Jorge Castaneda Senior, décédé en 1997. Ce dernier développa des initiatives dans le sens d'une liaison particulière du Mexique avec l'Amérique centrale et chercha même à trouver une solution de paix en 1982 dans le conflit entre les Etats-Unis, la Contra et la Nicaragua sandiniste. Ce plan fut miné par l'administration Reagan. Son fils a fait une partie de ses études à Genève, puis à Standford University et a passé un doctorat à la Sorbonne. Il enseigna plus tard à l'UNAM (Université du Mexique). Dans les années 1970, il était proche, si ce n'est plus, du PC mexicain. Il écrivit un livre très favorable à la révolution sandiniste du Nicaragua. Ce livre est moins connu que les nombreux ouvrages commis dans les années fin 1980 et 1990. Issu d'une grande famille du parti unique historique du Mexique, le Parti révolutionnaire institutionnel, Jorge Castaneda Junior a développé tout un plaidoyer en faveur de la gouvernabilité en Amérique latine, décrivant l'impasse de «la lutte armée», à laquelle il assimilait l'essentiel de la gauche radicale. Il présenta le retour «de la démocratie en Amérique latine», mettant entre parenthèses la répression massive non seulement contre la guérilla mais contre le mouvement populaire, comme un processus de maturation naturelle de ces formations sociales. Parmi les livres les plus connus, il y a Companero la vida y la muerte de Che Guevara, 1997, The Mexican Shock: its Meanings for the US, 1995, et, en 1993, un livre quelque peu oublié, pas par hasard, The Case Against Free Trade: GATT, NAFTA and the Globalization of Corporate Power, autrement dit un plaidoyer contre l'ouverture des marchés en faveur des grandes transnationales. Jorge G. Castaneda a rejoint le gouvernement du président mexicain Vicente Fox, la tête du PAN, Parti de l'action nationale, qui gagna les élections contre le PRI. Fox représente la bourgeoisie industrielle du nord du Mexique qui a accepté l'ALENA (le marché commun du Canada à la frontière de l'Amérique centrale). Jorge G. Castaneda a démissionné de son poste de ministre des Affaires étrangères en 2003. Il prépare une campagne pour les élections présidentielles de 2006, sur la thématique démocratie, droits, ouverture contrôlée, etc. Il ne manquera pas de développer un discours de réforme à la Lula, pour capter l'électorat du PRI, du PRD (Parti de la révolution démocratique, fondé en 1989 par Quauhtémoc Cardenas, fils du grand Cardenas des années 1930). En synthèse, l'organisateur de ce séminaire, qui a son entrée régulière dans la grande presse américaine (New York Times, Los Angeles Times, Newsweek), qui a été et est professeur invité à Columbia, Harvard, Princeton, représente une des voies envisagées par un secteur bourgeois latino-américain qui veut négocier une relation pas trop subordonnée avec l'impérialisme américain, et qui, dans cette perspective, cherche à consolider une alliance nationale avec des secteurs populaires. En un mot, ce que Lula représente pour une couche importante du capital brésilien. - cau

2. Cela renvoie à l'utilisation mythologique de la notion de «société civile» qui se concrétise, en réalité, sous la forme du rôle des ONG (organisations non gouvernementales) comme substituts des quelques fonctions sociales de l'Etat - affaibli par les politiques brutales d'austérité - et par le rôle de prétendu budget participatif qui correspond à l'autogestion de la répartition de la pauvreté, de la part ridicule de la richesse attribuée aux masses paupérisées... cela afin de ne pas pointer le doigt sur la question de la propriété privée et de l'appropriation sociale. - cau

3. On se demande pourquoi Cardoso a si fortement renforcé le rôle des militaires au Brésil, entre autres dans la région amazonienne, dans les années de sa présidence, et pourquoi il a surtout ouvert le Brésil à l'acquisition par des transnationales des ressources de ce continent dans le continent latino-américain. Est-ce une forme de l'ouverture de l'Etat à la société civile? - cau

4. Tel Mex, qui ne dispose plus d'une position de monopole au Mexique, un marché très envié par les grandes transnationales de la téléphonie; Tel Mex est en partenariat avec Microsoft, elle est contrôlée par le milliardaire mexicain Carlos Slim Helu. cau

5. Ecrivain à l'oeuvre prolixe, mondialement connu, dons le livre le plus remarquable, La faim du monde, paru chez Gallimard, a été plagié d'un scénario de film portant sur un mouvement messianique au Brésil. Cela n'a pas empêché Vargas Llosa de recevoir le Prix du libéralisme, dans le sens de Von Hayeck, par la grande fondation Max Schmidheiny qui se situe dans le sillage direct de la Société du Mont-Pèlerin. Cette fondation, en 2003, a décerné le Prix de la paix à Kofy Annan. En 2001, à l'Université de Saint-Gall, elle offrait son Prix de la liberté, de 1 million de francs, à Lennart Meri, président de la république d'Estonie. cau

* Article publié dans le quotidien mexicain El Universal,20.1.2004.

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