Brési

Miguel Rossetto, à droite,. reçoit
le ministre de l'Integration nationale
Ciro Gomez, à gauche
Heloisa Helena prend la parole,
le 14 décembre 2003, avant son
expulsion du PT

Entretien avec la sénatrice Heloisa Helena*

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L'entretien d'Heloisa Helena que nous publions ici doit être mis en relation avec l'ensemble des derniers articles sur le Brésil qui se trouvent sur le site de "à l'encontre". En particulier, il faut mettre en rapport cet entretien d'Heloisa Helena, une figure politique attachante et une femme de convictions profondes et raisonnées, avec la déclaration de la Coordination de la Démocratie socialiste (DS), le courant qui se caractérise, lui-même, comme étant la gauche du PT. Dans cette déclaration, il est difficile de trouver le ton et les convictions d'Heloisa Helena. Il est aussi impossible de trouver une allusion à Heloisa Helena et à son option politique, si ce n'est que cette option est rejetée par la Coordination de la DS. Par contre, l'option de rester au gouvernement n'est de loin pas rejetée. Y a-t-il deux faces de la DS, celle d'Heloisa Helena et celle du ministre du Développement agraire Miguel Rossetto? Il serait injurieux de parler du DS Janus. Un courant politique cohérent n'est pas un Janus bifrons, il a un visage, peut-être, suivant l'angle de vue, avec différents profils. En réalité, un front domine: celui élevé de Miguel Rossetto, partie prenante d'un ministère décisif pour les masses paupérisées du Brésil, dans un gouvernement à la politique conservatrice, comme le dit le sociologue Emir Sader (voir article sur ce site, 3 février 2004).  C.-A. Udry


"Nous sommes convaincus de la nécessité de travailler ensemble à la construction d'un parti qui soit une alternative politique qui protège la gauche et qui ne soit pas prisonnier des immondes geôles du pouvoir."

"Nous pourrions être en train de manger au riche banquet que s'offre le pouvoir du Palais de Planalto[palais présidentiel, du président Lula],mais nous préférons construire cette alternative."

"C'est la politique économique qui détermine l'échec de la campagne "Faim Zéro", de la réforme agraire, de l'éducation et de la santé. Pour remplir le ventre des banquiers, il faut vider les assiettes des Brésiliens."

Malgré une journée pleine à craquer, la sénatrice Heloisa Helena a trouvé une brèche dans son agenda du jeudi soir. Elle s'est entretenue par téléphone avec le Jornal do Brasil (JB) durant une heure et demie, depuis son appartement de fonction dans la Asa Sur, où vivent les sénateurs. "Certains n'habitent pas ici, mais plutôt dans le Lago Sur", lance-t-elle, faisant référence au quartier où se trouvent les résidences les plus luxueuses de Brasilia [capitale du Brésil].

Cette professeure de statistique [antérieurement infirmière, qui aborda la statistique à partir de la prévention épidémiologique] de 41 ans n'a pas d'idoles politiques. Toutefois, les références politiques qui l'inspirent sont Rosa Luxemburg, révolutionnaire polonaise du XXe siècle, Trotski et Che Guevara.

La sénatrice rend visite tous les mois à sa mère, Helena, à Maceio [capitale de l'Etat d'Alalogas]. Helena, dont les parents étaient des travailleurs ruraux, est restée orpheline à 14 ans. Elle a élevé ses frères "en tenant par le manche la faucille" pour couper le blé.

Heloïsa n'a pas connu son père, qui est décédé d'un cancer quand elle avait à peine 3 mois. Un des repères qu'elle a en elle est la lutte qu'a menée sa mère pour élever ses trois enfants, dont un est mort assassiné. Elle a eu deux maris: le père de ses enfants et "un militant du PT", il y a environ trois ans.

Elle considère que les deux ont une place importante dans sa vie. Aujourd'hui, elle est seule: "J'ai trop à faire pour en avoir un autre", plaisante-t-elle, se souvenant avec tendresse du fait qu'elle a été la mère de lait de la fille aveugle d'une amie d'enfance.

Le seul moment où elle laisse percevoir un style pamphlétaire et coupant, c'est lorsqu'elle évoque la pauvreté et les difficultés qu'elle a connues pendant son enfance. Maintenant, son ton s'adoucit.

Ses relations avec les deux gamins, comme elle appelle ses fils de 20 et 17 ans, sont très bonnes. "Ils sont généreux", assure-t-elle. Elle regrette juste le peu de goût qu'ils ont pour les études: "Malheureusement ils sont mangés par les ordinateurs."

Le seul moment auquel la sénatrice parut un peu déconcertée, c'est lorsqu'il a été question de ses cheveux, qu'elle veut absolument garder attachés. Elle raconte qu'elle a toujours eu des cheveux longs et qu'elle a commencé à les attacher lorsqu'elle a dû en tant que mère s'atteler à des tâches telles que l'allaitement, la lessive et les déplacements en bus avec les petits. Aujourd'hui, elle estime qu'elle est "super habituée" à cela. Elle ne défait ses cheveux qu'au moment d'aller dormir. Lorsqu'on lui a demandé de poser avec les cheveux libres pour illustrer l'entretien, elle a répondu, méfiante: "Comment pourrais-je faire cela? ce n'est pas une condition acceptable... En plus, mes cheveux n'ont rien de particulier, c'est juste une longue chevelure, qui vient de l'intérieur..."

- Comment avance le nouveau parti de gauche?

D'abord, il y a eu une réunion de travail de quelques groupements de gauche pour définir les points communs tels que la démocratie interne. Maintenant, il y aura les assemblées plénières de préparation pour les forums de débats qui se tiendront du début mars jusqu'en juin 2004. Il existe beaucoup d'obstacles dans la législation électorale, c'est pourquoi je dis que nous sommes en train de faire une traversée du désert. La première semaine de juin, nous voulons tenir notre premier congrès, et ensuite nous devrons récolter les 500'000 signatures pour obtenir l'enregistrement définitif. Cette loi est récente, et aucun des partis existants n'a eu besoin de passer par là. C'est une tâche herculéenne, mais j'ai l'habitude du soleil brûlant du "sertao" [zone semi aride du Brésil où se fait souvent un élevage intensif] de l'Alagoas.

- A quelle étape correspond la rencontre de demain [le lundi 9 février], à Rio?

Ce sera la première rencontre plénière de la région de Rio de Janeiro, à l'Université. Le nouveau parti ne naîtra pas par décret, ni par la volonté de telle ou telle personnalité politique. Nous sommes convaincus de la nécessité de travailler ensemble à la construction d'un parti qui soit une alternative politique qui protège la gauche et qui ne soit pas prisonnier des immondes geôles du pouvoir.

- Quelle est la philosophie du nouveau parti?

Nous voulons travailler ensemble à la construction d'alternatives, sauvegarder la gauche socialiste et démocratique. Nous défendrons les revendications et repères historiques de la classe travailleuse. Nous respecterons le droit aux tendances. Nous sommes ouverts à tous. Les seuls qui n'y auront pas de place sont les néolibéraux, les nazis, les racistes, les délinquants politiques. Nous pourrions être en train de manger au riche banquet que s'offre le pouvoir du Palais de Planalto, mais nous préférons construire cette alternative.

- Est-il possible de gouverner sans faire d'accord avec le FMI?

Je n'ai aucun doute à ce sujet. Je me bats pour que figure dans le programme du parti le fait que les rapports entre le Brésil et la communauté internationale ne doivent pas être déterminés par la soumission au capital étranger, représenté par les proxénètes du Fonds monétaire et par les autres institutions de financement multilatérales. Le FMI n'est pas une entité philanthropique, elle préside à la "pillantropie" [pillage] des banquiers internationaux. Il n'est de fait qu'une annexe du Trésor américain.

Le gouvernement de Lula finit par encourager les personnes qui pensent qu'il serait gravissime pour le Brésil de rompre avec le FMI. Or, il n'y a rien de grave à cela. Le gouvernement brésilien, qui a pourtant protégé le jeu sordide avec le FMI, ne renouvellera peut-être pas l'accord l'année prochaine. Une telle attitude n'a rien de révolutionnaire. La Constitution brésilienne exige en effet que la politique économique respecte la souveraineté nationale.

- Est-il possible de suspendre le paiement de la dette extérieure?

La majorité d'entre nous défend  un audit sur la dette [pour connaître comment elle a été faite, qui en a profité, sa légitimité, etc.]. Au cours de l'histoire récente du pays, des partis de gauche et beaucoup de militants importants des mouvements sociaux se sont adressés à l'opinion publique lors d'élections et avec des pétitions en proposant à la fois l'audit et le non-paiement de la dette.

Je ne comprends pas que ces gens pensent le contraire aujourd'hui - à moins qu'il s'agisse de cynisme, de dissimulation et d'un manque de scrupules politiques. Le fait d'être contre l'audit de la dette et défendre le paiement de cette dernière correspond à une position réactionnaire, conservatrice. Même Celso Furtado [un économiste brésilien mondialement réputé de l'école classique du développementisme] a proposé à Lula de préparer le pays pour un moratoire. Il faut que nous mettions un terme à cette ridicule manie de persécution qu'on essaie de légitimer dans l'imaginaire populaire.

Il faut en finir avec ce terrorisme qui consiste à promouvoir la peur. Cela sert uniquement à légitimer ce modèle raté. Cette formule ne l'a jamais emporté, où que ce soit dans le monde. Par contre, ce modèle permet la prolifération d'une minorité de parasites qui s'approprient sans légitimité aucune les efforts de la majorité de leur peuple.

- Le parti va naître avec la préoccupation de devoir survivre à la clause des 500'000 signatures d'affiliation légalisée qui va régler les élections de 2006.

Nous connaissons les difficultés. Nous sommes des survivants. Nous avons passé toutes nos vies à avaler nos propres peurs, mais nous avons appris à résister. Celui qui a vécu ce que j'ai vécu dans l'Etat de Alagoas pour construire le PT, risquant ma vie, humiliée, massacrée, ne peut rien craindre.

La clause... est bien peu de chose face aux défis que nous affrontons déjà.

- A-t-il été possible de tirer quelque chose de positif de ce processus d'expulsion du PT?

J'ai pu sentir comment le sentiment démocratique est enraciné dans le peuple brésilien depuis les personnes les plus simples jusqu'aux plus sophistiquées. Y compris les personnes qui n'étaient pas d'accord avec ma vision du monde disaient que j'avais le droit de défendre ce que je crois. Cela a été un baume pour les blessures ouvertes dans mon âme et dans mon coeur.

- Comment voyez-vous la politique sociale du gouvernement Lula?

Les mesures politiques publiques, y compris les mesures sociales, reflètent les choix économiques du gouvernement, qui a décidé de prélever 18% de la contribution créée pour la santé (CPMF1), afin d'augmenter l'excédent budgétaire primaire [l'excédent budgétaire avant le paiement des intérêts de la dette interne et externe].

L'option économique du Palais de Planalto est de saccager les coffres des ministères sociaux de 20% pour créer ladite déconnexion des recettes de l'Union [c'est-à-dire des recettes du système de l'Etat fédéral], ce qui à son tour d'assurer l'excédent budgétaire primaire.Il n'y a pas de magie.

C'est la politique économique qui détermine l'échec de la campagne "Faim Zéro", de la réforme agraire, de l'éducation et de la santé. Pour remplir le ventre des banquiers, il faut vider les assiettes des Brésiliens.

- Comment voyez-vous les élections municipales?

Le PT va connaître une croissance significative, au vu du relâchement général de la politique des alliances, dans laquelle il y a la place pour le PT, le PMDB [Parti du mouvement démocratique brésilien] de Quércia, de Jader, le PL [Parti libéral - du vice-président Alencar], le PPB [Parti progressiste brésilien] de Maluf (notoirement corrompus). Pendant cette année 2003, de bons services ont été rendus au capital étranger. Je ne pense pas qu'ils manqueront [le PT et ses alliés] d'argent pour la campagne [des municipales].

- Vous sentez-vous frustrée d'avoir été obligée de renoncer au rêve d'être maire de Maceio?

Cela a été une expérience personnelle très douloureuse. On m'avait déjà obligée à renoncer à ma candidature au gouvernement de l'Etat. J'étais en train de me préparer pour me présenter à la municipalité. Ils m'ont retiré l'usage de la liste officielle [il faut se présenter sur une liste légalisée et initialement Heloisa Helena devait se présenter sur la liste du PT]; ils ont donc empêché ma candidature, mais ils n'ont pas pu emporter ce que je pense être le meilleur de moi: mon âme libertaire.

- Avez-vous quelque chose conte la maire de Maceio, Katia Born?

Non, je n'ai rien de personnel contre quiconque. Ni contre Sarney [le leader bourgeois José de Araujo-Costa Sarney a succédé à Tancredo Neves en mars 1985; il est actuellement le bras droit de Lula pour la gestion du Congrès], qui me traite avec délicatesse et respect. Mais j'ai des divergences politiques.

- Quels sont vos rapports avec la religion?

Je suis oecuménique par nature. J'ai des amis de diverses religions, je respecte toutes les tribus, je suis catholique. Je vais toujours à l'église. J'ai beaucoup d'amis à l'intérieur qui sont des pères. La semaine passée, je suis allée quatre fois à la messe dans une seule ville, aidant dans la célébration. J'ai retrouvé la foi il y a des années, par la douleur, et je suis tout à fait convaincue. Mon expérience religieuse est avec le camarade qui est là-haut dans les cieux, et qui m'a donné beaucoup de preuves d'amour dans les moments difficiles que j'ai traversés durant ma vie.

- Vous considérez-vous comme une célébrité?

Non, ne dites pas cela, ne parlez pas de célébrité. Je suis heureuse de la tendresse et de la solidarité dont témoignent les gens. Cela me rend heureuse.

- Avez-vous souffert de la faim pendant votre enfance?

(longue pause). Je n'ai sûrement pas eu besoin de fouiller dans les poubelles, mais j'ai traversé de grandes difficultés. Tout cela m'a permis de m'améliorer. Toutes les difficultés que j'ai traversées durant mon enfance, y compris celles marquées par la pauvreté, l'humiliation, sont insignifiantes comparées à ce que les gens vivent actuellement.

Cela fait mal de voir une fillette dans la rue, vendant son corps pour une assiettée de nourriture; ou un petit qui, au lieu de pouvoir comme mes fils choisir entre le fait de manger ou de rester dans sa chambre devant son ordinateur, est en train de glisser vers la marginalité comme dernier refuge. Je suis une survivante.

1. Contribution provisoire sur les mouvements financiers. Le CPMF a été créé en juillet 1993 par le gouvernement Itamar Franco, 1992-1994, connu alors sous le nom de IPMF, Impôt provisoire sur les mouvements financiers, qui va au Trésor pour financer le déficit public. Cet impôt est connu comme un "impôt sur les chèques". Lula et le Congrès ont prorogé cet impôt jusqu'en 2007, mais son pourcentage sera abaissé dès 2005.

* Entretien publié dans le grand quotidien Jornal do Brasil,, 8 février 2004. Heloisa Helena est sénatrice de l'Etat d'Alagoas. Elle a été expulsée du PT. Elle est partie prenante de la coordination du Mouvement pour le nouveau parti de la gauche. Elle est une des signataires du texte: "Une Gauche socialiste et démocratique" (voir sur notre site, rubrique Nouveau: Brésil, "Lancement d'un mouvement pour un Nouveau parti socialiste et démocratique...", 20 janvier 2004)

 

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