Brésil

Bidonville à Brasilia (capitale fédérale de la République du Brésil)

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Un mouvement de chômeurs pour une société nouvelle

Nanda Duarte et Raquel Casiragh

Au cours de leur première rencontre nationale, des travailleurs discutent des formes d’organisation dans les périphéries urbaines.

Entre le 12 et le 15 avril  2007, le Mouvement des Travailleurs-Chômeurs (MTD), avec ses presque sept années d’existence, a organisé sa première Rencontre Nationale, à Porto Alegre (Etat de Rio Grande do Sul). La construction d’une identité nationale, qui puisse créer l’union et l’unité des chômeurs et chômeuses autour de revendications communes, a été l’un des principaux défis posés à cette organisation.

«Le MTD croit en le potentiel révolutionnaire du travailleur au chômage, un travailleur qui est si négligé par la gauche. Pourtant, c’est bien de ce chômeur que le capital a besoin pour faire pression sur ceux qui sont au travail, pour leur dire:  si tu ne veux pas de ce travail, il y en a des milliers là dehors qui le voudraient. Mais quand ces milliers qui sont dehors refuseront ce processus d’exploitation, alors ce jour-là ils pourront changer les choses», estime Diva Braga, de la coordination du MTD du Minas Gerais (Etat du Minais Gerais dont la capitale est Belo Horizonte)..

Une nouvelle organisation

La tâche de l’organisation des travailleurs urbains est plus complexe qu’elle n’y paraît. «Le milieu urbain est organisé. Mais la question est la suivante: à quelles fins est-il organisé ?» demande Mauro Cruz, coordinateur du MTD pour l’Etat du Rio Grande do Sul, en ajoutant: «Les dirigeants du mouvement avancent l’argument selon lequel la périphérie est aujourd’hui organisée par le crime, par le secteur informel ou dit d’activité hors marché et par les églises, dans la même logique de relations que celles d’exploitation capitaliste. Nous devons donc nous organiser de façon différente».

Diva Braga dénonce le tort fait par les ONG (organisation non-gouvernementale) à l’organisation populaire dans les poches de pauvreté, celles qui concentrent le plus grand nombre de sans-emploi du pays. «Dans ces lieux, l’on assiste à une action très forte du tiers secteur (activités parallèles, dites de non-profit, relevant souvent d’une forme de caritatisme)  dans le sens de créer un espace de travail précarisé, de simple occupation du temps, dans lequel la personne ne parvient pas à se considérer en tant que personne au chômage. Cela affecte la construction de l’identité de cette personne en tant que personne appartenant à une classe ainsi que sa compréhension de la nécessité de s’organiser.»

«En plus de ces structures, nous avons d’autres acteurs qui agissent dans le milieu urbain, acteurs qui se nomment trafic, milices et religions évangéliques», explique Alessandro Soares, coordinateur du MTD pour l’Etat de Rio de Janeiro, Etat où le phénomène décrit est spécialement évident. Pour lui: «Travailler aujourd’hui dans la favela signifie travailler avec des acteurs qui se trouvent en conflit l’un avec l’autre pour finir par se perdre à l’intérieur de ce qu’ils défendent.. Et il ajoute: «Quant aux églises évangéliques, elles interviennent dans cette situation de violence et de pauvreté extrême avec leurs éternelles promesses de gains ici-bas et de salut après la mort.»

Pour faire le poids face à toutes ces promesses, le MTD parie, lui, sur le travail de base. «Pas seulement en faisant des visites ponctuelles, dans le cadre d’une campagne. Mais par l’accompagnement systématique de noyaux de base dans la périphérie», explique Mauro Cruz. La méthode d’organisation conserve des différences selon les régions, régions qui disposent de l’autonomie nécessaire pour évaluer la meilleure façon de construire des espaces de lutte. Mais les principes généraux du mouvement sont identiques: travail collectif, prise en compte de la question du genre (un homme et une femme dans la direction), avec la construction d’une société socialiste comme objectif.

Une autre caractéristique du MTD, c’est la clarté avec laquelle ces principes sont présentés et discutés. Pour cela, la formation est une des préoccupations centrales dans la méthodologie du mouvement. «Si nous ne faisons pas cela, nous allons construire une masse de manœuvres, de gens venant vers nous pour des activités dont ils ne voient pas le sens», défend le coordinateur de l’Etat du Rio Grande do Sul.

Travail x Emploi

Défendre la «révolution» avec un discours vrai et sans masque renforce la construction d’une lutte consciente d’elle-même, mais la difficulté réside dans le fait que cela prend ainsi plus de temps pour l’organisation des gens et que les personnes qui vivent dans la misère désirent évidemment résoudre leur problème le plus vite possible», rappelle Diva Braga. Et Cruz d’ajouter: «Ces éléments ne constituent pas un fait d’évidence lorsqu’on pense à un mouvement de travailleurs et travailleuses sans emploi, mais c’est bien là ce qui différencie le MTD qui fait de ces questions son objectif principal. Notre lutte n’est pas pour l’emploi, mais pour le travail. Nous ne voulons pas organiser les gens seulement pour vendre leur force de travail, mais pour produire selon leurs besoins.»

L’analyse du MTD est que le chômage est une question structurelle qui ne trouve pas de solution à l’intérieur du capitalisme. «Le mouvement ne veut pas de la construction d’une montagne de voitures pour congestionner les villes, polluer notre air et pour générer plus de travail dans les moules déjà existant, en continuant la pratique de l’exploitation et de l’accumulation. L’augmentation du chômage est liée à une forme de vie que nous combattons», affirme Diva. Cela implique de dire que la revendication la plus importante du MTD est le changement radical des formes de production, à l’intérieur d’un nouveau projet de société. «Nous voulons que les travailleurs puissent vivre leur vie de la manière la plus humaine possible, en réorganisant le travail pour le bien vivre et nous pour l’accumulation», défend Diva.

Une lutte sans illusion

Quand la question touche à un projet de société, le mouvement urbain doit se mettre en relation avec le mouvement rural. Et en cela l’unité de la gauche paraît encore loin. Selon Cruz: «La majorité des mouvements, et nous en faisons partie, sont corporatistes. Ils s’organisent en tant que catégorie et construisent leur identité à partir de luttes spécifiques. L’état de déception dans lequel se trouvent les mouvements avec la gestion du gouvernement Lula peut laisser entrevoir un mûrissement dans les espaces de gauche. Certainement nous sommes-nous illusionnés sur le premier mandat de Lula. Mais au cours de ce deuxième mandat, nous sommes plus disponibles pour la lutte, sans illusion.»

Dans la conception du MTD, le défi est de réussir que les mouvements avancent avec une conscience moins strictement revendicative, trade-unioniste et plus politique sur des projets et des débats de société. Et Mauro insiste sur le fait que c’est de cette nécessité d’ailleurs que naît le MTD lui-même. (Trad. A l’encontre)

(30 avril 2007)

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