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Campement du MST: en attente de terres

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Le MST face à la «réforme agraire» de Lula

Entretien avec João Batista de Oliveira 

«Les grandes entreprises ne veulent pas produire d’aliments, elles veulent produire du profit. Seules 50 transnationales contrôlent toute la production agricole dans le monde.» Cette affirmation émane de José Batista de Oliveira, membre de la coordination nationale du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST). Selon Oliveira, le problème du prix des aliments, en hausse dans le monde entier, est lié à la spéculation et à l’utilisation d’une partie de la terre pour produire de l’éthanol: «Pour cela, ces grandes entreprises, des transnationales pour la plupart, n’ont pas comme objectif celui d’alimenter le monde, mais celui de produire des commodities [produits de base] valorisées sur le marché international», affirme le dirigeant du MST.

Le mouvement critique également le modèle agro-exportateur implanté au Brésil par les derniers gouvernements: «L’agronégoce est le partenariat entre le latifundium, les entreprises transnationales de l’agriculture et le marché financier, qui subordonne l’utilisation des terres et des ressources naturelles brésiliennes aux nécessités des grandes entreprises et de la spéculation. Si la demande se maintient à un niveau élevé, les entreprises et les investisseurs étrangers vont continuer à acheter des fazendas dans le pays, mettant ainsi  en danger  la capacité de production de nos terres et épuisant nos ressources naturelles par l’utilisation de techniques nuisibles et l’imposition d’une monoculture destructrice de la biodiversité. L’expulsion de la main-d’œuvre hors des campagnes elle aussi compromet le futur».

Les prix des aliments sont-ils en train d’augmenter à cause de l’augmentation de la demande uniquement ?

José Batista de Oliveira – Sur le fond, cela n’a rien à voir avec la demande. Le prix des aliments est en train de monter à cause de l’augmentation du taux de profit moyen dans l’agriculture, en raison de la vente de produits spécifiques, tels que l’éthanol, qui sont valorisés sur le marché international. Quand le taux de profit moyen augmente, les producteurs agricoles se trouvent face à trois options: soit se tourner vers la production de canne à sucre et d’huile végétale, soit augmenter le prix de leur production ou alors disparaître. Pour cette raison, Fidel Castro (le président de Cuba) a dénoncé, avec raison, le fait que la stimulation de la production d’éthanol dans le tiers-monde augmente le prix des aliments, non seulement à cause de la contraction des surfaces cultivées mais aussi à cause des répercussions de cette concurrence. Dans l’agriculture, le taux moyen de profit vaut pour tous les produits.

Les multinationales peuvent-elles être en train de spéculer sur le prix des aliments ou d’utiliser l’argument de l’inflation avec d’autres objectifs, afin de forcer les pays en développement à adopter des politiques économiques visant à combattre l’inflation, de fait les revenus salariaux, et cela au détriment du développement ?

Les entreprises transnationales contrôlent toute la production des principales commodities et contrôlent le commerce mondial. Dans chaque branche, nous avons au maximum dix firmes qui contrôlent la production, la distribution et le commerce. Aujourd’hui, le prix de chaque marchandise internationalisée fait donc l’objet de spéculation. Il n’y a plus de relation directe entre le prix et le coût de la production, qui est seulement une référence. La très grande influence qu’ont ces entreprises sur la production nationale et sur le commerce international est un instrument pour faire des bénéfices. L’influence de ce secteur sur la politique économique du gouvernement Lula se fait à travers la Banque Centrale qui dicte les taux d’intérêt et de change.

Quelles sont les entreprises qui contrôlent le commerce des commodities de l’alimentation ?

Le prix et le commerce du soja et des commodities agricoles en général sont manipulés par des groupes étrangers, tels que l’américain Cargill, l’hollandais Bunge, l’américano-canadien ADM, le suisse Syngenta, l’américain Monsanto et le français Dreyfuss. Dans le domaine des produits laitiers, le marché est manipulé par trois groupes seulement:  le suisse Nestlé, l’italien Parmalat et le français Danone. Dans le domaine des pesticides  et autres produits il y a également peu d’entreprises: Bayer et Basf, qui sont allemandes, et Syngenta ou Monsanto et quelques autres.

Quelle est la relation qu’entretiennent ces dernières avec le commerce d’aliments génétiquement modifiés (AGM) connus sous le terme de transgéniques ?

Ces entreprises veulent imposer les transgéniques grâce auxquels elles peuvent avoir le contrôle absolu sur les agriculteurs et sur les marges de profit du commerce international de ces produits. Imaginez que ces entreprises ont le culot d’imposer à l’agriculture des semences modifiées génétiquement afin que les agriculteurs soient contraints  d’acheter tel produit agrotoxique spécifique qu’elles seules vendent. Et, au-delà de cela, ces entreprises perçoivent des royalties de la part des agriculteurs pour avoir le droit d’utiliser «leurs» semences qui ont été enregistrées au titre de propriété intellectuelle privée.

Comment donc ?

Ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui produisent les semences, mais pour reproduire le soja transgénique de la Monsanto, qui ne produit pas autant de semence, ils doivent payer des royalties chaque année.

Jusqu’à quel point la production conventionnelle peut-elle être augmentée afin de faire face à la demande croissante d’aliments dans le monde ?

Les grandes entreprises ne veulent pas produire des aliments, elles veulent produire du profit. Près de 50 entreprises transnationales contrôlent toute la production agricole dans le monde. Ici. au Brésil, environ 50 entreprises contrôlent presque tout le commerce agricole national, à savoir 30 entreprises multinationales et 20 brésiliennes. Celles-ci n’ont pas pour objectif d’alimenter la population, mais de produire des commodities valorisées sur le marché international.

Le Brésil s’enrichit-il à travers l’agronégoce ?

L’agronégoce, c’est le partenariat entre le latifundium, les entreprises transnationales d’agriculture et les marchés financiers qui subordonne l’utilisation des terres et des ressources naturelles brésiliennes aux nécessités des grandes entreprises et aux opérations spéculatives. Si la demande se maintient élevée, les entreprises et les investisseurs étrangers vont continuer à acheter des fazendas [grandes fermes] dans le pays, compromettant la capacité de production de nos terres et épuisant nos ressources naturelles par des pratiques techniques qui compromettent le futur de la nature.

L’imposition de la monoculture détruit la biodiversité et expulse la main-d’œuvre hors de la campagne. Cela représente un danger pour notre souveraineté nationale, parce que les propri-étaires transnationaux obéissent à des intérêts dictés depuis l’extérieur et n’ont aucun type d’obligation face à la préservation de l’environnement. Ils nous exploitent au maximum pour ensuite partir avec leurs bénéfices.

Quel rôle l’agriculture familiale joue-t-elle dans ce contexte ?

Les petits agriculteurs passent par une crise de manque de débouchés et de contrainte concurrentielle sur des prix. La population n’a pas les moyens d’augmenter sa consommation de fromage, de pain, de lait, de joghurt, de viandes ou de conserves produites par ce secteur. La petite agriculture ne peut pas avancer sans un projet de développement national ayant comme priorité le renforcement du marché interne et la distribution de la richesse au moyen d’une industrie nationale capable de soutenir la création d’emplois et de richesse pour le peuple. Nous avons besoin d’un nouveau modèle agricole basé sur la petite et moyenne propriété, sur la priorité donnée à la production d’aliments pour le marché interne, sur la création d’un nouveau modèle productif à la campagne, sur l’adoption de techniques de production qui respectent l’environnement, sans produits agricoles toxiques.

Si réellement la demande est en train d’augmenter plus que la production, les transgéniques pourraient-ils alors devenir une bonne option ?

Non. Les transgéniques ne sont pas simplement des organismes génétiquement modifiés, mais également des produits créés dans des laboratoires qui placent l’agriculture dans les mains du monde financier et industriel. Nous ne nous trouvons ainsi plus face à l’agriculture traditionnelle, mais face à des groupes qui se servent des transgéniques pour contrôler les semences et imposer l’usage des engrais et des pesticides qu’ils produisent. Les transgéniques remettent aux transnationales la responsabilité d’améliorer et de cultiver les semences, alors que cette fonction appartenait auparavant aux paysans et aux peuples autochtones. En plus de cela, il n’existe pas d’études prouvant que ces produits ne causent pas de problèmes de santé.

Comment le mouvement auquel vous appartenez évalue-t-il la politique du gouvernement en ce qui concerne la réforme agraire en 2007 ?

La politique de réforme agraire du gouvernement Lula a été insignifiante en comparaison avec l’offensive du capital sur l’achat de terres et sur le contrôle de la production agricole dans le pays. Les chiffres de l’année 2007 confirment notre analyse selon laquelle la Réforme Agraire a cessé de constituer une priorité pour gouvernement Lula, qui a fait le choix de la monoculture afin d’exporter l’agronégoce, et qui concentre la terre et détruit l’environnement pour le seul bénéfice d’entreprises étrangères et de quelques latifundistes. Le gouvernement est en conflit avec les quelque 150 mille travailleurs ruraux de notre mouvement qui sont en train d’occuper des terres à travers tout le pays et il doit maintenant honorer ses engagements historiques concernant la Réforme Agraire et le combat contre la pauvreté dans les campagnes.

Si, d’un côté, tous les chiffres désignent l’année 2007 comme étant la pire de la gestion Lula, d’un autre côté, le Ministère de l’Agriculture (MDA) lui affirme que 2007 a été  l’année où l’on a le plus  investi en terme de qualité dans la réforme agraire au cours des 10 dernières années. L’argument du MDA tient-il ?

L’augmentation des investissements faits par le ministère est certes importante, mais la Réforme Agraire dépend avant tout de la volonté politique et du courage pour affronter l’agronégoce et changer la politique économique, qui, à travers les prêts de la Banque du Brésil et de la BNDES [Banque Nationale Brésilienne pour le Développement Economique et Social], n’apporte des avantages qu’aux entreprises transnationales.

Le gouvernement doit avoir  du courage et obéir à la Constitution en désignant les terres où l’on ne respecte pas la législation sur le travail et sur l’environnement, ce que font les producteurs de canne, et aller jusqu’à exproprier ces terres  pour les affecter à la Réforme Agraire. L’achat et la reprise de surfaces publiques improductives doit se poursuivre au moyen de l’instrument le plus fort qu’ait une politique foncière voulant inverser le mouvement de concentration des terres dans le pays: l’expropriation.

Ces ressources du Ministère de l’Agriculture ont-elles été utilisées selon un modèle de réforme agraire qui satisfait votre mouvement ? Si non, quelles sont vos principales critiques à l’égard de ce modèle ?

Le problème n’est pas la manière dont le ministère investit ses ressources, mais le rôle que le gouvernement veut faire jouer à la campagne et à l’agriculture. En 2007, le gouvernement fédéral a payé R$ 160,3 milliards en intérêts, soit quatre fois plus que tout ce qu’il a dépensé dans le social et qui correspond à 6,3% du PIB (Produit Interne Brut). Il a ainsi offert l’argent payé par les impôts de toute la société – et avant tout ceux des salarié·e·s – aux marchés financiers et aux spéculateurs qui investissent justement dans les entreprises transnationales de l’agriculture. Le ministre Guilherme Cassel veut ignorer ce transfert brutal de richesse en direction des entreprises de l’agronégoce quand il évoque avec fierté l’investissement réalisé l’année passée.

Quelle devrait être la position du MST face à la lenteur dont fait preuve le gouvernement pour réaliser la réforme agraire ?

Le MST et tous les mouvements de la Via Campesina au Brésil vont continuer à mener la lutte, par des occupations de terres et des protestations afin de dénoncer la destruction environnementale et la concentration de terre au profit de l’agronégoce. En 2007, nous avons organisé de grandes mobilisations. Nous allons poursuivre notre travail de conscientisation de la population et alerter sur ce danger de dénationalisation de notre agriculture. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à avancer dans la résolution des problèmes concrets des travailleurs. Nous espérons donc que les mobilisations de cette année seront encore plus fortes et qu’elles pourront opérer des prises de conscience jusque dans le rang du gouvernement Lula. (Traduction A l’Encontre)

(17 février 2008)

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