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Résistance ouvrière et boom chinois

John Chen et Michael Liu *

Les contradictions existant au cœur même de l’économe chinoise sont en train de conduire autant à des protestations qu’à la répression. John Chen et Michael Liu examinent quelles sont les perspectives à envisager pour la croissance d’un nouveau mouvement des travailleurs .(réd)

Le 27 novembre 2007, environ 1500 travailleurs ont bloqué la principale route nationale conduisant hors de la ville de Dongguan, une ville du sud de la Chine [province de Guangdong]. Ils travaillent pour Alco, une très grande compagnie transnationale basée à Hong Kong, qui produit des appareils électroniques de consommation.

Les travailleurs sont principalement des migrants intérieurs qui viennent de la campagne et qui gagnent 106 CHF par mois, ce qui représente le salaire minimum pour Dongguan.

Les jeunes travailleurs ont cessé le travail après que la compagnie – désignée comme l’une des « meilleures » compagnies d’Asie par le magazine étatsunien des managers Forbes – a imposé une augmentation de 75% des prix de la cantine.

Malgré un récent adoucissement des attitudes de la police face aux grévistes dans ce pays au Parti unique, les forces de loi et de l’ordre se sont senties obligées d’arriver avec des chiens, des bâtons et des boucliers anti-émeutes afin de déloger les travailleurs de la route principale.

Mais la direction, qui a été alarmée par  la détermination des travailleurs et par la possibilité d’une escalade – et sans aucun doute appuyée par des officiels crispés du gouvernement – a cédé en annulant l’augmentation du prix des repas.

A des milliers de kilomètres de là, dans la province de Shandong, à peu près à la même heure, ce sont des centaines de travailleurs du pétrole de l’entreprise Qilu Petrochemical Corporation qui faisaient la grève pour une augmentation de salaire.

Des anciens salariés de la compagnie, dont la vie de travail a brusquement été interrompue par les licenciements de masse qui ont accompagné la privatisation partielle de l’entreprise en 2001, ont rejoint le piquet tenu par les ouvriers devant la direction de la compagnie.

La revendication salariale des grévistes a lieu dans un contexte de forte d’inflation [officiellement plus de 12% sur un an] et de profits records engrangés par la compagnie, profits dus essentiellement à des prix du pétrole  élevés. La police, elle, regardait, mais n’a rien entrepris contre les grévistes. Les travailleurs de la Qilu sont surtout des ouvriers locaux qui sont, par tradition, fiers de construire le « socialisme » depuis la révolution de 1949, et ils gagnent entre 152 CHF et 302 CHF par mois.

Ce que les dirigeants chinois craignent le plus, c’est le potentiel d’unité existant entre les deux moitiés d’une classe ouvrière qui s’étend très rapidement: celle des migrants venant de la campagne et celle des travailleurs urbains établis.

Ce serait idiot de céder à des prédictions, mais il y a une évidence à suggérer qu’une convergence d'intérêts entre ces deux groupes s’impose peu à peu à l’ordre du jour alors que les barrières qui empêchent cette unité sont en train de s’effondrer en raison de l’appétit de la Chine pour une croissance continue et pour l’accumulation du capital.

Un des très gros obstacles  à cette unité, ce sont les restrictions draconiennes sur le droit de résidence. Le système du hukou [l’enregistrement du domicile par ménage ; attache les gens de la campagne à leur lieu de naissance et ne les autorise à résider dans les villes que tant qu’ils ont un travail et qu’ils ont leurs papiers en ordre [ce livret d'enregistrement de résidence établi a été dès les années 1950 ; il ne joue plus le même rôle face aux migrations, mais sert à la discrimination sociale].

Au cours de la dernière décennie, le gouvernement a été forcé d’assouplir ces lois sous la pression des capitalistes qui ont besoin d’une large armée de réserve de travailleurs sans emploi afin de maintenir les salaires à un niveau bas.

Mais en même temps, autant les milieux d’affaires que l’Etat ont trouvé dans le système d’enregistrement des ménages un instrument important de contrôle qui leur permet de forcer des travailleurs trop militants à retourner dans leur campagne.

Tout au long des années 1990 et de ce début de XXIe siècle, les patrons et directeurs de ces entreprises d'Etat récemment autonomisées ont agi comme cela les arrangeait. Jusqu’à 45 millions de travailleurs/euses urbains ont été licenciés alors que 150 millions de migrants ruraux quittaient leurs champs en quête d’un travail dans les villes et les mégalopoles.

Lorsque la Chine a embrassé la mondialisation capitaliste, les politiques de l’Etat ont tout fait pour créer un environnement qui soit idéal pour les investisseurs et les compagnies transnationales.

Cela était vrai surtout dans les provinces côtières du sud et de l’est qui ont été les fers de lance des transformations économiques du pays qui est passé d’une économie produisant principalement pour le marché domestique à une économie produisant pour les marchés globaux. Il n’existe pas de protection légale pour le droit de grève et aucune liberté d’association.

Tous les syndicats doivent être affiliés à l’officielle Fédération des Syndicats de Chine. Cette organisation a été profondément impliquée dans l’élaboration des différentes législations relatives à la «protection du travail», mais l’obéissance constitutionnelle que celle-ci doit au Parti Communiste l’empêche d’essayer sérieusement que ces lois soient renforcées.

La mainmise du Parti sur la Fédération des Syndicats a fait en sorte que celle-ci n’a pas résisté à la privatisation et aux licenciements de masse qui ont eu lieu dans le secteur de l’Etat. Elle a insisté sur l’établissement de syndicats dans le secteur privé – dirigés souvent par des managers ou par leurs larbins – au lieu d’organiser les travailleurs au niveau de la base.

Cela l’a rendue incapable de contester les alliances locales entre capitalistes prédateurs et officiels ayant tout intérêt à assurer un investissement continu.

Les travailleurs eux-mêmes ont mené une résistance vive mais dispersée contre les licenciements intervenus dans le secteur de l’Etat. Un moment décisif a été celui des troubles à large échelle qui ont eu lieu en 2002 – principalement dans les gisements de pétrole d’importance stratégique – lorsque les compagnies pétrolières d’Etat ont abandonné les travailleurs à la concurrence internationale  qui résultait du fait que la Chine soit devenue membre de l’Organisation  Mondiale du Commerce (OMC).

Des troupes de l’armée ont été mises en réserve dans la ville du nord-est de Daqing lorsque plus de 80'000 travailleurs se sont réunis publiquement pendant plus de dix jours pour exiger une meilleure indemnité de licenciement.

Champs pétroliers

Ces actions ont été reproduites à un degré plus faible dans trois autres champs pétroliers au moins. Mais une combinaison de répression, de persuasion, de coercition, de divisions historiques et de promesses de salaires élevés ont dissuadé  les travailleurs du secteur de l’Etat de s’unir.

Toutefois, dans les quelques cas où ceux-ci ont agi ensemble, cela a produit une réaction violente de la part des autorités, avec des arrestations et l’emprisonnement pour les représentants reconnus, des leaders, des travailleurs.

D’un autre côté, des luttes menées par des travailleurs migrants dans des zones spéciales d’exportation et dans des villes en plein boom ont été freinées par des chefs bornés, des officiels autoritaires, des divisions internes et un manque d’expérience du fonctionnement des usines.

Dans les dernières années cependant, les conditions qui ont contribué à contenir l’émergence d’un mouvement ouvrier se sont modifiées en faveur d’un scénario beaucoup plus prometteur.

En 2004, des suppressions d’emplois ont commencé à avoir lieu – preuve parfaite de l’incapacité du capitalisme à apporter un véritable progrès dans un pays connaissant un taux national moyen de chômage de 8%.

Avec l’importance croissante du delta du fleuve Yangtze et la politique d’urbanisation du gouvernement, les travailleurs compétents et expérimentés se sont mis à manquer, et on a cherché à attirer des travailleurs depuis les provinces de Fujian et de Guangdong.

Cela a forcé les employeurs à améliorer les conditions et les gouvernements locaux à augmenter le niveau des salaires minimaux. Les organisations non-gouvernementales (ONG) qui travaillent à l’amélioration des conditions de travail notent également une augmentation générale de la conscience de leurs droits parmi les travailleurs migrants.

Le rôle des travailleurs compétents et des chefs d’ateliers a été crucial. Ils ont utilisé leur expérience et les conditions du marché favorables pour forcer les patrons à faire des concessions en organisant des grèves et des protestations.

L’on assiste également dans les entreprises privatisées appartenant autrefois à l’Etat à une réémergence graduelle de la résistance de la part de travailleurs en activité, et cela en opposition avec les batailles uniquement défensives menées par les travailleurs déjà licenciés.

Environ 7000 travailleurs du secteur du textile ont maintenu un piquet de 24 heures sur 24 pendant six semaines – ce qui constitue probablement la grève connue la plus longue de l’histoire de la Chine depuis 1949 – devant la fabrique Xianyang Huarun  [une usine textile passée aux mains d’un groupe privé important basé à Hong Kong: China Resources]. Ils se sont battus contre des nouveaux contrats diminuant les prestations, la perte de l’ancienneté, et contre des canons à eau ainsi que la police anti-émeute. Ils cherchèrent à mettre en place en système de représentation direct avec des délégués élus par la base.

Depuis que des réformes économiques ont été introduites dans le secteur agricole en 1978, la croissance de la Chine a été soutenue et spectaculaire de tous les points de vue. Après avoir dépassé les Etats-Unis en 2003, la Chine est le pays qui dans le monde a reçu le plus d’investissement direct étranger (IDE).

En 2005, la Chine est devenue la troisième plus grande puissance commerciale au monde et en 2006, le produit national brut a atteint les 2,2 milliards de dollars avec seulement les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne devant elle. Mais la politique de la « croissance à tout prix » est en train de rencontrer de sérieux obstacles. Le mouvement actif en Chine pour les droits civils (weiquan en chinois) réunit des gens de tous horizons, depuis des paysans qui se battent pour préserver leurs terres contre des développements destructeurs jusqu’à des grévistes qui cherchent à recevoir une part de la croissance du pays [avec l’appui d’avocats et d’étudiants en droit].

Le mouvement a forcé la nouvelle direction du Parti Communiste, le secrétaire Hu Jintao et le premier ministre Wen Jiabao, à changer la rhétorique du régime de la « croissance à tout prix » pour celle de la « construction d’une société harmonieuse » basée sur le « développement scientifique ».

Ce changement n’a pas apaisé le sentiment de ressentiment qui est en train de croître parmi les travailleurs et les fermiers lorsqu’ils comparent leur paupérisation croissante et  leurs vies si difficiles de travailleurs au nouveau riche chinois à la consommation ostentatoire.

La Chine est en train d’entrer dans une étape cruciale de son développement, au moment où des éléments dus à des facteurs extérieurs et intérieurs menacent de se produire en 2008. Alors que le Parti se prépare à faire la démonstration de son « économie miracle » –fondamentalement l’introduction progressive et prudente des politiques néolibérales – lors des Jeux Olympiques de Pékin, l’économie américaine est en train de vaciller.

Au début de ce mois, les banques centrales d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Angleterre ont injecté des sommes sans précédent depuis fort longtemps, pour tenter de contenir la crise du crédit [crédit que se font les banques entre elles et qu’elles font aux industries, et cela suite à l’écroulement du système des prêts hypothécaires à risque]

Un recul économique d’ampleur [aux Etats-Unis, entre autres] aurait un impact sérieux sur la croissance de la Chine basée sur l’exportation et frustrerait également les efforts faits par le gouvernement chinois pour promouvoir l’emploi et l’harmonie sociale.

Comme nous l’a récemment dit un avocat spécialiste en droit du travail basé à Pékin, « Tant qu’il y a une croissance continue, le gouvernement pourra probablement contenir les protestations. Mais s’il y a une récession, cela deviendra très difficile de gérer tout cela ».

Le célèbre « adieu » à la classe ouvrière française d’André Gorz, au soir des grandes grèves de 1968, continue de servir comme mise en garde contre les prédictions quant à la direction que prendront les luttes ouvrières. Et maintenant, la détermination croissante des travailleurs chinois pour limiter leur exploitation fait d’eux des adversaires à la mondialisation capitaliste. C’est là un défi crucial.

A l’intérieur de la Chine, une dure répression – combinée avec un héritage historique complexe – rend difficile l’émergence d’un mouvement unifié de la classe ouvrière.

Ces éléments restent les obstacles majeurs auxquels doivent se confronter la classe ouvrière et les militants. Hors de la Chine, et spécialement dans des pays tels que les pays d’Europe, les ouvriers ont gagné le droit de s’organiser, un droit souvent mis en question indirectement.

Notre tâche est de faire preuve activement de solidarité avec les luttes de nos «frères et de nos sœurs» en Chine. C’est dans l’intérêt de tous d’agir de la sorte. (Traduction et édition A l’Ecnontre)

* Les auteurs ont publié cet article dans l’hebdomadaire Socialist Worker (Grande-Bretagne)

(27 décembre 2007)

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