FMI

 

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Le FMI est toujours encore le vice-roi du monde riche

George Monbiot *

En 1992, la Suisse devient membre du FMI. Elle prend la tête de ce qui fut appelé ironiquement l’Helvetistan. Autrement dit, pour disposer de 2,8% des quotas de vote, il fallut organiser autour de «la place financière suisse» un regroupement qui faisait sens pour les Etats-Unis, dans la mesure où des pays clés de l’Asie centrale se retrouvaient: Azerbaïdjan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Pologne et l’actuelle Serbie. La Hollande conteste le quota attribué à ce groupe ; selon elle, il devrait être réduit à 2,55%. Le désaccord n’est pas résolu.

Dans la réforme présente, la part de l’Helvetistan devrait passer de 2,8% à 2,751%. Les pays d’Asie centrale ont un rôle important du point de vue des ressources en gaz et en pétrole et sont un enjeu géopolitique de plus en plus évident au cours de la dernière décennie. Les Etats-Unis jouent dans cette région un rôle fort important. La Suisse, qui situe sa diplomatie dans le sillage américain, n’a pas obtenu par hasard, au début des années 1990,  le leadership de ce regroupement étrange.

Aujourd’hui, Moscou cherche à reconsolider des positions en Asie centrale et Pékin à y placer ses pions, non seulement pour l’obtention d’accès aux ressources énergétiques, mais aussi par rapport à la stratégie d’enveloppement des Etats-Unis.

Au sein du FMI, la répartition des votes, qui est en relation avec la participation financière de chaque pays, s’élève à 1,618% pour la Suisse. Au sein de l’Helvetistan, c’est la Pologne, après la Suisse, qui dispose du quota le plus élevé: 0,641%. Selon la nouvelle répartition, la Suisse verrait abaisser son quota à 1,59% et la Pologne à 0,629%. Dès lors, si la Pologne, dont les liens avec les Etats-Unis sont étroits mais qui est membre de l’Union Européenne, sortait de l’Helvetistan, la place de la Suisse comme dirigeant un des regroupements du FMI serait remise en cause. Et, dès lors, elle n’aurait plus sa place dans l’exécutif. Diverses manœuvres sont en cours pour élargir le nombre de sièges dans l’organe de direction du FMI, cela afin de maintenir à des petits pays impérialistes dont le rôle financier est significatif – comme la Suisse ou la Hollande – leurs positions.

Il faut noter enfin que le poids pétrolier et gazier de l’Asie centrale se mesure aussi au travers des flux de capitaux non réinvestis et atterrissant dans les banques suisses, sans parler du rôle de Genève comme place en vue du trading pour ce qui a trait au pétrole ou au gaz.

On aura certainement plus d’informations, lors de la réunion de Singapour des 19 et 20 septembre 2006, sur la prétendue démocratisation du FMI que sur les véritables relations de pouvoir, entre autres financiers, en cours de réorganisation. George Monbiot, dans l’article ci-dessous souligne bien que «ce qu’on va faire passer pour une démocratisation n’est qu’une manière de garantir que la majorité mondiale des pauvres n’aura toujours rien à dire».  (Réd).

*****

Le glacier a commencé à craquer. Dans la dictature la plus puissante au monde, on commence à détecter un tout petit indice de dégel. Je ne suis pas en train d’évoquer la Chine ou l’Ouzbékistan, la Birmanie ou encore la Corée du Nord. Cet Etat n’a ni chambres de torture ni camps de travail. Personne n’est exécuté, quoique beaucoup de gens meurent de faim en conséquence de sa politique. Cette perestroïka sans hâte a lieu à Washington, dans les bureaux du Fonds monétaire international (FMI).

Comme la plupart des concessions que font les régimes dictatoriaux, la réforme semble conçue non pas pour catalyser des changements ultérieurs mais pour les empêcher. En augmentant légèrement les parts (et donc les droits de vote) de la Chine, de la Corée du Sud, du Mexique et de la Turquie, le «régime» espère acheter les seigneurs de la guerre rebelles les plus puissants, tout en tenant en respect la foule. Il a même jeté quelques petits sous depuis le balcon afin que les misérables puissent se les disputer. Mais personne, sinon les chefs des pays riches et les journalistes qui donnent le ton dans à peu près tous les journaux du monde riche, va considérer cela comme une solution adéquate aux problèmes.

Le FMI est une institution qui compte 184 membres. Il est dirigé par seulement sept d’entre eux: les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, le Canada et l’Italie. Il se trouve que ce sont là les sept pays qui (avec la Russie) ont promis de sauver le monde lors de la réunion du G8 en 2005. Cette junte justifie son contrôle en insistant sur le principe: «un dollar, un vote !». Plus grand est le quota financier d’un pays, plus il a de pouvoir pour diriger le FMI. Cela veut donc dire que le FMI est administré par ceux qu’il affecte le moins.

Une décision importante exige 85% des droits de vote, ce qui attribue aux Etats-Unis, qui en possèdent 17%, un droit de veto sur les affaires importantes du FMI. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et le Japon, ensemble, possèdent 22% des droits de vote, et chacun a un siège permanent dans le Conseil d’administration. Grâce à un arrangement bizarre qui permet aux pays riches de parler au nom des pays pauvres, le Canada et l’Italie contrôlent effectivement 8% supplémentaires. Les autres pays européens sont aussi remarquablement puissants: la Belgique, par exemple, jouit d’un droit de vote direct de 2,1% et indirect de 5,1%, soit plus du double des droits de vote de l’Inde et du Brésil. L’Europe, le Japon, le Canada et les Etats-Unis disposent d’un total de 63%. Les 80 pays les plus pauvres, au contraire, ne possèdent que 10%, tous réunis.

Ces quotas ne reflètent même plus les véritables contributions financières au FMI. Il se procure aujourd’hui la plus grande partie de son capital grâce aux remboursements de la dette de ses Etats vassaux. Mais les pays du G7 continuent d’agir comme si le FMI leur appartenait. Ils décident qui le dirige (le directeur général – actuellement il s’agit de l’espagnol Rodriguo de Rato, élu en mai 2004 – est toujours un Européen et son second toujours un citoyen des Etats-Unis – actuellement John Lipsky, qui vient de la grande banque JPMorgan Investement Bank) et comment l’argent sera dépensé. On se demande pourquoi les pays en développement prennent encore la peine de venir.

En principe, ce pouvoir est censé être contrebalancé par ce qui s’appelle le «vote de base»: 250 parts (donnant droit à l’équivalent de 25 millions de dollars en droits de vote) sont attribuées à chaque membre. Mais alors que la valeur des quotas des pays riches a augmenté depuis la fondation du FMI en 1944, celle des votes de base n’a pas augmenté. Elle est tombée de 11,3% du total à 2,1%. Le texte interne que j’ai pu obtenir grâce à une fuite organisée par cette excellente organisation appelée «Bretton Woods Project» (tout ce que nous savons du FMI, nous ne pouvons le savoir que grâce à des fuites) montre que le FMI a l’intention de se démocratiser en «doublant au moins» le vote de base. Cela résout tout puisqu’alors les 80 pays les plus pauvres pourront prétendre, entre eux tous, à 0,9% de votes supplémentaires !  Même cette concession pathétique n’a été accordée qu’après que les pays africains aient pris un risque politique en s’opposant publiquement aux propositions du FMI. Sans aucun doute, le gouvernement des Etats-Unis doit être actuellement en train de réexaminer leur statut commercial.

Tout cela est aggravé par un processus politique interne qui semble avoir été conçu en Corée du Nord plutôt qu’à Washington. Il n’y a pas de votes formels, mais seulement un «processus de consensus» contrôlé par les leaders bien-aimés du G7. Les décisions prises par chaque Etat ne peuvent pas être révélées au public, et pas non plus les procès-verbaux des séances du Conseil d’administration ou encore les «textes de travail» sur lesquels se fondent ses réformes internes. Même les rapports de l’ombudsman du FMI, «l’office d’évaluation interne», sont censurés par la direction et leurs conclusions sont modifiées pour mettre la faute des échecs du FMI sur ses Etats-clients. Inutile de dire que le FMI insiste que les Etats auxquels il accorde des prêts doivent s’engager  à la «bonne gouvernance» et à la «transparence», s’ils veulent recevoir l’argent du FMI [et s’ils veulent que ce dernier donne son feu vert pour des prêts provenant du système financier international].

Tout cela n’aurait pas tant d’importance si le FMI s’était tenu à son mandat originel qui était de stabiliser le système monétaire international. Mais après l’effondrement des accords de Bretton Woods en 1971, le FMI avait plus ou moins perdu sa mission de maintenir les taux de change et cherchait un nouveau rôle à jouer. Comme un article du professeur de Droit Daniel Bradlow le montre, quand furent amendés les statuts du FMI en 1978, ils furent rédigés de façon si vague qu’ils autorisaient le FMI à se mêler d’à peu près n’importe quel aspect du gouvernement d’un pays. Le FMI perdit son influence sur les politiques économiques du G7 pour devenir alors le vice-roi du monde riche qui contrôle tous les pays qui sont soumis à ses ordres. Il a alors commencé à diriger dans le détail leurs politiques économiques sans se préoccuper de leurs peuples ni même de leurs gouvernements. Depuis lors, plus aucun pays riche n’a requis ses services mais peu de pays pauvres ont été capables de s’en défaire.

Cela jette une intéressante lumière sur la décision d’augmenter le quota de ces quatre pays de revenus moyens, qui sera adoptée à l’assemblée du FMI à Singapour la semaine prochaine [les 19 et 20 septembre 2006]. Après que le FMI eut «aidé» en 1997 les économies en crise de l’Asie du Sud-Est, en les mettant à sac au profit des fonds spéculatifs des Etats-Unis et des fonds d’investissement, les pays de cette région décidèrent que plus jamais ils ne se permettraient à nouveau d’en être la proie.

Ils ont alors commencé à se garantir contre les tendres soins du FMI en accumulant leurs propres réserves de capital [faite de devises: dollars, euros…]. Et maintenant, justement quand la Chine et la Corée du Sud se sont assurées de ne plus jamais avoir besoin des services du FMI, voilà qu’elles reçoivent plus de pouvoir de décider comment il doit agir. En d’autres mots, elles sont jugées aptes à le gouverner, quand, à l’image du G7, elles peuvent exercer ce pouvoir sans avoir à en subir les conséquences. Plus petit est votre enjeu dans le résultat final, plus grand est votre droit de vote.

Rien de tout cela ne semble ébranler les gardiens du temple de l’opinion dominante dans les grands médias. Le samedi 2 septembre, un éditorial du Washington Post faisait remarquer que: «pour être légitimes, les institutions multilatérales doivent refléter la répartition globale du pouvoir telle qu’elle est aujourd’hui, et non telle qu’elle était quand ces institutions ont été fondées, il y a plus d’un demi siècle.» Que voilà une définition fascinante, et combien nous avons du être dans l’erreur quand nous imaginions que la légitimité requiert la démocratie. Hourra pour le corporatisme qui, après tout, n’est pas mort avec Mussolini.

Je suis de ceux qui pensent que le FMI est, et sera toujours, l’institution erronée, fondamentalement viciée et injuste de par sa nature même. Mais si ses chefs et ses partisans veulent nous persuader que le FMI pourrait, un jour, avoir un rôle légitime pour gérer le système financier mondial, il va falloir qu’ils fassent vraiment beaucoup mieux que cela.   

* Auteur de nombreux ouvrages, parmis lesquels Manifesto for a New World Order (2004, rééd. 2006) et Captive State: The Corporate Takeover of Britain (2001).

Article publié dans le quotidien britannique The Guardian le 5 septembre 2006. Traduction A l’encontre

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