France

 

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Ségolène Blair et Nicolas Thatcher

Michel Husson *

La campagne présidentielle est bien verrouillée. Tout se passe comme si nous étions condamnés à choisir entre le libéralisme de l’euphémisme de Mme Royal et le libéralisme flamboyant de M. Sarkozy. Aucun des deux n’apporte pourtant de réponse aux préoccupations des Français.

La première porte sur le chômage et l’emploi. Elle est citée par 79 % des personnes interrogées, loin devant les retraites, la santé ou l’environnement [1]. Sur cette question, la réalité sociale est finalement assez transparente. Ainsi, tout le monde sait que les chiffres du chômage ne reflètent plus, depuis longtemps, la situation d’insécurité sociale qui menace aujourd’hui la majorité des salarié·e·s de ce pays. Le collectif «Les autres chiffres du chômage» qui regroupe des syndicalistes et des statisticiens, le démontre désormais chaque mois [2].

Les salariés de ce pays sont bien placés pour savoir que leurs salaires n’augmentent qu’au compte-gouttes. L’explosion des rémunérations des dirigeants, desstock-options [options sur des actions cédées à ses hauts cadres et qui peuvent représenter des sommes considérables] des dividendes et autresgolden parachutes [somme touchée lors du départ d’un dirigeant de grande firme] exprime à leurs yeux la rapacité sans fard des possédants.

Ils savent aussi que le risque - cette «valeur des valeurs» pour les philosophes du Medef [organisation du patronat français] - est désormais leur lot commun, de même que la précarité que Mme Parisot [présidente du Medef] associe à la vie et à l’amour. Ils prennent la théorie qui fait du profit la rémunération du risque pour ce qu’elle est: une fable insultante [3].

Quand les libéraux proposent de travailler plus longtemps pour gagner plus, les salarié·e·s voient l’incohérence de cette proposition, puisque tout allongement de la durée du travail va à l’encontre de nouvelles créations d’emplois. De nombreux accords récents d’entreprises leur montrent qu’il s’agit en réalité de baisser le salaire horaire et non de mieux valoriser le travail.

Cette orientation, qui invoque le défi concurrentiel des pays émergents, est une impasse. Pour s’aligner sur leurs coûts salariaux, il faudrait de telles baisses de salaires que l’économie européenne serait compétitive, mais morte.

Enfin, les Français n’en veulent pas. Dans un sondage récent [4] où l’Ifop leur demande quelle est la meilleure solution pour améliorer le pouvoir d’achat, seul un sur six cite l’augmentation du temps de travail ; c’est la baisse de la TVA (57 %) et de la fiscalité sur les carburants (43 %) qui l’emporte, tandis qu’une «augmentation significative du Smic [«salaire minimum de croissance»] horaire» obtient 36 % de réponses favorables.

Les Français ne se font donc aucune illusion sur  les «réformes» libérales qui impliquent des pensions rétrécies, des services publics privatisés et de nouveaux cadeaux fiscaux aux riches. Comment alors bousculer la résignation électorale ? Il n’y a évidemment pas de réponse miracle, mais le seul moyen est d’insuffler dans cette campagne l’esprit du Non et de la lutte contre le CPE. Dans ces deux cas, il a été possible de récuser le discours dominant, de refuser la double fatalité de l’Europe forcément libérale et de l’emploi forcément flexible. Pourquoi ne pas étendre ce rejet de la Constitution libérale et du contrat de travail anti-jeunes aux projets qui font de la mondialisation capitaliste un horizon indépassable ?

Les marges de manœuvre pour une autre politique sont en effet énormes, à condition de ne pas tenir pour acquise la répartition actuelle des richesses, l’une des pires pour les salarié·e·s depuis un siècle. Augmenter les salaires et les minima sociaux au lieu de les bloquer, augmenter les cotisations patronales au lieu de les alléger, c’est économiquement possible. Un récent rapport [5] vient de révéler que les aides publiques aux entreprises représentaient 65 milliards d’euros, soit «l’ordre de grandeur des recettes cumulées de l’impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle».

Tout est donc possible, comme dirait Sarkozy, et même de sortir de la situation pourrie que nous ont laissée plus de vingt ans de politique libérale. Il faut juste s’en donner les moyens, et cela passe par une véritable insurrection électorale qui exprimerait à nouveau le rejet de la fatalité. C’est la tâche des candidats anti-libéraux  de la déclencher. Puissent-ils le faire d’une seule voix.

Notes

1. Sondage.Sofres, http://www.tns-sofres.com/etudes/pol/290306_preocconso_n.htm

2 . http://acdc2007.free.fr

3.- Nick Isles, The Risk Myth, The Work Foundation, http://hussonet.free.fr/riskmyth.pdf

4.«Les Français et le pouvoir d'achat»,Metro, 26 Janvier 2007, http://gesd.free.fr/pametro.pdf

5 . http://hussonet.free.fr/aidaudit.pdf

* Michel Husson est économiste auprès de l’Ires. Il est l’auteur de nombreux ouvrage, parmi lesquels, Travail flexible, salariés jettables, (Edition de la Découverte, 2006). Aux Editions Page deux, il a publié: Les ajustements de l’emploi. Pour une critique de l’économétrie bourgeoise(1999). Il écrit diverses chroniques, entre autres dans le magazine Regards.

(15 février 2007)

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