France

Salah AMOKRANE et Olivier BESANCENOT

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L'amnistie pour tous

Olivier BESANCENOT * et Salah AMOKRANE **

Dans les quartiers ou contre le CPE, les jeunes se sont heurtés aux forces répressives de l'Etat.

Avec 3 200 interpellations en flagrant délit, plus de 1 600 arrestations après enquête et autour de 800 personnes écrouées recensées, c'est un noir scénario juridico-politique qui s'est joué après les révoltes de novembre 2005. Comme pour les manifestants anti-CPE, mais de manière plus massive, ce sont souvent des jeunes sans antécédents judiciaires qui ont été condamnés.

La mobilisation lycéenne contre la loi Fillon du printemps 2005, les révoltes des quartiers du mois de novembre, puis le mouvement contre le CPE ont rythmé l'année qui vient de s'écouler. Une année où, du coup, des centaines de milliers de jeunes ont eu la sensation de vivre un «mini»-Mai 68. Ça «devait péter» et ça «a pété». Cette mobilisation radicale, massive, a soulevé une jeunesse, issue de milieux différents, contre un horizon commun: un avenir précaire. Cette génération, loin encore d'être unie, a décidé de résister car elle se sait condamnée à vivre moins bien que ses parents. C'est criant dans les quartiers où le taux de chômage atteint parfois plus de 50 %. Mais c'est aussi la triste réalité qui guette la majorité de jeunes scolarisés obligés de travailler pour financer ses études. La colère sociale contre la précarité, voilà le fil invisible, la connivence secrète qui relie toutes ces explosions. Cet automne, nos quartiers ont pris feu. Le gouvernement, ministre de l'Intérieur en tête, ainsi qu'une partie de la gauche ont imaginé que la question sécuritaire prenait de nouveau le pas sur le restant des préoccupations populaires, effaçant les questions sociales. Un état d'urgence de l'époque coloniale a même été établi.

Pourtant, cette révolte était aussi une réponse aux politiques économiques, antisociales, discriminatoires et sécuritaires, menées par les gouvernements successifs. La politique était bel et bien présente dans les trois semaines de troubles du mois de novembre. D'ailleurs, si beaucoup d'habitants de ces quartiers n'ont pas approuvé les formes prises par la colère des jeunes, beaucoup ont bien compris ce qu'il en était. Le pouvoir a cru présenter le CPE comme une réponse à la crise des banlieues. Sa tentative d'opposer la jeunesse des quartiers à celle des universités lui est revenue comme un boomerang. Aujourd'hui, ce gouvernement est carbonisé dans les halls d'immeubles comme sur les bancs des lycées. La mobilisation a remporté un premier succès, avec le retrait du CPE. Elle peut transformer l'essai en continuant contre la précarité et les discriminations dans son ensemble, précisément afin d'unifier ce mouvement global qui, potentiellement, pourrait rassembler toute la jeunesse. D'autant que l'urgence sociale est toujours là. Le grand frère du CPE, le CNE, reste. La loi d'égalité des chances reste, prévoyant l'apprentissage à partir de 14 ans, le travail de nuit à partir de 15, la criminalisation des parents avec la suppression des allocations familiales. La loi dite «d'immigration choisie» reste, s'attaquant aux plus précaires parmi les précaires, les immigrés. C'est peut-être parce que la colère couve toujours que le gouvernement a décidé de taper fort en généralisant la répression.

Ces explosions sociales ont, bien sûr, épousé des formes différentes. Pourtant, c'est au même Etat que tous ces jeunes se sont confrontés: les mêmes bataillons de CRS et de gardes mobiles devant les lycées et dans les cités, les mêmes coups de matraques, les mêmes arrestations musclées de la BAC, les mêmes procès en comparution immédiate, la même parole assermentée de la police contre celle des jeunes... Beaucoup d'observateurs, journalistes ou avocats, présents lors des arrestations et des audiences, décrivent la brutalité d'interpellations souvent hasardeuses. La phobie des casseurs, avec les interpellations préventives en amont des manifestations, a d'ailleurs conduit de fait à une interdiction de manifester pour des dizaines de jeunes habitants des quartiers populaires. Il ne faisait pas bon porter une casquette ou un sweat à capuche ces derniers temps.

Depuis un an, police et justice travaillent à la chaîne. Cet acharnement répressif prouve que le pouvoir n'a pas dit son dernier mot. Il pense pouvoir faire des exemples afin de mater la contestation en faisant payer aux jeunes, notamment, le prix de son récent échec sur le CPE.

A travers une première pétition, un mouvement réclamant l'amnistie pour les jeunes manifestants anti-CPE qui ont fait l'objet de condamnation, prend de l'ampleur, il faut s'en féliciter. En effet, les peines requises contre les manifestants sont sans commune mesure avec les faits commis, et la façon dont la justice s'applique démontre clairement le caractère volontairement répressif, et donc politique de la justice.

Analysant la nature politique des événements de novembre, de nombreux acteurs politiques, ou du mouvement social, en avaient reconnu la légitimité face à l'ampleur des discriminations et de la précarité dans ces quartiers. Depuis, plusieurs initiatives ont vu le jour pour demander l'amnistie des délits commis à ce moment-là. Mais la mobilisation n'a connu jusque-là que trop peu d'échos.

Nous alertons les organisations syndicales, les organisations de jeunesse, les organisations politiques, mobilisé·e·s ces dernières semaines, du danger qu'il y aurait à isoler politiquement, à négliger la jeunesse et les habitant(e)s des quartiers populaires, une fois encore. Cela reviendrait à accréditer l'idée de la ségrégation, de l'existence d'une classe dangereuse, et de la hiérarchie entre différentes parties de la population du pays. Si même les progressistes tombent dans ce piège, il ne faudra pas alors s'étonner de la défiance de la jeunesse et de la population des quartiers populaires à l'égard de la politique. Il ne faudra pas se désoler non plus de la violence qu'engendre, toujours, le sentiment d'être méprisé(e)s et d'être traité(e)s en citoyen(ne)s de troisième zone.

La répression ne connaît ni de saisons, ni de frontières: elle entre dans les cités, les amphithéâtres et dans les cours des lycées. Depuis mai 68, les infractions, relevant de délits commis à l'occasion de conflits sociaux ou professionnels, sont admises au titre d'infractions politiques et ont été régulièrement amnistiées par des lois successives. Cette année de révoltes sociales ne doit pas se conclure par des années de mitard.

Alors maintenant, condamné(e)s à l'automne ou au printemps, amnistiez-les toutes et tous.

* Olivier Besancenot porte-parole de la LCR;
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Salah Amokrane conseiller municipal Motivé-e-s de Toulouse. Cette prise de position a été publiée dans le quotidien français Libération, le 21 avril 2006.

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