France

 

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Des concessions, puis une fermeture:
Continental de Clairoix

Mehdi Fikri *

Les annonces de fermeture d’entreprises chez les équipementiers automobiles se multiplient. La «crise du secteur de l’automobile» – une branche dont les débouchés sont étroitement liés au crédit, alors que les salaires stagnent ou reculent pour une fraction importante des salariés – n’a pas fini de se répercuter dans l’ensemble des pays.

Il ne vient pas toujours à l’esprit qu’en Suisse – un pays où ne sont pas implantés des producteurs d’automobiles –  l’impact du fort tassement de la branche de l’automobile se fait pourtant fait sentir. Et cela dès l’automne 2008. En effet, la réorganisation des firmes afin de reculer moins que leurs concurrentes et de chercher à acquérir une meilleure position en vue d’une éventuelle sortie de crise – dans une branche qui sera fortement remodelée – passe par des réductions d’emplois et une contraction des salaires. Licenciement des intérimaires, puis des contrats à durée indéterminée, chômage partiel avec importante perte de salaire, etc. En même temps, une contrainte très forte s’exerce sur la sous-traitance et les équipementiers. Cet ensemble participe jusqu’à hauteur de 70% de la valeur ajoutée d’un véhicule. Les firmes de l’automobile sont organisées sur le mode d’une longue chaîne productive transnationalisée, dont les anneaux sont multiples.

En Suisse, l’historique entreprise Viscosuisse – rebaptisée Nexis Fibers et ayant son siège à Emmenbrücke (Lucerne) – produit des fils synthétiques. Elle possède des sites de production en Slovaquie, en Pologne, en Allemagne et en Lettonie. Depuis novembre 2008 sa faillite possible est à l’ordre du jour. Une partie significative de sa production se dirige vers l’industrie automobile: airbag, pneu, etc. Le 13 mars 2008 a été annoncée une procédure de liquidation – suite à un sursis concordataire allant de novembre à mars – qui durera de 6 mois, afin de trouver un ou des acquéreurs. Durant cette période la faillite ne pourra pas être prononcée.

C’est l’exemple le plus rude, pour l’heure, des effets de la crise du secteur automobile et d’autres branches. Le déclin de l’automobile va atteindre des entreprises – certes différentes – telles que Feintool (Bienne), Rieter Georg Fischer, EMS, Arbonia Forster (d’Egard Oehler) ou Scintilla (filiale de Bosch AG). Le volume des livraisons au secteur automobile – en particulier allemand – était estimé, en 2007, à quelque 16 milliards de francs. Le nombre des salarié·e·s liés à cette production atteint environ 32'000 à 34'000.

Pour l’heure, ce sont les travailleurs et travailleuses des pays où se concentrent les grandes firmes qui sont les plus touchés. Ainsi, en France, le quatrième producteur de pneumatiques au monde – Continental – a décidé de fermer son usine de Clairoix (dans l’Oise). Et aussi celle de Hanovre en Allemagne, dans le fief historique de la marque, spécialisée dans les pneus utilitaires. Enfin, Continental a réduit sa production en Slovaquie de 25%. La décision a été prise pour «ajuster sa production à la baisse de la demande, tant dans le marché de la première monte que dans celui du remplacement» (Les Echos, 12.03.09). La suppression d’emplois en France: 1120 ; en Allemagne: 780.

Continental a été l’objet, en 2008, d’un rachat (une offre publique d’achat hostile - OPA) par le groupe financier Schaeffler Gruppe. En son sein, la milliardaire Maria-Elisabeth Schaeffler possède un rôle décisif aux côtés de Jürgen Geisinnger. Initialement, Schaeffler a accumulé une fortune dans les roulements mécaniques. Depuis 2001, c’est un conglomérat qui a été construit, avec des montages financiers «savants». A coup sûr, leur contenu effectif va se révéler dans les mois à venir. Ces opérations de rachat et de présence croisée dans des conseils d’administration s’inscrivent, de plus, dans une concurrence-lutte entre quelques grands groupes capitalistes familiaux allemands. Voilà l’arrière-fond de la décision de fermer deux usines du secteur de production de pneumatiques.

Il faut encore préciser un point: Continental avait imposé les 40 heures en Allemagne sans compensation salariale. En février 2007, en France, une proposition d’augmentation du temps de travail avec une compensation minimale avait été rejetée par 51% des salariés…et donc acceptée par 49%. En juillet 2007 la direction de Continental est revenue à charge. Elle utilisa le chantage classique: soit un accord, soit la fermeture. La direction joua à fond la mise en compétition de différents sites de production sur la base d’une «comparaison des coûts.» Elle argumenta, de plus, que l’exportation de la production du site de Clairoix (Oise – France) vers les pays de l’Est et le Mexique réduisait encore sa capacité «compétitive». Produire là où les pneus sont vendus «est plus rentable». Le patronat imposa finalement les 40 heures (équipes de 3x8) sans compensation, alors que les conditions de travail sont très pénibles et l’intensification très forte. Résultat final: cette concession n’a pas empêché la fermeture.

Un syndicaliste de la CGT de l’usine de Clairoix, le 13 mars 2009, affirmait: « Un nouvel exemple des logiques mortifères – économiquement et socialement – du capitalisme en action. Elles vont plonger dans la détresse des centaines de salariés exploités et leurs familles. Mais, nous dit-on, en haut lieu et dans les médias : «C'est fatal, puisque c'est la crise… ce n'est qu'un mauvais moment à passer… 2009 et peut-être 2010 seront de mauvaises années, mais tout ira mieux demain.» Qui peut croire un seul instant que Continental rouvrira son usine à Clairoix, alors qu'il dispose, par exemple, d'une usine ultramoderne en Roumanie et d'une main-d'œuvre locale taillable et corvéable à merci ?» Puis, il inscrit la fermeture de cette usine et la mobilisation qu’elle exigerait dans un cadre d’ensemble: «On doit espérer que la grève nationale du 19 mars sera plus forte encore que celle du 29 janvier. Pourtant certains, dont je suis, auraient souhaité que la mobilisation ne retombe pas – plus d'un mois après le 29 janvier et la rencontre pour peu de chose des syndicats avec Sarkozy !!! Car pendant ce temps-là, on le voit bien, dans l'Oise et ailleurs, la ‘casse’ continue et s'amplifie!»

Nous publions ci-dessous un article * sur la fermeture de l’usine Continental à Clairoix. Les réactions des travailleurs de Clairoix, dans cette entreprise où la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) est majoritaire, peuvent indiquer le type de réaction, de frustration et d’action, avec leurs limites intrinsèques, qui pourrait se produire en Suisse lors d’une fermeture, dans les mois à venir. (Red.)

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Le plus gros plan social, depuis le début de la crise, commence dans la douleur. Ces entreprises sont un maillon d’une longue chaîne productive transnationalisée. Comme la récession dans ce secteur va perdurer, les effets sur l’emploi sont certains.

Hier matin, Louis Forzy, directeur de l’usine Continental de Clairoix (Oise), monté à la tribune pour s’adresser aux salariés, s’est pris d’emblée des œufs dans la figure, suivis la seconde d’après par un drapeau CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) lancé comme un javelot. «L’œuf, ok. Mais le bâton, quand même, c’est abusé !», s’énerve un ouvrier. «Mais c’est rien à côté de ce qu’ils sont en train de nous faire», lui répond un autre sur le même ton, tandis que le patron est exfiltré hors de la salle, sous la protection des vigiles qui ont fait leur apparition dans l’usine la veille.

La veille, la direction a annoncé la fermeture de ce site de fabrication de pneus, qui emploie environ 1120 salariés. Depuis, l’usine est arrêtée.

On va leur faire des pneus carrés

«Il y a quelques semaines, la direction mentait en affirmant que le site resterait ouvert, que les rumeurs de fermeture étaient des spéculations, s’indigne Natalino Marujo de la CFTC (majoritaire). Mais ce qui nous rend vraiment mauvais, c’est l’accord sur le retour aux 40 h. On accepté, on a fait des efforts et maintenant un millier de familles sont dans la merde.»

Il y a deux ans, la CFTC et la CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres) ont signé l’accord, contre une promesse d’augmentation de 100 euros par mois et 130 embauches. «Tout cela, nous l’avons obtenu, mais le point central, c’était la garantie tacite de la direction de ne pas fermer le site, raconte d’une voix fatiguée Antonio Da Costa, secrétaire CFTC du Comité d’entreprise (CE). Ce qui nous arrive aujourd’hui, c’est une vraie trahison, je comprends la violence des collègues.» Aujourd’hui, les deux syndicats se préparent à dénoncer l’accord.

«Nous avons fait 28 millions de bénéfices en 2008, 47 en 2007 et 56 en 2006, affirme de son côté Farid Mania, représentant CFDT au CE. C’est l’argent que nous faisons depuis des années qui a permis de construire l’usine Continental de Timisoara (Roumanie). Aujourd’hui, on a l’impression que nous avons creusé notre propre tombe.»

Mercredi 11 mars, Bernhard Trilken, vice-président de Continental, mettait en avant la «surproduction mondiale de pneus, consécutives de la chute brutale (30 %) de la demande et de la réduction des coûts» due à la crise du secteur automobile. «Cela ne les empêche pas de nous demander de continuer à produire comme si de rien n’était», lance Xavier Mathieu, délégué CGT. «S’ils veulent qu’on travaille, on travaillera, mais on va leur faire des pneus carrés ou ovales.»

«C’est nous les irresponsables ?»

Quelques minutes après le départ précipité de Louis Forzy, Philippe Bluvarck, numéro deux du site, prend le relais au micro, encadré par des membres de l’intersyndicale CFTC, CGT, CFDT, FO, CFE-CGC. Les injures fusent de la foule, les questions aussi. «Cela fait trois ans que la production baisse, depuis combien de temps la fermeture est-elle programmée ?» «A quoi a servi l’accord sur les 40 heures ?»

Xavier Mathieu (CGT) exige la garantie du paiement de tous les salariés, pendant toute la durée de l’opération, même si rien ne sort de l’usine. «Légalement, je ne peux pas prendre cet engagement, même si je comprends les difficultés», répond, diplomate, Philippe Bluvarck.

Avant de quitter l’estrade, le directeur adjoint met en garde contre «tous actes irresponsables». Xavier le cégétiste court aussi sec vers le secrétaire du CE: «Non. mais tu y crois Tonio ? C’est nous les irresponsables maintenant ?» En définitive, les salariés, qui ont décidé de poursuivre la grève de fait et de lancer une procédure judiciaire, ont obtenu le paiement des salaires au moins jusqu’à mardi 17 mars.

Tandis que les employés partent bloquer le rond-point près de l’usine, trois jeunes les regardent passer, l’air un peu halluciné. Rémi, Nordine et Alexy, élèves de BTS (Brevet de technicien supérieur), sont en apprentissage à Clairoix depuis quelques mois. «C’est pas bien ce qui se passe. C’est normal qu’ils se défendent», estiment-ils. Mais une chose est sûre, ces trois apprentis, âgés de 19 à 21 ans, ont décidé de passer leur chemin à la fin de leur formation, renonçant d’avance à l’idée d’être embauchés sur ce site vieux de 75 ans.

«Continental, c’est pourtant une entreprise historique, la première entreprise de l’Oise en termes d’employés», regrette Renza Fresch, conseillère régionale et maire (PS) de Venette, venue soutenir les salariés. Ces derniers en sauront plus au CCE (Comité central d’entreprise) du lundi 16 mars. Une vingtaine de cars ont déjà été affrétés pour amener les ouvriers de Clairoix et Sarreguemines à Reims. «Et on va se faire entendre, même si on est foutus !», hurle face à une caméra de télé un employé de Clairoix qui a déjà connu plusieurs grèves dures, la dernière en 1994 pour les salaires.

* Cet article a été publié dans le quotidien L’Humanité.

(14 mars 2009)

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