France

G. Noiriel

Gérard Noiriel

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«L'anti-racisme est piégé par Sarkozy»

Entretien avec Gérard Noiriel *

La décision du conseil constitutionnel n'est-elle pas un échec pour la mobilisation contre les tests ADN ?

Nous avons un train de retard. La stratégie des responsables de l'UMP intègre désormais nos protestations. C'est un gros problème qui se pose à nous, très douloureux. On voit bien que l'opinion était plus favorable à ces tests à l'issue de la campagne sur les tests ADN qu'au début. Les stratégies de pouvoir sont efficaces, en ce sens qu'elles imposent des problèmes d'actualité. Contester, c'est accepter le problème. J'ai fait une analyse de la campagne électorale de 2007, on voit parfaitement comment ce thème de l'identité nationale qui n'avait rien de neuf, a été repris, sans argument nouveau, par l'ensemble des grands partis politiques et par les médias comme quelque chose de fondamental. C'est de cette manière-là que Nicolas Sarkozy a récupéré les voix dont il avait besoin du côté du Front national pour gagner les élections. Aujourd'hui, le ministère de l'immigration et de l'identité nationale étant en place, il faut l'alimenter. On voit une stratégie qui vise à utiliser des mots qui font tilt dans l'opinion. Ce n'est pas un hasard: ADN d'un côté, statistiques ethniques de l'autre. Et l'on est piégé, parce que d'un côté, on ne peut pas laisser passer çà, mais d'un autre côté, ces oppositions contribuent à en faire des thèmes considérés comme prioritaires pour la France.

Pourquoi cela fait-il piège ?

Les mutations fondamentales se sont produites dans les années quatre-vingt. Pendant toute une période, le Front national était un obstacle que Mitterrand et la gauche mettaient sur le chemin de la droite. La réussite de Sarkozy a été d'utiliser une thématique utilisée par le Front national, dans une rhétorique qui apparaissait admissible aux yeux de ceux qui font l'opinion. On n'a pas les outils permettant de comprendre ce qui se passe aujourd'hui. Et cela dépasse le contexte français, en Europe ou au Japon, par un retour d'une logique nationaliste ou conservatrice qu'on croyait dépassée et qui ressurgit dans un cadre nouveau qui est celui d'une démocratie avancée, avec des logiques médiatiques et des sondages qui gouvernent constamment l’opinion. Il faut mettre sur la table toutes ces questions. Y compris au niveau du vocabulaire. Parce que l'anti-racisme a tendance à tourner en rond.

Par quel processus la gauche est devenue silencieuse sur le sujet ?

Si vous replacez les choses dans leur contexte historique, vous voyez qu'à partir de l'affaire Dreyfus, vous avez eu deux blocs, en simplifiant: le bloc que j'appelle national sécuritaire et le bloc social humanitaire. Ces deux blocs se sont constitués en rapport avec le mouvement ouvrier qui a été l'événement majeur du vingtième siècle mais qui s'est effondré dans les années quatre-vingt. La gauche n'est plus parvenue à intervenir comme avant sur les droits de l'homme ou la question sociale. L'articulation entre l'humanitaire et le social a eu tendance à se défaire. C'est à ce moment que les ouvriers immigrés grévistes de l'automobile ont été lâchés en rase campagne par la gauche au début des années quatre-vingt. Le discours de SOS racisme qui s'est substitué au précédent avait sa validité mais rejetait à la marge la dimension sociale. Le monde ouvrier s'est trouvé dans l'incapacité de rassembler ses différentes composantes. Quand on voit que les deux tiers des ouvriers ont voté à droite aux dernières élections, on voit qu'il y a là un enjeu majeur. La question qui est posée c'est comment tenir un discours de gauche qui rassemble une majorité et qui tienne compte du fractionnement des identités.

La gauche n'a-t-elle pas tourné le dos à la France issue de l'immigration ? Il y a une désaffection de la parole politique dans les quartiers.

Ça, c'est un discours qu'on tient depuis vingt-cinq ans. Toutes les politiques d'intégration ont échoué, et aujourd'hui on n'ose même plus employer le mot. Vous avez des réalités sociales qui transcendent les stratégies politiques, qui ne sont pas propres à la France. Les logiques qui visent à parler de fracture coloniale, ou à politiser, polariser, les origines n'apportent pas de résultats positifs pour la gauche. Lorsque le débat politique est focalisé sur un privilège accordé aux identités d'origine il peut être facilement retourné par la droite. En particulier sur thème du racisme anti-blanc. Il me semble que c'est le secret de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007. Du côté de la droite, on peut interpréter les questions de la loi sur l'immigration dans la même logique. Une des mesures qui nous paraissait, à nos yeux d'historiens de l'immigration, comme l'une des plus scandaleuses: à savoir contraindre les gens à un examen de langue avant de s'installer en France est passée comme une lettre à la poste. On a mis l'accent sur les choses extrêmes qui ont suscité à juste titre la protestation. Finalement, les deux éléments extrêmes - l'ADN et les statistiques ethniques - ont été vidés de leur sens puisque l'intervention du conseil constitutionnel met tellement de conditions que les spécialistes jugent que ça ne fonctionnera pas. Les statistiques ethniques ont été supprimées, mais tout le reste est passé. Et sans véritable débat. L'anticipation des réactions probables des opposants est aujourd'hui intégrée par les stratégies politiques.

Il faut réfléchir à la façon de reconstituer des fronts qui pourraient surprendre par rapport aux attentes du pouvoir. Des formes d'action inédites. Collectives. Lorsque nous avons démissionné de la cité de l'histoire de l'immigration, nous réagissions à la création du ministère de l'immigration et de l'identité nationale qui était, par sa formulation même, une concession inadmissible aux thèses du Front national. L'impact de notre démission vient du fait nous ayons été huit sur douze à démissionner. Mais nous étions, les douze, tous d'accord pour récuser l'appellation du ministère. C'est la responsabilité des nouvelles générations de trouver ses solutions inédites.

* Gérard Noiriel, historien spécialiste de l'immigration, est l'un des démissionnaires de la Cité de l'histoire de l'immigration. Directeur d'études à l'EHESS (Paris), il préside le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire. Auteur du Creuset français, il vient de publier  Racisme: la responsabilité des élites  (Ed. Textuel) et A quoi sert l’identité nationale, Ed. Agone. Cet entretien a été conduit par Karl Laske et publié sur le blog «Contre journal» du quotidien Libération du 20.11.2007.

(20 novembre 2007)

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