France

Valérie Hoffenberg  et Nicolas Sarkozy, cérémonie de la remise de la légion d'honneur, mars 2008

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Le «Premier cercle» des richissimes donateurs de l’UMP et de Sarkozy

Laurent Mauduit *

«C'est pas cher et ils apprécient.» Dans les enregistrements pirates des conversations entre Liliane Bettencourt et son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, la formule revient en boucle. C'est ce dernier qui use de l'expression pour expliquer à la milliardaire les raisons pour lesquelles elle doit signer ce qu'il présente comme trois chèques, le premier au profit de Valérie Pécresse [actuelle ministre de l’Enseignement supérieur, dont le père est, entre autres, président de Bolloré telecom], à l'époque tête de liste de l'UMP [Union pour un Mouvement Populaire – sic] aux élections régionales [mars 2010], le deuxième au profit d'Eric Woerth [actuel ministre du Travail] et le troisième au profit de Nicolas Sarkozy.

«C'est pas cher et ils apprécient.» Sans doute la formule résume-t-elle aussi l'état d'esprit de quelques très grandes fortunes françaises qui ont pris l'habitude de verser leur dîme à l'UMP au travers d'une structure qui joue, dans les coulisses du pouvoir et des milieux des affaires, un rôle clef: le «Premier cercle» des donateurs.

Car c'est l'autre onde de choc de l'affaire Woerth-Bettencourt: elle permet de comprendre que les relations entre Nicolas Sarkozy et les milieux des très grandes fortunes françaises ne se réduisent pas à ce qu'avait pu suggérer la célèbre soirée du Fouquet's, le 6 mai 2007, au soir du second tour de l'élection présidentielle – une fête à laquelle n'avaient été conviés que les PDG-propriétaires les plus puissants, de Bernard Arnault jusqu'à Martin Bouygues, en passant par Vincent Bolloré, Albert Frère ou encore Paul Desmarais.

Non, les réseaux sarkozystes sont beaucoup plus amples que cela. Et surtout beaucoup mieux organisés qu'on ne pouvait le penser. Le «Premier cercle» est une organisation discrète, mais très efficace, qui rassemble le gotha de la très grande bourgeoisie et de la noblesse. Un organisme hybride, sorte de Rotary réservé pour les ultra-riches, qui tient des assemblées périodiques dans les hôtels très chics mais aussi des dîners privés plus confidentiels dans les hôtels particuliers de l'un ou l'autre de ces richissimes donateurs.

L'histoire commence à la fin de 2004, quand Nicolas Sarkozy, après avoir pris à la hussarde les commandes de l'UMP pour en devenir le président, commence à réfléchir à l'organisation du mouvement, dans la perspective de l'élection présidentielle. Celui qui est en passe de devenir le champion de la droite le sait: l'argent est souvent le nerf de la guerre. Et dans l'échelle de ses valeurs personnelles, c'est le critère absolu de la réussite.

C'est donc lui qui pense à organiser au sein de son parti une structure dédiée à la collecte de l'argent auprès des plus grandes fortunes, sur le modèle des «Charity dinners» qui ont prospéré aux Etats-Unis. Cette idée, il en confie la mise en œuvre à Eric Woerth, le seul proche d'Alain Juppé qu'il garde auprès de lui, et qui est le trésorier de l'UMP, ainsi qu'à une militante, Valérie Hoffenberg. Elle deviendra conseillère de Paris et, par une décision de Nicola Sarkozy, représentante spéciale de la France pour la dimension économique, culturelle, commerciale, éducative et environnementale du processus de paix au Proche-Orient., représentante spéciale de la France pour la dimension économique, culturelle, commerciale, éducative et environnementale du processus de paix au Proche-Orient. Elle est aussi la présidente du bureau français de l'American Jewish Committee (AJC) et militante active de Génération France, le club de Jean-François Copé [Jean-François Copé est président du groupe UMP à l'Assemblée nationale].

«Quand Woerth aimait les comptes en Suisse»

L'idée de Nicolas Sarkozy donne naissance quelque temps plus tard au «Premier cercle», structure de l'UMP destinée à recevoir les dons des plus riches, ceux qui peuvent apporter entre 3000 et 7500 euros, somme qui constitue le plafond annuel autorisé de don fait par un particulier à un parti politique (mais seulement 4600 euros pour un candidat à une élection). Dans le même temps, une autre structure voit le jour, baptisée le «Cercle France», destinée à recevoir les dons de 300 euros à 3000 euros.

Le «Premier cercle» est ainsi le cercle des VIP du sarkozysme, de ceux qui peuvent donner beaucoup d'argent et qui, en contrepartie, peuvent une fois par mois venir débattre avec un dirigeant du parti – et souvent avec Nicolas Sarkozy lui-même. Le «Cercle France», c'est le cercle plus bas de gamme.

Quand ces deux structures sont mises sur pied, elles ne font, dans un premier temps, guère parler d'elles, hormis dans les cénacles de l'UMP. Elles apparaissent dans l'organigramme de l'UMP, mais nul ne s'y intéresse. Même pendant la campagne présidentielle de 2007, le «Premier cercle» est très actif, multiplie les réunions dans de grands hôtels, mais réussit le tour de force de ne pas faire parler de lui, ou presque.

C'est à partir de 2009 que les choses commencent à se gâter pour cette structure de l'UMP qui attire la curiosité de la presse. D'abord, un article du quotidien suisse, Le Matin, dans son édition du 19 septembre 2009, lève le voile sur une réunion tenue par le «Premier cercle» à Genève, le 23 mars 2007, un mois à peine donc avant le premier tour de l'élection présidentielle. Titré méchamment «Quand Woerth aimait les comptes en Suisse», l'article commençait ainsi: «Ce 23 mars 2007, Eric Woerth, alors trésorier de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, était venu en ami à Genève. Patrick Devedjian, à l'époque député des Hauts-de-Seine, l'accompagnait. Cette visite en Suisse avait un but: récolter de l'argent pour financer l'“effort de guerre” du candidat de la droite, opposé à sa rivale socialiste, Ségolène Royal. Le comité de soutien UMP Suisse avait vu grand pour accueillir les émissaires de Sarkozy: une réception à l'Hôtel Crowne Plaza en début de soirée, suivie d'une réunion au Caviar House, dans la très chic rue du Rhône, avec le “premier cercle”, autrement dit, les donateurs les plus fortunés. “Eric Woerth ne cherchait pas alors à savoir si les chèques qu'on lui remettait étaient prélevés sur des comptes suisses non déclarés au fisc français”, raconte un banquier français opérant dans une banque genevoise.»

Au plus fort de la campagne présidentielle, d'autres réunions du même type, mais tenues plus discrètement, ont d'ailleurs lieu, à Paris, mais tout autant à l'étranger, pour tenter de draguer les plus grandes fortunes. On en trouve d'ailleurs trace sur le site internet de l’UMP, qui dans ses archives fait ainsi état d'une réunion dans une brasserie chic de New York, avec les deux mêmes, Patrick Devedjian et Eric Woerth. La séance est présidée par Guy Wildenstein, un ami proche de Nicolas Sarkozy, fils d'un célèbre et richissime marchand de tableaux et galeriste lui-même de son état sur la célèbre Madison Avenue – on le voit dans une vidéo mener campagne à cette époque pour son «ami Nicolas» sur «SarkoTV».

Cette hyperactivité du «Premier cercle» produit pourtant les effets escomptés par le candidat Sarkozy: elle contribue très largement à ce que Nicolas Sarkozy, avec 9'125’105 euros, soit le candidat qui ait reçu les dons les plus nombreux de personnes physiques. A côté de lui, sa rivale Ségolène Royal, qui n'a reçu au même titre, que 743’432 euros, passe pour une pauvresse...

«Qui veut donner des millions ?»

Cette même année 2009, un autre article, publié par Le Point et intitulé «Qui veut donner des millions ?», apporte pour la première fois de nombreux détails sur le «Premier cercle». S'est tenue, quelques semaines auparavant, une réunion avec ses riches donateurs parisiens dans ce qui est, dans la capitale, son «QG» pour ce genre de manifestation mi-politique mi-mondaine: le très chic Hôtel Bristol, à deux pas de l'Elysée.

Eric Woerth en est comme à l'accoutumée le grand organisateur et Nicolas Sarkozy y participe aussi. «Au Bristol – réception financée par le parti –, beaucoup attendent le président avec une impatience tout enfantine, maîtrisée en la circonstance, raconte l'hebdomadaire. Et pour cause. Ils sont chefs d'entreprise, hommes d'affaires, avocats, médecins, pour certains multimillionnaires, toujours entre deux avions. Venus de New York, de Londres ou de Madrid. Se côtoient Olivier et Laurent Dassault, Sydney Ohana, le chirurgien des stars, Aldo Cardoso, ancien PDG d'Andersen Worldwide, ou encore Guillaume Dard, PDG de Montpensier Finance. Ils ont en partie financé sa campagne de 2007 et sont prêts à récidiver en 2012. Leur carte d'adhérent n'a rien de celle du militant de base à 25 euros. Bleu sombre, seyante, il y est inscrit en lettres fines “Premier Cercle Premium”. Ils sont près de 400 à l'avoir fièrement en poche. 400 à avoir déboursé dans l'année entre 3000 et 7500 euros pour la bonne cause sarkozienne. Et pour contourner ce plafond légal, “beaucoup n'hésitent pas à verser des sommes aux membres de leur famille ou à des amis en leur demandant d'en faire don ensuite à l'UMP. C'est la combine, tous les partis usent de cette technique”, confie un membre du club. Un autre d'ajouter: “Dès que l'on donne, on reçoit une belle lettre personnalisée de Woerth”.»

La réunion est donc en apparence du même type que celle de Genève. A ce détail près que son invité d'honneur est devenu chef de l'Etat. Et puis aussi à cet autre détail près, que l'hebdomadaire relève au détour de l'article: Eric Woerth a changé de statut. Il n'est plus seulement trésorier de l'UMP ; il est aussi devenu depuis 2007 ministre du Budget. En clair, il est placé dans une situation de conflit d'intérêts.

Alors que la question n'alimente pas encore de controverse publique, l'auteur de l'article interpelle pourtant l'intéressé sur la question: «Que ce dernier soit à la fois ministre du budget, donc des impôts, et “animateur” du club ne lui pose guère de problème moral: “Nous ne sommes pas dans une République bananière, ni dans le mélange des genres. Il n'y a pas de confusion. Je joue un rôle politique à l'UMP, qui est mon parti.”»

Eric Woerth balaie donc l'interpellation d'un revers de main. Quelques semaines plus tard, le 9 décembre 2009, c’est au tour du quotidien le Parisien, de raconter par le menu une autre réunion du «Premier cercle», qui s'est tenue deux jours avant, le 7 décembre, toujours à l'Hôtel Bristol, et en présence de Nicolas Sarkozy. «C'est le trésorier du parti, Eric Woerth, par ailleurs ministre du budget, qui s'occupe de tout», raconte le journal, avant d'achever son récit de la sorte: «Sarkozy n'oublie pas de caresser ses donateurs dans le sens du poil en leur jurant qu'il ne reviendra “jamais” sur le bouclier fiscal ou en les rassurant sur sa supposée complicité avec le patron de la CGT, Bernard Thibault: “On s'entend bien, oui, mais de là à dire que c'est un ami...” A propos de son éventuelle candidature en 2012, il s'est montré prudent, mais les donateurs ont gardé ces phrases en mémoire: “Je suis heureux de vous voir. Le moment venu, j'aurai peut-être besoin de vous...”»

Les mondanités intéressées du comte Edouard de Ribes

Pour le coup, cela commence à faire du bruit. Les promesses faites par Nicolas Sarkozy à ses riches donateurs et la situation de conflit d'intérêts d'Eric Woerth alimentent une polémique. Le jour même où le quotidien publie cet article, la députée socialiste Delphine Batho voit dans cette promesse renouvelée du chef de l'Etat de ne pas remettre en cause le bouclier fiscal «une contrepartie» aux dons.

«La question de la légalité des dons recueillis par l'UMP n'est-elle pas posée à partir du moment où les généreux donateurs obtiennent une contrepartie liée aux responsabilités institutionnelles de Nicolas Sarkozy ?», s'interroge-t-elle dans un communiqué.

Un autre député socialiste, Christian Eckert, s'étonne pour sa part le même jour d'une «confusion des genres» à propos de la double fonction d'Eric Woerth, ministre du budget et trésorier de l'UMP, dans une question d'actualité à l'Assemblée nationale, qui provoque un vif incident.

Dans les médias, l'affaire est alors de plus en plus commentée. Sous le titre «Les dons privés à l’UMP sont-ils légaux ?», le journal 20 Minutes poursuit le récit du débat à l'Assemblée: «“Ça pose problème”, a ensuite affirmé le trésorier du PS, Régis Juanico, dans les couloirs du Palais-Bourbon. “Des réunions sont régulièrement organisées entre ces grands donateurs et des membres du gouvernement: on peut s'interroger sur la nature de leurs échanges. On ne peut pas être président de la République, arbitre et garant de la Constitution et en même temps s'impliquer dans des questions qui touchent au financement des partis politiques”.»

Et sur son blog, un journaliste de L’Express, Thomas Bronnec, conclut: «Le vrai problème n'est pas de savoir si ce dernier mène une politique pour favoriser les intérêts des membres du Premier cercle: Nicolas Sarkozy a été élu démocratiquement et met en œuvre son programme. Il est de savoir si la politique actuellement menée par le gouvernement s'applique de la même façon à un de ces donateurs premium et à un citoyen lambda. On a le droit d'avoir des interrogations. Après tout, que se passerait-il si jamais un membre du Premier cercle figurait sur la liste des 3000 ? Eric Woerth, ministre du budget, gardien du sacro-saint secret fiscal, se devrait évidemment de garder le silence. Mais, entre un canapé au saumon et une coupe de Champagne, Eric Woerth, trésorier de l'UMP, y parviendrait-il dans ce huis clos très huppé du Bristol ?»

La controverse est ensuite retombée. Plus d'interpellations sur le rôle du chef de l'Etat en collecteur de fonds pour l'UMP ni d'interpellation sur le conflit d'intérêts d'Eric Woerth! L'activité du «Premier cercle» a donc repris le plus normalement du monde.

Il faut dire, de surcroît, que les rendez-vous de ces riches donateurs ne se passent pas tous en des lieux aussi visibles que l'Hôtel Bristol. Certaines grandes fortunes, proches de Nicolas Sarkozy, aiment aussi organiser des dîners privés dans le même but. L'un de ces dîners, qui a eu lieu dans les premiers jours de l'automne 2009, est encore dans toutes les mémoires de la jet set parisienne. C'est le comte Edouard de Ribes qui a organisé ces agapes, dans son grandiose hôtel particulier de la rue de la Faisanderie, dans le XVIe arrondissement de Paris.

Une grande figure du capitalisme parisien, objet de longue date de la curiosité des médias, que ce comte de Ribes – on lira ici avec intérêt un portrait de lui publié voilà longtemps par L’Expansion. Héritier du gigantesque empire Rivaud, avec, en son cœur la banque du même nom, qui a très longtemps financé le RPR, le banquier a vu son groupe passer sous le contrôle de celui de Vincent Bolloré. Il n'en est pas moins resté un personnage important du groupe Bolloré, avec le titre de vice-président.

N'ignorant rien des charmes fiscaux du Liechtenstein, comme une longue enquête de Mediapart l'a récemment établi, le comte, malgré ses 84 ans, n'en continue donc pas moins à naviguer dans des sphères politico-mondaines, mettant désormais son entregent au service de Nicolas Sarkozy, qui est aussi le champion de Vincent Bolloré.

Ce soir-là, le comte avait donc convié, autour de plusieurs tables, des amis membres pour la plupart du «Premier cercle». Outre Vincent Bolloré, il y avait là Philippe Capron, le directeur financier de Vivendi, David de Rothschild, le patron de la célèbre banque, la princesse Laure de Beauvau-Craon, présidente de Sotheby's France, l'homme d'affaires Charles Beigbeder, et bien d'autres encore.

Dans l'assemblée, quelques hommes politiques aussi dont Xavier Bertrand, le secrétaire général de l'UMP, ou encore l'ancien premier ministre Alain Juppé. Le sénateur UMP Roland du Luart était aussi du nombre. Grand amateur de chasse, l'élu est très connu dans les milieux les plus fortunés car il fait partie de la meute de ceux que son collègue de l'Assemblée, Gilles Carrez, rapporteur général (UMP) du budget, qualifie de manière allusive de «chien de garde» des niches fiscales. Ces fameuses niches qui profitent surtout aux plus hauts revenus...

Florence Woerth et Robert Peugeot au conseil d'Hermès

Des dîners de ce type, il s'en tient de nombreux, dont nul ne parle, mais qui contribuent au bon fonctionnement des finances de l'UMP. Des dîners dans lesquels des figures, souvent les mêmes, apparaissent fréquemment. Telle Françoise Holder, la présidente du groupe Holder (Boulangerie Paul, Ladurée...) et figure connue du Medef, Pierre Bellon, le président du groupe Sodexo, l'académicien Gabriel de Broglie ou encore Edouard de Rothschild, l'actionnaire de Libération.

Des dîners encore plus discrets sont aussi organisés, de proche en proche. Le Journal du Dimanche (en date du 27 juin 2010) a ainsi révélé la tenue «au printemps 2008 dans un des hôtels particuliers de la République, rue de Lille (l'hôtel de Seignelay)» de l'une de ces rencontres. «Sont conviés à sa table une douzaine de généreux donateurs du parti, accompagnés de leurs épouses, raconte le quotidien. Aux côtés de son mari, Florence Woerth reçoit son employeur, Patrice de Maistre, 61 ans, le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, accompagné de son épouse Anne. Les deux couples se connaissent. Le 23 janvier précédent, Patrice de Maistre a été décoré de la Légion d'honneur à Bercy, par le ministre du budget en personne. Sont également invités ce soir-là un ancien de la banque Rothschild, plusieurs autres financiers, un homme d'affaires de l'immobilier, un industriel alors en délicatesse avec le fisc, et Robert Peugeot, PDG de FFP, la holding qui contrôle la participation de la famille dans PSA. Point commun de ces invités, outre leur surface financière et leur aide à l'UMP ? La chasse. Les hommes autour de la table sont de fines gâchettes.»

Cet article est accompagné d'une photo, prise fin 2003, dans le sud de l'Espagne, qui retrace une scène de chasse: on y voit Patrice de Maistre agenouillé près de plusieurs cerfs abattus, avec en arrière-plan, juste derrière lui, Robert Peugeot. Suit alors un récit des parties de chasses tout autour du monde, de Tanzanie jusqu'au Canada, en passant par la Sologne, de ce groupe d'amis, qui sont tous donateurs de l'UMP et entretiennent des relations mi-amicales mi-professionnelles. Ce dîner de donateurs, réunis autour d'Eric Woerth, éclaire aussi certains des extraits des enregistrements piratés, révélés par Mediapart.

Car, dans l'un de ces enregistrements, Patrice de Maistre s'emporte un moment contre Florence Woerth en révélant que, tout en travaillant pour Liliane Bettencourt, au sein de la société Clymène qui gère sa fortune personnelle, elle a obtenu également une fonction dans le groupe de luxe Hermès. La conversation, que révèle l'enregistrement volé, a lieu le 23 avril 2010:

Patrice de Maistre (PdM), parlant de Florence Woerth: «Je me suis trompé quand je l'ai engagée. C'est-à-dire quand en fait avoir la femme d'un ministre comme ça, ça n'est pas un plus, c'est un moins. Voilà. Je me suis trompé. Pourquoi  ? Parce que comme vous êtes une femme, la femme la plus riche de France. Le fait que vous ayez une femme de ministre, chez nous, tous les journaux, tous les trucs disent, euh, oui tout est mélangé, etc., bon. J'avoue que quand je l'ai fait, son mari était ministre des finances (du budget, NDLR), il m'a demandé de le faire.»

Liliane Bettencourt (LB): «Ah»

PdM: «Je l'ai fait pour lui faire plaisir. Mais c'est une femme intelligente, c'est pas une imbécile. Aujourd'hui, ça fait trop de bruit; elle s'est fait nommer chez Hermès sans me demander.»

LB: «Qu'est-ce qu'elle fait ?»

PdM: «Elle s'est fait nommer chez Hermès.»

LB: «Oui, bah oui.»

PdM: «Sans me demander. C'est pas normal. C'est comme si moi je vous disais demain, tiens, j'ai été nommé chez LVMH. C'est, ce n'est pas sérieux. Bon, alors maintenant...»

LB: «Vous allez lui dire ?»

PdM: «Je lui ai déjà dit, je lui ai écrit (...) Et donc si vous voulez, aujourd'hui, sans faire de bruit, je pense qu'il faut que j'aille voir son mari et que je lui dise que avec le procès et avec Nestlé, il faut qu'on soit très manœuvrants et on peut plus avoir sa femme. Et puis on lui, on lui, on lui donnera de l'argent et puis voilà. Parce que c'est trop dangereux.»

De fait, Florence Woerth est effectivement entrée au conseil de surveillance de la société de luxe Hermès, au terme d'un vote intervenu le 7 juin 2010 lors de l'assemblée générale de la société. Qui trouve-t-on au sein de ce même conseil de surveillance ? Robert Peugeot, encore lui. Du dîner du «Premier cercle» jusqu'aux relations d'affaires en passant par les parties de chasse, ce sont les mêmes réseaux, les mêmes amitiés. Mais soudainement, après les révélations de Mediapart, tous ces réseaux ont cherché à se faire le plus discrets possible.

Dans le cours de notre enquête, nous en avons fait l'expérience. Apprenant que Laurent Dassault, l'un des héritiers de la famille, petit-fils de Marcel et fils de Serge, par ailleurs ami proche de Nicolas Sarkozy, avait organisé voilà moins d'une semaine un dîner du «Premier cercle» à son domicile, nous avons cherché à obtenir des détails. La réponse nous est parvenue par son entourage: «Laurent Dassault ne vous parlera pas. Pas plus que les autres membres du Premier cercle. La décision vient tout juste d'être prise. Plus personne ne parlera...»

C'est l'onde de choc de l'affaire Woerth. «C'est pas cher et ils apprécient.» D'un seul coup, la formule de Patrice de Maistre s'inverse: les plus grandes fortunes n'apprécient plus guère, en retour de leurs subsides apportés à l'UMP, de pâtir d'une telle publicité. Vieux principes des milieux les plus fortunés: pour vivre heureux, vivons cachés !

* Laurent Mauduit est journaliste du site en ligne Mediapart, animé par Edwy Plenel. Cet article met en relief les liens étroits entre des cercles de la classe dominante et leurs représentants politiques. Une liaison étroite qui, sous des formes diverses, existe dans tous les pays. Elle fait écho dans sa forme, parfois caricaturale, à la gestion politique de cette phase du capitalisme. Laurent Mauduit a écrit divers ouvrages utiles à consulter. Nous citerons: L’adieu au socialisme (avec Gérard Desportes), Ed. Grasset, 2002 et Sous le Tapie, Stock, 2008. (Réd.)

(1er juillet 2010)

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