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Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites

Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa, Marc Mangenot,
Christiane Marty, Caroline Mécary, Stéphanie Treillet

C'est  entendu, la réforme des retraites ne peut plus attendre. Nous sommes au bord de la catastrophe et «à problème démographique, il faut une solution démographique», nous serine le gouvernement. Il veut imposer un nouvel allongement de la durée de cotisation et un report de l'âge légal de la retraite après 60 ans, ce qui entraînera par ailleurs un report parallèle de l'âge, actuellement fixé à 65 ans, où un·e salarié·e peut liquider sa retraite sans décote.

Pourtant, aucun nouveau «rendez-vous» sur les retraites n'était prévu en 2010. Celui de 2008 avait vu, sans aucun débat, la confirmation de l'allongement de la durée de cotisation qui passera à 41,5 annuités en 2020 et la prochaine échéance était fixée en 2012. Pourquoi donc tant de précipitation, alors même que ce qui est censé la justifier, la démographie, n'a pas évolué en deux ans ?

On peut certes avancer une réponse politicienne. Après la débandade des élections régionales et la chute dans les sondages, le président de la République avait besoin de reprendre une posture offensive. Mais là n'est pas l'essentiel. En effet, comme l'analyse crûment le journal Les Echos (13 avril 2010): «Le chef de l'État entend montrer à ses partenaires européens et aux marchés financiers qu'il s'attaque au problème de la dette. Tant pis si les retraites ne constituent qu'un aspect partiel du problème: il faut donner un signal et ne surtout pas perdre la note AAA dont bénéficie encore la France sur les marchés». Il faut donc «rassurer les marchés», voilà la raison essentielle de cette réforme. Parlons d'ailleurs plutôt de contre-réforme, car le sens originel du mot réforme signifiait changer en mieux et non en pire comme aujourd'hui.

La nouvelle contre-réforme des retraites s'intègre donc dans la gestion de la crise par le gouvernement. Il s'agit d'en faire payer le prix à la population et d'en exempter ceux qui en sont les premiers responsables, les «marchés», c'est-à-dire concrètement les banques et autres fonds d'investissement plus ou moins spéculatifs ou les transnationales dont les profits ne doivent surtout pas être touchés. Cela, le gouvernement n'ose pas franchement l'avouer. D'où le recours à l'argument démographique.

Qu'importe si en cela, le gouvernement contredit les rapports du Conseil d'orientation des retraites (COR). Celui de janvier 2010 indique que «la dégradation très rapide des comptes en 2009-2010 s'explique ainsi principalement par la crise économique qui réduit fortement les recettes assises sur les revenus d'activité». La très forte récession de l'année 2009 (-2,5%) a abouti à une réduction de la masse salariale de 2 % et donc des cotisations correspondantes. Le rapport d'avril confirme cette analyse et indique que «la plus grande partie de la dégradation aurait lieu en 2009 et 2010 (...) A plus long terme, les effets directs de la crise économique sur la situation financière des régimes s'estompent».

Face à la crise financière, le gouvernement a été capable de mobiliser des centaines de milliards d'euros pour sauver les banques, et on ne pourrait pas en trouver quelques dizaines – le COR estime à 32 milliards le déficit des régimes de retraites en 2010– pour combler un déficit essentiellement dû à cette crise financière ! Pourtant des recettes nouvelles pourraient être rapidement trouvées, en soumettant des rémunérations actuellement exemptées (intéressement, participations, stock-options, et surtout dividendes) à cotisations sociales, ce qui rapporterait plus de 10 milliards d'euros. On pourrait y rajouter les exonérations de cotisations sociales non compensées par le gouvernement qui s'élèvent à près de 3 milliards d’euros par an. On pourrait utiliser le Fonds de réserve des retraites (FRR), fonds de capitalisation créé par le gouvernement Jospin et censé permettre de lisser les besoins de financement dus aux évolutions démographiques. En 2008, avec la crise financière, il a perdu près de 25 % de sa valeur. Ses actifs s'élevaient en 2009 à un peu plus de 33 milliards. Le liquider progressivement pour combler le déficit conjoncturel dû à la crise serait une mesure de bon sens.

Mais quid des évolutions démographiques ? Comme toute projection à un horizon de 40 ans, le scénario sur lequel reposent les projections démographiques devrait être considéré avec précaution. Le futur nombre de cotisants et de retraités dépendra de plusieurs paramètres, dont l'évolution dépendra elle-même des politiques menées. Ainsi en est-il notamment du paramètre de l'activité des femmes. Le scénario retenu fait l'hypothèse d'un taux d'activité des femmes inférieur de plus de 10 points à celui des hommes, ce qui revient à renoncer à réduire les inégalités actuelles entre les sexes. Or de larges marges de manœuvre sont possibles pour lever les obstacles qui empêchent souvent les femmes de travailler, comme le développement de services publics de la petite enfance (crèches) et d'aide aux personnes dépendantes. La France n'est qu'au 15e rang en Europe en termes de taux d'emploi des femmes, derrière l'Allemagne, mais aussi derrière des pays comme la Lettonie, Chypre ou le Portugal. Un taux d'emploi à temps complet des femmes qui rejoindrait celui des hommes ramènerait le ratio des «actifs employés / personnes hors emploi» à la valeur des années 1970, époque où on ne parlait pas de «charge trop lourde pesant sur les actifs». Il n'y a pas de fatalité démographique, l'essentiel dépend de choix politiques.

En outre, même en reprenant ces projections contestables, il est possible de maintenir le taux de remplacement moyen (niveau de la pension par rapport au salaire) à son niveau actuel (72 %) sans aucune augmentation de la durée d'activité. Dans son scénario le plus défavorable (scénario C), le dernier rapport du COR indique que le besoin supplémentaire de financement de l'ensemble des régimes de retraites serait de 3 points de PIB à l'horizon 2050, chiffre intégrant le déficit conjoncturel lié à la crise. Cela correspond à une augmentation des prélèvements de 10,4 points qui, lissée su 40 ans, entrainerait 0,26 point de prélèvement supplémentaire par an. Qui peut sérieusement prétendre qu'une telle augmentation mettrait en danger l'économie française ?

Il est donc possible d'accompagner les évolutions démographiques par un relèvement progressif des cotisations patronales. Celui-ci serait d'ailleurs inférieur à 0,26 point par an puisque les besoins de financement du régime des salariés du secteur privé ne représentent qu'une partie (la plus grande, il est vrai) de ceux des régimes de retraites. Il s'agit de faire cotiser les profits. Mais «cela mettrait en danger la compétitivité des entreprises et donc l'emploi», nous rétorque-t-on ! Cet argument considère que les dividendes versés aux actionnaires sont intouchables. En effet, il est possible de compenser cette augmentation des cotisations patronales par une baisse correspondante des dividendes qui ont explosé ces dernières décennies. L'investissement productif, et donc la sacro-sainte compétitivité des entreprises, ne serait pas touchée.

Les dividendes représentaient 8 % de la valeur ajoutée brute des sociétés non financières en 2007 contre 3 % en 1982. Aucune raison économique ne justifie une telle augmentation. En 2009, les entreprises du CAC 40 ont versé 75 % du total de leurs bénéfices à leurs actionnaires. Il s'agit d'une logique rentière et de l'accaparement par une petite minorité d'une part de plus en plus importante de la richesse créée par les salariés. C'est à cela qu'il faut mettre fin.

* Jean-Marie Harribey (Attac), Pierre Khalfa (Attac), Marc Mangenot (Fondation Copernic), Christiane Marty (Attac), Caroline Mécary (Fondation Copernic), Stéphanie Treillet (Fondation Copernic).

(2 juin 2010)

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