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France Télécom: une médecine du travail aux ordres

François Desriaux *

La médecine du travail a-t-elle pu jouer pleinement son rôle de prévention des suicides à France Télécom ? Il est permis de se poser la question au vu du courrier adressé en décembre 2007 au PDG de l'ex-entreprise publique française par le syndicat des médecins du travail. En Suisse, la question ne serait même pas posée.

Face aux 23 suicides survenus à France Télécom [24 depuis le lundi 27 septembre 2009], les médecins du travail ont-ils pu jouer pleinement leur rôle de prévention ? Certains professionnels en doutent. Si l'on en croit une lettre adressée le 21 décembre 2007 [1] au PDG de France Télécom [Didier Lombard], dont la revue Santé & Travail s'est procuré une copie, le Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST) déplorait alors des «atteintes à la déontologie médicale» et à «l'indépendance des médecins du travail», précisément à propos de la question de la souffrance au travail des salarié·e·s. Le syndicat demandait à Didier Lombard «d'user de son autorité pour que cesse rapidement ce trouble qui, à terme, pourrait avoir des conséquences délétères sur la santé des salariés de France Télécom».

Pour les médecins du travail que nous avons pu contacter et qui ont quitté l'entreprise, France Télécom considère en effet «ses» médecins du travail comme des cadres à part entière, chargés d'accompagner la politique de l'entreprise, et non comme des praticiens au service exclusif de la santé des salariés, comme le prévoit la réglementation.

«Incompatibilités déontologiques»

Ainsi, dans le courrier du SNPST, on apprend que plusieurs médecins de l'opérateur de téléphonie ont refusé de participer à des «cellules d'écoute et de médiation» mises en place par la direction, estimant qu'elles ne constituaient pas la réponse appropriée au développement de la souffrance au travail et en raison «d'incompatibilités déontologiques et réglementaires avec leur statut».

Saisi, le Conseil national de l'ordre des médecins a d'ailleurs émis «les plus extrêmes réserves sur les modalités de mise en œuvre desdites cellules». Mais la direction de France Télécom, selon le courrier du SNPST, n'a pas mis un terme à la participation des médecins du travail aux cellules et n'a pas transmis non plus aux médecins la position du Conseil de l'ordre. «Pire, est-il dénoncé dans la lettre, certains continuent de subir des pressions pour y participer.»

Une affirmation démentie par la réponse de la direction de France Télécom, qui, dans un courrier du 15 janvier 2008, affirme que les médecins interviennent dans ces cellules d'écoute et d'accompagnement de façon «volontaire» et «en tant que médecin écoutant et non pas en tant que médecin du travail». Une nuance sémantique qui, toutefois, ne modifiera pas la position du Conseil de l'ordre.

Un peu plus loin, le SNPST reproche à la direction son attitude envers deux médecins du travail qui se sont vus empêchés par les directeurs territoriaux de l'entreprise de participer à «l'animation d'un atelier de formation à destination d'élus CHSCT [Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail]», là encore sur des questions de santé mentale au travail, au motif que cette «activité se situe hors du champ institutionnel de compétence des médecins du travail». «La DRH [Direction des Ressources Humaines] a, par la suite, invoqué un devoir de “réserve” puis de “neutralité” pour maintenir cette interdiction», précise le SNPST.

Pourtant, cette participation à une formation d'élus des CHSCT entre bien dans les compétences et les missions du médecin du travail prévues par l'article R. 241-41 du Code du travail français. Dans sa réponse du 15 janvier 2008, la direction de France Télécom estime que l'atelier de formation en question – les assises nationales organisées par l'Observatoire du stress – ne rentrait pas dans le cadre de l'article R. 241-41, «cette initiative syndicale» étant «extérieure à l'entreprise». Des explications qui ne convaincront pas l'Inspection du travail, laquelle dressera un procès-verbal transmis au parquet.

«Plusieurs médecins du travail ont préféré démissionner»

En conclusion de son courrier, le SNPST déclare que «plusieurs médecins du travail, s'estimant dans l'impossibilité d'exercer leur mission dans le respect des règles éthiques et déontologiques qui encadrent cette profession, ont préféré démissionner». De fait, 13 médecins du travail sur les 70 que compte l'opérateur ont démissionné ces quatre dernières années.

Ironie de l'histoire, une copie de ce courrier a été transmise au ministre du Travail de l'époque, Xavier Bertrand. Mais il ne semble pas que l'administration du Travail ait cherché à remédier à ces dysfonctionnements. Elle avait pourtant les moyens de le faire, puisque c'est elle qui délivre l'agrément aux services médicaux du travail.

Xavier Darcos, l'actuel locataire de la rue de Grenelle [ministre du Travail], qui reçoit Didier Lombard, va-t-il lui adresser un sévère rappel à l'ordre, sachant que dans la prévention des risques psychosociaux, le médecin du travail joue un rôle clé ? Ce serait une première, sachant que l'Etat est actionnaire majoritaire de l'ex-entreprise publique.

* François Desriaux a écrit cet article pour la Revue Santé & Travail, en date du 14 septembre 2009.

1. En 2007, une enquête de l’observatoire du stress créé par les syndicats Sud PTT, CFE-CGC et l’Unsa révélait que 66 % des salarié·e·s, à cette date, étaient stressés et que 15 % en situation de détresse.

(4 octobre 2009)

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