Egypte-Israël

BenEliezer

Binyamin ben Eliezer, actuel ministre des Infrastructures.
Il est accusé d’avoir donné l’ordre de liquider les soldats égyptiens.

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Tsahal: des crimes oubliés réapparaissent

Achraf Aboul-Hol *

Le film «L’esprit de Shaked» – du nom d’une unité de l’armée israélienne. Shaked, abréviation en hébreu des «Shomry Kad Drom», ou gardes-frontières de la ligne sud – diffusé par la télévision d’Etat israélienne a fait choc. Il montre des «présumés» (voir témoignages en encart) massacres de soldats égyptiens et, de ce fait, ouvre un dossier chargé des crimes de guerre commis par Tsahal (abréviation de Tsava HaHagana Le Yisrael - Les forces de défense d'Israël). Cela dans une situation où le régime Moubarak, sous perfusion financière des Etats-Unis, ne cherche pas particulièrement à avoir des rapports tendus avec Israël ! Le rappel des pratiques de cette unité conduite par Ben Eliezer est éloquent (voir l’article qui suit l’article ci-dessous et l’encart sur les témoignages). Toutefois, des poursuites judiciaires relève du souhait (voir l’entretien, à la fin de ce dossier avec le juriste international Fouad Riyad).

Les événements et les réactions qui ont suivi la diffusion du documentaire israélien Rouah Shaked, ou l’esprit de Shaked, démontrent que Shaked n’était pas le seul mauvais esprit qui s’était emparé de l’armée israélienne lors de ses guerres avec les Arabes. Le commandement de l’armée israélienne a témoigné de l’émergence d’autres «démons» qui ont commis des crimes contre les militaires autant que les civils. C’est dire que l’on pourrait considérer que la liquidation des 250 soldats est un fait assez simple, en comparaison à ce dont ont témoigné Egyptiens et Palestiniens, voire les historiens israéliens eux-mêmes. En effet, le nombre de prisonniers tués serait dans les environs de 10 000.

Le réalisateur du documentaire, Ran Edelist, a certes tenté de se disculper en parlant d’une erreur, mais il s’avère quand même que ce qui a été filmé n’est qu’une partie minime de la réalité. En fait, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les massacres contre les prisonniers sont difficiles à énumérer. De plus, Rouah Shaked a occasionné un véritable choc auprès de l’opinion mondiale, voire d’une partie de la société israélienne elle-même. Celle-ci n’avait jamais imaginé que son armée pourrait être prise en flagrant délit pour crimes contre l’humanité, à l’exemple de ceux dont le peuple juif a été victime sous la férule des Nazis. Ces mêmes carnages pour lesquels les créateurs de l’Etat hébreu ont bénéficié d’une grande sympathie qu’ils ont exploitée pour s’emparer de la Palestine.

En réalité, les crimes ne concernent pas la seule agression de juin 1967, mais ont eu lieu lors des autres conflits en 1956 et 1967, une époque où ce sont les pères fondateurs d’Israël qui tenaient les rênes du pouvoir, dont Haim Weizman et David ben Gourion.

Au début et bien que les médias israéliens aient tenté d’imposer un black-out sur le film, celui-ci montre les images du massacre commis par le commando Shaked sous les ordres à l’époque de Benyamin ben Eliezer, actuel ministre des Infrastructures, et qui a liquidé 250 militaires égyptiens faits prisonniers à la fin de la guerre israélo-arabe de juin 1967. Le film évoque les événements survenus à la fin de cette guerre de juin 1967 lors desquels le commando Shaked avait reçu pour mission de prendre en chasse et d’anéantir des unités de commandos égyptiens qui étaient déployés dans la bande de Gaza et tentaient de gagner le Sinaï. Israël a depuis procédé à une valse hésitation. Et le réalisateur a tenté de démentir avec des arguments qui n’ont pu convaincre personne. De toute façon, le gouvernement israélien a envoyé le documentaire au ministère égyptien des Affaires étrangères à la demande de celui-ci.

Une fois l’affaire révélée grâce au film, des journalistes et des écrivains arabes israéliens et des habitants des régions palestiniennes nous ont contactés pour lever le voile sur d’autres massacres dont les prisonniers ont été victimes. Voire, ils se sont référés, à cet égard, à des historiens israéliens. Ils affirment que le film qui a soulevé cette réaction n’est pas la première reconnaissance par Israël du meurtre des prisonniers égyptiens. Des témoignages et des études israéliens faits par des historiens anciens et nouveaux ont détruit le mythe de l’armée israélienne. Dans son livre «L’unité Shaked», le professeur Uri Milistein dénombre et donne des détails sur des crimes de guerre, voire présente une photo de Ben Eliezer avec comme légende: «Liquidations après la guerre».

Shaked avait hérité cette tradition de meurtre d’une précédente unité dirigée par Ariel Sharon appelée 101. Le général israélien Arieh Biro était le premier à dévoiler en 1995, dans des entretiens à Maariv et au Jerusalem Post, que 48 prisonniers de guerre égyptiens ont été liquidés en 1956. Il s’agissait de mineurs et Biro, à l’époque le commandant du bataillon 890 des parachutistes, ajoute: «Je ne le regrette pas. Au contraire, j’en suis fier». Les témoignages ne manquent pas. L’éthique et les valeurs morales de l’armée israélienne s’écroulaient avec l’occupation et l’euphorie issue des victoires. L’esprit du mal s’emparait de plus en plus de Tsahal. Les faits n’étaient pourtant un secret pour personne. Quand en 1995, des fosses communes ont été découvertes à proximité d’Al-Arich, la colère des Egyptiens a monté. La plaie était encore ouverte. Aujourd’hui encore, rien n’a changé. Mais s’il y a 12 ans, le gouvernement n’a pas cherché à approfondir les choses, il ne peut plus se le permettre. «Il y a cependant tant de pressions de la part des ONG, des médias et des parlementaires», estime Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme. Depuis 1995, l’organisation s’efforce de recueillir toutes les preuves possibles des crimes de guerre israéliens. Une campagne qui a d’abord commencé par la collecte des témoignages de 54 survivants des guerres de 1956 et 1967, avec leurs carnets militaires et les records de la Croix-Rouge ainsi que les témoignages des militaires israéliens et les publications militaires de Tsahal.

Du surplace comme réaction

En 2001, le premier ministre de l’époque, Atef Ebeid, avait décidé de créer une commission ministérielle de la Justice, de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Information, pour suivre le dossier. Mais cette commission n’a jamais vu le jour et les plaintes déposées chez le procureur général ont reçu une fin de non-recevoir. La volonté politique manque. «Le régime s’est trouvé dans l’embarras à la suite du film. Cette fois-ci, le dossier est ouvert du côté israélien et donc, les Egyptiens doivent réagir», précise Emad Gad, rédacteur en chef d’Israeli Digest. Selon lui, Le Caire ne veut pas nuire à ses relations avec Israël ni avec les Etats-Unis. Preuve en est, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que l’Egypte ne toucherait pas au Traité de paix avec Israël. «Mais qui a dit que le fait d’exiger une enquête et de revendiquer nos droits veut dire rompre la paix ?», s’indigne Abou-Seada. Israël n’a-t-il et en dépit des accords de paix demandé des indemnités pour les colonies qui étaient construites dans le Sinaï occupé ? 300 millions de dollars ont été payés. En dépit des accords de Camp David, Israël n’a-t-il pas intenté un procès contre l’ex-rédacteur en chef d’Al-Ahram l’accusant d’antisémitisme ? Gad croit qu’il «existe un accord tacite entre les deux parties pour ne pas fouiller dans les vieilles archives ou plutôt les vieilles tombes, le régime laisserait la colère éclater dans les médias pour un certain temps, c’est tout».

Et cette colère, jusqu’où pourrait-elle aller ?

Difficile à prédire. Les ONG sont en tout cas mobilisées. On collecte des preuves et on signe des pétitions. Le Conseil national des droits de l’homme, qui est d’ailleurs une instance gouvernementale a créé une commission qui examine en ce moment les procédures juridiques qui, dans un premier temps, permettrait de mener une enquête criminelle qui permettrait de confirmer la véracité des faits et en désigner les responsables.
Deux articles de la Convention de Genève permettront une telle poursuite judiciaire. L’article 12 qui concerne les crimes menés par des individus, et l’article 13 qui détermine la responsabilité des Etats. «On n’a pas besoin d’intenter un procès à l’étranger ou devant le Tribunal pénal international. Ces présumés crimes ont touché des Egyptiens et se sont déroulés sur un territoire égyptien. Il suffit que le procureur général ou le procureur militaire entame les procédures», explique l’avocat Abou-Seada. Mais jusqu’à preuve du contraire, aucune demande ni démarche, à part celle d’obtenir une copie du documentaire L’esprit Shaked, n’a été entreprise par le gouvernement.

* Correspondant de l’hedomadaire Al Ahram Weekly (no 653) à Gaza. Article rédigé avec la collaboration de Samar Al-Gamal, au Caire

Témoignages égyptiens et israéliens

«Ils assassinaient de sang-froid et d’une manière humiliante. C’était comme un jeu pour eux. Tout d’abord, les officiers, ensuite, les sous-officiers, et enfin, les soldats qui savaient lire et écrire. Les officiers étaient fusillés ou bien écrasés par les chars. Plus tard, nous avons remarqué que plusieurs soldats d’entre nous étaient emmenés hors des camps. Ils retournaient après avoir subi des opérations chirurgicales. Nous avons appris que les Israéliens les utilisaient pour le trafic d’organes».

Le sergent Amin Ramadan, ancien prisonnier de la guerre de 1967.

 

«Nous avons été retenus dans un camp pendant 45 jours. On nous privait d’eau et de nourriture. On avait juste ce qui pouvait permettre à un gamin, voire un chat de subsister. Chaque jour, un officier israélien venait prendre 10 d’entre nous. Ils étaient tous tués et jetés hors du camp. Au bout de ces 45 jours, 450 officiers et soldats ont été tués de sang-froid avant que la Croix-Rouge n’arrive pour sauver les 250 restants».

Le sergent Mohamad Sayed Faramawi, ancien prisonnier de la guerre de 1967.

 

«Les Israéliens transportaient les prisonniers dans des camions près d’Abou-Saql (non loin du Canal de Suez). Ils leur demandaient de se diriger vers le Canal sous prétexte qu’ils seraient transportés à domicile et ensuite, ils les fusillaient dans le dos. Les cadavres sont restés ainsi sur le sable pendant 10 jours avant que les habitants de la région, les Bédouins, ne les enterrent».

Hag Hassan Hussein Al-Maleh, habitant de la région.

 

«Les Israéliens ont attaqué les camps des soldats égyptiens. Ils les ont forcés à se coucher sur le sol et ils les ont écrasés avec leurs chars».

Cheikh Saleh Abou-Holi, habitant de Rafah.

 

«J’ai vu un homme creuser un trou pendant environ 15 minutes. Puis, des militaires israéliens lui demandaient de jeter la pelle. Ensuite, un d’entre eux a pointé une mitraillette Uzi sur lui, tirant deux charges chacune avec trois ou quatre balles».

L’historien israélien Gabby Born, dans Yediot Aharonot.

 

«On était suffisamment proches pour pouvoir voir la mosquée de la ville à l’œil nu. Le matin du 8 juin 1967, dans le Sinaï, dans la ville d’Arich, des troupes israéliennes ont systématiquement exécuté 1 000 et plus de prisonniers de guerre égyptiens (...) Les Israéliens demandaient à ces prisonniers de creuser leur propre tombe avant, ensuite, de les achever».

James Ennes, ancien militaire américain de l’USS Liberty, le bateau d’espionnage américain bombardé en 1967.

 

«Une soixantaine de prisonniers étaient alignés en rang, les mains liées derrière leur dos, puis les soldats israéliens ont tiré jusqu’à ce que le sable pâle du désert se transformât en rouge. Ensuite, ils obligeaient d’autres prisonniers à les enterrer dans des fosses communes».

James Bamford, dans son livre Body of Secrets.

 

«Ils n’ont pas pleuré. Ils étaient sous le choc. Tout était fini en quelques minutes».

Le général israélien à la retraite Arieh Biro, parlant des 49 soldats égyptiens pris prisonniers en 1956, avant d’être tués de sang-froid par les Israéliens.

 

«Il y a eu beaucoup d’incidents durant la guerre de 1967, où des soldats égyptiens ont été tués par les troupes israéliennes, après avoir levé les bras en signe de reddition. Ce n’était pas une politique officielle, mais il y avait une atmosphère comme quoi c’était OK d’agir de la sorte. Certains commandants ont décidé de le faire, d’autres non. Mais tout le monde en était au courant».

L’historien israélien Uri Milstein

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La liquidation des soldats égyptiens en 1967 n’est pas le seul crime de guerre israélien

«Ben Eliezer a un long registre à son actif»

Uri Avnery, écrivain et journaliste israélien,
militant des droits palestiniens et pacifiste convaincu

Al-Ahram: Avez-vous vu ce documentaire L’esprit de Shaked à l’origine de cette affaire ?

Uri Avnery: Certainement. D’ailleurs, nous savons qu’à la fin de la guerre de juin 1967, un grand nombre de soldats égyptiens ont été tués dans le Sinaï pendant leur retrait en direction du Canal de Suez. C’est un fait bien établi. Mais la question qui s’est posée était de savoir si l’armée israélienne avait dû oui ou non leur donner de l’eau puisque nombreux d’entre eux sont morts de soif et d’épuisement. Un tel comportement se rapproche beaucoup d’un crime de guerre. Nous l’avions appris à l’époque, mais l’on ne pouvait pas le publier étant donné la censure militaire qui a interdit de diffuser de telles informations. A l’époque, j’étais le rédacteur en chef d’un hebdomadaire et je n’ai pas réussi à publier le fait. Ce n’était d’ailleurs pas le premier crime de guerre de ce genre contre les soldats égyptiens. En 1956, Rafael Eitan, qui est devenu chef d’état-major, a permis à ses troupes de tuer un grand nombre de soldats égyptiens entre Charm Al-Cheikh et Al-Tor, dans le Sud-Sinaï. Ils étaient pris en tenailles entre le bataillon israélien qui avait envahi Charm Al-Cheikh à partir des frontières orientales et les paras commandés par Eitan, connus sous le nom de Raful, après avoir progressé d’Al-Tor au sud.

Un même scénario s’est répété en 1956 lorsque les Britanniques et les Français ont attaqué le Canal de Suez. Un grand nombre de soldats égyptiens se sont trouvés encerclés entre Israéliens et Franco-britanniques. C’est ce qui a poussé le commandement égyptien à ordonner à ses troupes de se retirer sur la ligne du Canal de Suez le plus rapidement possible pour qu’elles ne soient pas liquidées. La chose s’est répétée en 1967.

Le document souligne que c’est Benyamin ben Eliezer, actuel ministre des Infrastructures, qui a conduit l’opération de liquidation des soldats égyptiens en 1967. Etiez-vous au courant de ce fait ?

– Non, je ne le savais pas. Mais Ben Eliezer a, à son actif, un long registre, lorsqu’il commandait les troupes israéliennes en Cisjordanie en juin 1967, puis, lorsqu’il est devenu le responsable des contacts avec le Parti des Phalanges au Liban. C’est lui qui a préparé l’invasion israélienne du Liban en 1982.

Dans le film, il y a ces témoignages selon lesquels les avions israéliens survolaient les soldats égyptiens, les poursuivaient dans le désert puis les mitraillaient. Est-ce un fait avéré ?

– Oui. C’est une histoire très triste et qui aurait dû être condamnée. Mais je suis sûr qu’aucun membre du commandement militaire israélien de l’époque n’aurait rien fait pour interdire ces pratiques. La seule qui a été soulevée était celle de savoir s’il fallait donner de l’eau ou non aux soldats égyptiens qui se retiraient du Sinaï.

Pensez-vous qu’il faut traduire en justice des officiers ou des soldats de l’unité Shaked ?

– S’il y a des gens qui le veulent en Egypte, pourquoi pas ?

Selon la loi israélienne, les Egyptiens ou les activistes des droits de l’homme israéliens peuvent-ils mener une poursuite judiciaire pour la liquidation des prisonniers égyptiens ?

– La loi israélienne n’est pas claire en ce qui concerne cette question, d’autant plus que les soldats n’ont pas parlé de capture ou du meurtre de soldats égyptiens. Cependant, la loi israélienne, tout comme le droit international, interdit l’exécution des prisonniers de guerre. Et si une personne donne l’ordre de tuer des prisonniers de guerre, cela serait illégal et aux soldats de ne pas lui obéir. Mais si les soldats avaient reconnu les faits, cela serait devenu automatiquement un crime de guerre. Ceci parce que, comme je viens de l’affirmer, la loi israélienne et le droit international interdisent de tuer les prisonniers.

Mais je n’ai pas d’informations suffisantes sur les conditions de cette opération. Il faut donc consulter un expert juridique.

 

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L’unité militaire auteure du massacre des soldats égyptiens
a toute une histoire faite de cruauté et d’indiscipline

Un commando sans foi ni loi

Aliaa Al-Korachi, correspondante de Al-Ahram Weekly (N° 653)

Rouah Shaked ou l’esprit de Shaked, ce film à l’origine de toute la colère aujourd’hui envers Israël, tire son nom d’une unité de l’armée israélienne. Shaked... c’est l’abréviation en hébreu des «Shomry Kad Drom», ou les gardes-frontières de la ligne sud. Cette unité de commandos israéliens aurait commis des atrocités lors des guerres avec l’Egypte, en tuant notamment quelque 250 soldats égyptiens, dans le désert du Sinaï, après la fin de la guerre de 1967. Selon les observateurs, cette liquidation à sang-froid ne serait pas la seule commise par cette unité. Une observation tout à fait convaincante si l’on suit le début de cette unité formée en 1953 et attachée au commandement central de l’armée israélienne, puis deux ans après au commandement sud, c’est-à-dire à la frontière avec l’Egypte. Cette décision a été prise par Ariel Sharon dont le nom ne laisse aucun doute sur les activités qu’aurait mené cette unité.

A ce moment, cette unité portait le nom de «l’unité 101». Sa mission principale était d’empêcher les opérations de fedayins, lancées à partir de la Jordanie et de L’Egypte. Elle était formée au début de 25 commandos, dont des Druzes et des Bédouins. Selon l’armée israélienne, elle-même, ces combattants n’étaient pas très disciplinés et ont mené des actes indépendamment de l’armée, de telle sorte que Moshé Dayan a dit: «Cette unité va mener Israël vers l’impasse». Ainsi, deux massacres portent son sceau, celui de la ville de Kabeya, tout proche de la Galilée, où l’unité 101 a assassiné plus de 65 civils et des dizaines d’autres dans la ville de Nahalin.

Sa mauvaise réputation a poussé le gouvernement israélien à la dissoudre avant qu’elle ne voie de nouveau le jour avec la guerre de 1967. Cette fois-ci, l’unité change de nom et aussi de chef. Shaked est désormais son nom et son commandant, auquel les Israéliens attribuent le mérite de l’avoir disciplinée, n’était que Fouad ben Eliezer ou aujourd’hui Binyamin ben Eliezer, actuel ministre des Infrastructures. Il dirige l’unité depuis 1967 et durant la guerre d’usure jusqu’en 1970. C’est lui qui est aujourd’hui accusé d’avoir donné l’ordre de liquider les soldats égyptiens, on dit même qu’il marquait leur nombre sur son pantalon.

 

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Fouad Riyad, ancien juge au Tribunal sur l’ex-Yougoslavie, appelle à la formation d’une commission d’enquête pour vérifier si Israël a commis un massacre contre des soldats égyptiens

«Ces crimes sont tout à fait identiques à ceux commis en Bosnie»

Entretien conduit par Chaïmaa Abdel-Hamid, Journaliste de Al Ahram Weekly

Al-Ahram: Est-ce que les accusations lancées contre Israël peuvent s’inscrire dans le cadre des crimes de guerre ?

Fouad Riyad: Ces crimes sont tout à fait identiques à ceux commis en Bosnie. Ce qu’ont commis les Israéliens est un crime de guerre, un crime contre l’humanité. C’est pourquoi je demande d’appliquer sur Israël la même méthode que celle qui a été suivie dans le cas de l’ex-Yougoslavie. Il s’agit de créer une commission d’enquête à travers laquelle il serait question de s’assurer des faits, de rassembler les témoignages et de collecter le plus de preuves possible. C’est un processus sensible qui doit être mené en profondeur pour désigner la personne coupable, ou celle à la tête du crime, comme ceci était le cas en Yougoslavie où Milosevic a failli être condamné pour génocides pour ne pas avoir essayé de les empêcher. Il est très important de savoir que ceux qui ont commis les crimes ne sont pas uniquement les soldats, mais aussi leur chef qui aurait pu empêcher ce massacre. Il ne l’a cependant pas fait.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des accusations de massacres sont lancées à l’encontre d’Israël. Pourquoi, selon vous, l’affaire a-t-elle pris cette fois-ci une dimension plus importante ?

– C’est le documentaire Rouah Shaked qui a provoqué tout ce tollé. Il a remis à la surface des crimes dont on parlait depuis très longtemps, depuis les guerres de 1956 et de 1967. Il y avait toute une liste de témoignages recueillis depuis les années 1970 et 1980 lorsque plusieurs Egyptiens sont revenus du front. Leurs aveux étaient terrifiants. Ils affirmaient avoir vu leurs collègues torturés, écrasés par des chars ou vidés de leurs organes. Tout ceci a suscité une grande amertume et une colère chez les Egyptiens. Le problème, c’est que ces témoignages, jusqu’à présent, étaient restés sans preuves concrètes et sont par la suite passés au tiroir. Mais ces longues années de silence ont enfin été interrompues.

Quelles sont les démarches qui doivent être entreprises pour prouver la véracité de ces crimes ?

– Il faudrait lancer la recherche pour savoir d’abord si ces crimes ont vraiment été commis et par la suite, poursuivre les responsables. Une véritable enquête doit voir le jour pour collecter le plus d’éléments possibles qui viendront s’ajouter aux images diffusées dans le film et aux déclarations des témoins, pour s’assurer que ces crimes sont vrais. Si ces accusations s’avèrent vraies, c’est alors que nous pouvons demander que les responsables de ces crimes soient jugés. Et si l’on prouve le contraire, on aura au moins rassuré le peuple égyptien.

Et quelles sont les voies par lesquelles nous pouvons les traduire en justice ?

– Suite à la commission d’enquête, nous pouvons, pour le moment, commencer par un premier pas qui est d’intenter un procès dans les tribunaux égyptiens pour demander la punition de ceux qui ont perpétré ces crimes. On peut aussi recourir à la justice israélienne qui se vante toujours d’être équitable. Il est peut-être temps de les mettre en examen et de leur demander de poursuivre ces criminels en justice.

Et sur le plan international ?

– Nous pouvons faire appel à un tribunal international ad hoc, qui serait établi par le Conseil de sécurité. Mais ceci reste une solution difficile car il va se heurter au veto américain qui défend toujours Israël. Nous pouvons alors nous adresser à l’Assemblée générale. On doit d’abord procéder à une sorte de sensibilisation, c’est-à-dire s’adresser à toutes les organisations internationales et à tous les pays pour essayer d’avoir leur assistance. Il faut aussi essayer d’atteindre les publics, non seulement les gouvernements, pour obtenir l’appui nécessaire à la question. Un procès dit populaire international qui, normalement, est mené par des organisations civiles, des organisations juridiques d’ex-premiers responsables et d’anciens juges pourrait avoir lieu. Il s’agit de faire un jugement populaire et de faire appel à des témoins. Ceci a été le cas en Egypte lorsque l’Union arabe des avocats a jugé Blair, Bush et Sharon comme criminels. Même s’ils ne sont pas condamnés, c’est un moyen de conserver leurs crimes dans l’Histoire.

Le film et les témoignages sont-ils suffisants pour poursuivre Israël en justice ?

– Bien sûr que ces preuves ne sont pas suffisantes. Mais nous pouvons dire que nous avons vu le sommet de l’iceberg et il est vraiment souhaitable de continuer à creuser pour essayer de trouver d’autres preuves plus fortes. C’est justement pour cette raison que j’insiste à ce que la commission d’enquête soit créée. Il faudrait essayer d’authentifier les preuves et de ne pas perdre de temps. C’est ici que vient donc le rôle de la Ligue arabe, du gouvernement égyptien et du ministère de la Justice qui doivent agir rapidement et sur tous les fronts pour réunir le plus de preuves dans les plus brefs délais.

(16 mars 2007)

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