| Débat   
 
  
                
                 Hitler,
          les Arabes et les Juifs Nora
          Benkorich * Nora
          Benkorich recense ici les ouvrages suivants: Gilbert Achcar,
          Les Arabes et la Shoah,
          Paris, Sindbad, 2009, 525 p.; Matthias Küntzel,
          Jihad et Haine
          des Juifs,
          L’œuvre éditions, 2009, 238p. Martin Cüppers et Klaus-Michaël
          Mallmann, Croissant
          fertile et croix
          gammée,
          Éditions Verdier, 2009, 352 p.   *****  Depuis
          quelques années, les travaux historiques consacrés au thème de la
          réception arabe de la Shoah et, plus généralement, des relations
          entre le monde arabo-musulman et l’Allemagne nazie, se multiplient
          et font débat. Dans ce sillage, l’ouvrage de Gilbert Achcar, Les
          Arabes et la Shoah,
          sorti en octobre 2009, se distingue tant par l’ampleur et la
          variété de sa bibliographie et de ses sources, que par ses efforts
          de conceptualisation, ses qualités scientifiques et, surtout, son
          souci constant
          de neutralité axiologique. Cette
          exigence méthodologique, qui devrait être une priorité dans tous
          les travaux ayant des prétentions scientifiques, mérite d’être
          soulignée, car les ouvrages consacrés à cette question ont une
          fâcheuse tendance à la contourner, voire à la mettre au placard.  On
          peut citer, pour illustrer ce triste état de fait, les ouvrages Croissant
          fertile et Croix gammée de Martin Cüppers et Klaus Michaël
          Mallmann ainsi que Jihad
          et haine des Juifs de Matthias Küntzel, tous deux sortis en France
          en même temps que le livre de Gilbert Achcar.  Le
          premier, traduction française de l’original allemand paru en 2006,
          présente un monde arabo-musulman uniforme, monolithique, unanimement
          antisémite, antisioniste et pronazi. Dominique Trimbur observe
          avec justesse une «véritable
          malhonnêteté intellectuelle et scientifique de la part des auteurs.
          En effet, ce qui est décrit, ce n’est pas une politique, ce ne
          sont pas les relations entre l’Allemagne nazie et le monde
          arabo-musulman, ce n’est qu’un ensemble de représentations mises
          bout à bout, devant faire office de tableau complet».
          Il ajoute, à juste titre, que «le
          recours par trop exclusif à une seule source archivistique, à
          savoir les archives nazies, ne peut en aucun cas servir à dresser un
          tableau complet, cohérent, équilibré et représentatif, tel qu’il
          est prétendument ambitionné par les auteurs».[1]  Le
          second,
          Jihad et haine des Juifs,
          s’inscrit dans cette même veine. Le choix très sélectif des
          sources et le recours à des affirmations douteuses laissent le
          lecteur perplexe. S’ajoutent des jugements de valeurs qui n’ont
          pas leur place dans un livre d’histoire: prétendre qu’un «musulman
          orthodoxe» est par nature «hostile
          à la science» est
          la preuve d’une méconnaissance totale de la culture islamique.
          Plus choquantes encore sont les railleries sur les rites
          et les croyances musulmanes, telles
          que: «Les
          islamistes considèrent que baisser la tête jusqu’à la poussière
          du sol est signe de spiritualité» Küntzel
          fait référence à la prière, qui d’ailleurs n’est pas une
          pratique islamiste mais islamique et constitue l’un des cinq
          piliers de l’islam. Autre
          jugement: «Le
          Coran offre même au plus pauvre des croyants la consolation de
          dominer les femmes et la permission de participer aux purges
          religieuses» (p. 146).   Comment ne pas y voir autre
          chose qu’un sentiment islamophobe ou une farouche inimitié de
          l’islam et de ses rites ?  Ce
          qui est inquiétant, c’est que l’ouvrage de Cüppers et Mallman
          émane d’une institution officielle allemande – le Ludwigsburg, chargé de la poursuite des criminels de guerre et
          censé produire des travaux de référence – et que celui de Küntzel a été traduit dans une dizaine de langues
          et a reçu le prestigieux Independant
          Publisher Book Award (États-Unis)… Quel enjeu ?  L’enjeu
          principal du débat historique suscité par ces publications consiste
          à mesurer la responsabilité des Arabes et des Musulmans – en particulier celle des Palestiniens – dans la mise en œuvre de la Shoah. On l’aura compris, les auteurs
          des deux ouvrages que je viens de citer établissent, par un procédé
          classique d’essentialisation du monde musulman, un réquisitoire
          accablant et sans nuances de cette responsabilité que l’on
          pourrait résumer ainsi: l’atavisme antisémite des musulmans les a
          prédisposés à se faire unanimement les instruments de
          l’extermination des Juifs.  Il n’est guère surprenant
          de constater que les partisans de cette lecture essentialisante de
          l’histoire s’appuient sur la figure du Grand mufti de Jérusalem
          Amin al-Husseini pour conforter leur thèse. La collaboration entre
          le Troisième Reich et le mufti qui d’ailleurs, dans ses mémoires,
          n’a jamais tenté de dissimuler sa fascination pour le nazisme, est
          un fait avéré et n’est guère contesté. Toutefois, les raisons
          invoquées pour justifier cette alliance sont moins nettes.   Henry
          Laurens y voit «une grande part d’opportunisme politique, même
          s’il a certainement été très sensible aux multiples égards que
          les responsables nazis lui ont prodigués» [2].
          De son côté, Gilbert Achcar, qui assimile souvent les relations
          entre le Troisième Reich et les nationalistes arabes à une alliance
          tactique – fidèle à l’adage «l’ennemi de mon ennemi est mon
          ami» –, ne lui accorde pas même ces «circonstances atténuantes»:
          il est convaincu que le mufti a collaboré au nazisme par affinités
          idéologiques. Le mufti et le Troisième Reich  Le portrait qu’Achcar
          brosse du mufti est celui d’un «égocentrique mégalomaniaque»
          (p. 231), accusé d’avoir exploité l’autorité religieuse que
          lui conférait son titre de mufti pour défendre une «pseudo-identité
          commune de vues entre le nazisme et la religion islamique» sur la
          question juive (p. 249) et d’avoir activement soutenu le régime
          national-socialiste – notamment en contribuant en personne à la
          formation et à l’encadrement des divisions SS bosniaques Handschar
          et Kama, créées en 1943 (qui en réalité ont plus servi à lutter
          contre les Serbes que contre les Juifs). Achcar rappelle par ailleurs
          qu’al-Husseini s’est employé à diffuser dans le monde
          arabo-musulman un discours antijuif – il évoque certains de ses
          nombreux brûlots exhortant au meurtre des Juifs, fondés sur une
          utilisation sélective du corpus islamique et sur la littérature
          européenne antisémite.  Nul
          besoin de s’attarder sur la responsabilité du mufti: il est
          coupable d’avoir versé dans l’antisémitisme primaire et est
          unanimement cloué au pilori des «activistes collabos». Ce qui en
          revanche est contestable, c’est le procédé de métonymie employé
          par les «essentialistes», qui consiste à prendre la partie pour le
          tout, c’est-à-dire le mufti pour le monde arabo-musulman. Ce
          raccourci simpliste conclut que le monde arabo-musulman est coupable
          d’avoir collaboré avec les nazis et d’avoir voulu tuer des Juifs
          parce que le mufti l’a fait… Il est surprenant de voir qu’un
          philosophe et historien des idées comme Pierre-André Taguieff, qui
          nous a habitués à des syllogismes mieux charpentés, ait cédé à
          cette tentation. En effet, dans la préface qu’il consacre à
          l’ouvrage de Küntzel, Taguieff affirme, en conclusion de trois
          pages décrivant les rapports entre al-Husseini et les nazis, que
          «l’une des principales conséquences de cette politique d’alliance
          entre le nazisme et le monde arabo-musulman aura été “la
          convergence de l’antisémitisme et de l’antisionisme dans le
          régime nazi ” durant la Seconde Guerre mondiale» (Taguieff,
          préface de Küntzel, p. 23), réduisant ainsi le monde
          arabo-musulman dans ses rapports au nazisme à la figure du mufti.
          Cette assertion recèle une accusation hautement plus grave. Tout
          lecteur averti, en s’interrogeant sur la traduction en actes de
          cette prétendue «convergence de l’antisémitisme et de
          l’antisionisme dans le régime nazi», peut difficilement y voir
          autre chose que l’adoption par les nazis de la «solution finale»
          – avant de prendre des mesures d’extermination, les nazis ne
          s’opposaient pas au sionisme, qu’ils voyaient comme un moyen de
          se débarrasser de «leurs» Juifs en les envoyant en Palestine [3].
          En résumé, le mufti – donc aussi le monde arabo-musulman si l’on
          s’en tient à la réduction préalablement établie par Taguieff –
          aurait joué un rôle de poids dans l’adoption de la «solution
          finale» par les nazis. Dans l’état actuel de la recherche, cette
          assertion est improbable, car il n’existe aucune preuve empirique
          permettant de l’ériger en réalité historique. Dans ses mémoires,
          al-Husseini affirme avoir été informé de la «solution finale» au
          cours d’une discussion avec Himmler l’été 1943 [4]
          – ce qui d’ailleurs ne changea rien à sa ligne politique
          collaborationniste. Notons que dans ses écrits postérieurs à la
          Seconde Guerre mondiale, il n’a jamais nié l’existence du
          génocide juif ni le nombre de ses victimes, ce qui donne un certain
          crédit à son propos. Il s’est contenté d’affirmer que cela
          n’était pas «son problème» – la médiocrité morale du
          personnage s’en trouve bien illustrée. Toutefois, s’il s’est
          fait le complice du projet d’extermination, on ne peut
          empiriquement soutenir qu’il en est à l’origine. Notons à cet
          égard que les travaux de Saul
          Friedländer, grand spécialiste de la Shoah, n’évoquent nulle
          part cette hypothèse.  Passons sur le cas du mufti
          qui a déjà fait couler beaucoup trop d’encre pour entrer au cœur
          de l’ouvrage qui nous intéresse. Gilbert Achcar, à contre-courant
          de la tendance «essentialisante», établit un état des lieux bien
          plus contrasté et plus honnête intellectuellement. Il distingue
          quatre grands courants de pensée dominants au Moyen-Orient à
          l’époque de la Seconde Guerre mondiale, dont la collaboration
          et/ou l’acceptation du national-socialisme fut à géométrie
          variable: le «panislamisme réactionnaire», le «nationalisme», l’
          «occidentalisme libéral» et le «marxisme». Panislamisme réactionnaire,
          nationalisme et collaboration  Achcar démontre que le
          courant du «panislamisme intégriste», dans lequel est classé le
          mufti, s’est montré le plus complaisant vis-à-vis du nazisme, en
          dépit des incompatibilités idéologiques inhérentes à son essence
          néo-païenne – le culte d’Hitler, élevé au rang de quasi-Dieu,
          était en effet difficilement compatible avec le principe islamique
          d’unicité divine. Enclins à percevoir le monde comme animé par
          le prisme religieux des premiers siècles de l’islam, les
          panislamistes réactionnaires ont rapidement appréhendé le conflit
          palestinien en termes de guerre de religions opposant les Musulmans –
          et leurs alliés – aux Juifs.  Chez les nationalistes
          arabes, explique Achcar, l’Allemagne nazie, perçue comme ennemie
          de la Grande-Bretagne, a suscité des sympathies d’intensités
          variables, en particulier dans les pays sous domination britannique –
          en Egypte, en Irak et surtout en Palestine, où l’antisémitisme
          était conçu par les plus frustes comme un rempart contre le
          sionisme.  Le Parti syrien nationaliste
          arabe, fondé par le germanophile et admirateur d’Hitler Antoun
          Saadeh, a sans doute été le plus proche du modèle nazi – le
          drapeau de son parti était d’ailleurs calqué sur le drapeau nazi,
          avec les couleurs rouges et noires inversées et une hélice à
          quatre pales à la place de la croix gammée. Achcar affirme que la
          conscience réactionnaire de Saadeh a atteint des sommets
          totalitaires inégalés au Moyen-Orient (p. 128-129). Mais, malgré
          ses excès de zèle, il n’est parvenu à susciter d’intérêt ni
          chez les masses arabes, ni auprès des autorités allemandes – qui
          rejetèrent ses requêtes de soutien, ce qui le conduira à nier par
          la suite toute proximité avec le nazisme.  En
          Égypte, Achcar montre que l’organisation Misr al-Fatât (Jeune
          Égypte), inspirée par la vague montante du fascisme européen, n’a
          guère été prise au sérieux par le régime nazi avec lequel elle
          entretint des rapports en «dents de scie» – ce qui ne l’empêcha
          pas de verser dans l’antisémitisme, en paroles mais aussi en
          actes [5].  Les ultranationalistes
          irakiens, qui au départ assimilaient le nazisme à une forme de
          colonialisme, ont pris un tournant pronazi au printemps 1941, après
          le renversement du putschiste Gaylânî par l’armée britannique.
          Le pogrom Farhûd de juin 1941, fomenté par les putschistes déchus
          décidés à faire des Juifs les boucs émissaires de leur
          frustration, en fut la triste illustration. Toutefois, Achcar précise
          qu’au cours de cet événement, la violence antijuive, perpétrée
          par une petite minorité, fut réprouvée par la population et que
          les émeutiers furent rapidement dispersés par les tirs de l’armée
          irakienne. Notons avec l’auteur que ces cas étaient marginaux: la
          plupart des nationalistes arabes qui se sont rapprochés de Berlin
          l’ont fait moins par connivence idéologique avec le nazisme que
          par haine du colonisateur britannique et par volonté de libérer la
          nation arabe de son joug.  Si la collaboration avec
          l’Allemagne nazie de ces mouvements panislamistes intégristes ou
          nationalistes est un fait établi, elle fut loin de rencontrer
          l’assentiment général. La majorité des indépendantistes
          libéraux, des nationalistes «progressistes» et l’ensemble des
          marxistes rejetaient le nazisme comme négation de leurs valeurs,
          explique Achcar. Ils voyaient en Hitler «le plus grand ennemi de
          l’humanité» (p. 81) et considéraient la Grande-Bretagne comme un
          moindre mal. Indépendantistes occidentaux,
          marxistes et rejet du nazisme  Imprégnés
          du système de valeurs culturelles «modernistes» issues des
          Lumières, les «occidentalistes libéraux» se sont dès le départ
          opposés à la fois au nazisme par humanisme et au sionisme par
          anticolonialisme. Ils condamnaient fermement l’antisémitisme,
          cette «pensée arriérée et sauvage qui consiste à persécuter, au
          nom de la race, les divers éléments qui composent la nation
          entière [6]».
          Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils représentaient
          le courant de pensée le plus influent, y compris en Palestine –
          malgré le succès de l’aile radicale du mouvement national dirigée
          par Amin al-Husseini. Ce fut cette voix qui fut portée au cours de
          la réunion sur la question de la Palestine du 7 octobre 1944 à
          Alexandrie, présidée par les chefs des gouvernements de Égypte, de
          l’Irak, de la Jordanie, du Liban et de la Syrie, comme en témoigne
          la résolution spéciale prononcée à son terme: «nul ne regrette
          plus que [le comité] les malheurs infligés aux Juifs d’Europe par
          les États dictatoriaux européens. Mais la question de ces Juifs ne
          doit pas être confondue avec le sionisme, car il n’y a pas de plus
          grande injustice que de résoudre le problème des Juifs d’Europe
          au moyen d’une autre injustice, c’est-à-dire en infligeant une
          injustice aux Arabes de Palestine» (p. 83).  Pour
          ce qui est des marxistes arabes, Achcar explique qu’ils ont adopté
          cette même attitude de rejet à la fois du sionisme et du nazisme,
          qu’ils percevaient comme les «deux faces d’une même médaille»
          et renvoyaient «dos à dos» [p. 89]. Engagés dans un combat cabré
          contre le nazisme dès l’avènement du Troisième Reich, leurs
          activités furent freinées entre août 1939 et juin 1941 par le
          pacte Ribbentrop-Molotov, considéré par certains comme une grave
          erreur et ouvertement critiqué. Ainsi, le palestinien Najâti Sidqi,
          délégué de l’Internationale syndicale rouge à Moscou, fut exclu
          par des «camarades» en 1940 pour avoir publié une série
          d’articles sur l’incompatibilité du nazisme et de l’islam. En
          termes de classes, ce courant percevait le sionisme comme une
          tentative des «capitalistes juifs» de détourner les «ouvriers
          juifs» des objectifs de la révolution. Par ailleurs, il dénonça
          avec ferveur la «connivence entre sionistes et nazis» sur la
          question palestinienne. Ainsi, dans un discours prononcé en 1943, le
          secrétaire général du Parti communiste Ridwân al-Hilû affirmait
          que «le sionisme considère la terreur antijuive comme bienvenue et
          […] entrave tout projet susceptible d’orienter l’émigration
          vers un autre pays que la Palestine, comme ce fut le cas lors de la
          conférence d’Evian [7]
          […] lorsque […] l’Agence juive s’opposa à tout projet
          susceptible de dévier l’émigration des Juifs de la Palestine,
          préférant qu’ils restent en Allemagne sous la torture, la terreur
          et la privation plutôt que de les transporter ailleurs [8]».  On peut retenir avec Achcar,
          pour jauger l’ampleur du mouvement réfractaire au nazisme dans le
          monde arabe, qu’il y eut globalement plus d’Arabes dans les
          armées alliées ou dans les camps de concentration nazis que de
          volontaires engagés aux côtés de l’Axe. Après la Shoah  La Nakba, l’expulsion des
          Palestiniens consécutive à la création de l’État d’Israël, a
          porté un coup fatal aux occidentalistes libéraux et aux marxistes,
          accusés d’avoir soutenu des gouvernements favorables au sionisme –
          au cours de la guerre de 1948, Staline a fourni la Haganah, bras armé
          de l’exécutif sioniste, en armes. Le panislamisme intégriste a
          été discrédité par la défaite du mufti et par le soutien
          inconditionnel des Saoudiens aux Britanniques. Seule la mouvance
          nationaliste est sortie renforcée par cette épreuve, du moins
          jusqu’à la défaite arabe de 1967, avant de céder devant la
          montée ombrageuse de l’islamisme, illustrée par la révolution
          iranienne de 1979.  À compter de cette période,
          deux paradigmes idéologiques symétriques, l’un d’essence
          néo-sioniste – prééminent chez les intellectuels israéliens –
          et l’autre inspiré de l’islamisme radical – que l’on
          retrouve en Iran –, se sont progressivement imposés. Enfermés
          dans une vision narcissique du passé, du présent, et de l’avenir,
          les porte-parole de ces deux modèles se sont livrés – et se
          livrent encore – à une surenchère déplorable dans la négation
          de la souffrance de l’autre et dans l’exacerbation de sa propre
          souffrance – Nakba contre Shoah.  Les termes de l’équation
          sont tragiques. Cette posture de repli sur soi, d’incapacité à
          faire preuve d’empathie et cette tendance à essentialiser l’autre
          en postulant l’immuabilité de son être, est la désastreuse
          marque de notre époque actuelle sur la question du conflit
          israélo-palestinien – en dehors de quelques esprits qui tentent
          d’y échapper. On comprend combien le recours sélectif, voire
          manipulateur, au passé ne fait que conforter cette situation. Au
          lieu d’une navrante surenchère de victimisation, il faudrait
          arriver à une nécessaire compréhension de la souffrance de
          l’autre, étape indispensable pour parvenir à une vraie
          réconciliation. Dans ce contexte, on ne peut que saluer
          l’exemplarité de l’ouvrage de Gilbert Achcar, qui œuvre dans ce
          sens. *Nora
          Benkorich a publié cette recension dans la Vie
          des Idées.  1.
          Dominique Trimbur est chercheur associé au Centre de Recherche
          français de Jérusalem. Les passages cités sont tirés d’un
          compte rendu paru dans la
          Auschwitz Foundation’s Review.  2. H. Laurens,
          «La Haine de l’autre»,
          L’Orient le jour,
          3 décembre 2009.  3. L’Allemagne
          nazie a d’ailleurs signé un accord de transfert avec le mouvement
          sioniste, l’accord de la Haavara, le 25 août 1933.  4. Amin
          al-Husseini, Mudhakkirat al-Hajj Amin, cité par Henry Laurens,
          La Palestine,
          Fayard, tome 2, p. 469.  5. Jeune
          Egypte fut à l’origine de la campagne d’agitation antijuive de
          1939, qui appelait notamment au
          «boycott du commerce juif».  6. Joseph
          Achcar, cité par Gilbert Achcar, p. 67. Père de Gilbert Achcar,
          Joseph Achcar fut un partisan du courant des «occidentalistes
          libéraux».  7. Au cours de
          la conférence internationale d’Evian, qui s’est tenue en juillet
          1938, les représentants de trente deux pays (dont la France, les
          États-Unis et la Grande-Bretagne) ont affirmé ne pas être en
          mesure d’accueillir de Juifs – le représentant français a par
          exemple expliqué que la France avait atteint «le
          point d’extrême saturation en ce qui concerne les étrangers». 8. Cité par Gilbert Achcar, p. 94.  À ce propos, notons que David Ben
          Gourion, ardent sioniste, a affirmé que «plus dure sera
          l’affliction, plus grande sera la force du sionisme» (Shabtai
          Teveth, Ben Gurion: The Burning Ground, 1886-1948, Houghton Mifflin,
          Boston, 1987, p. 850, cité par Achcar p. 34). (3 août 2010) Haut de pageRetour
 
 case postale 120, 1000 Lausanne 20 Pour commander des exemplaires d'archive:
 
 Soutien: ccp 10-25669-5
 
 Si vous avez des commentaires, des réactions,
 des sujets ou des articles à proposer:
 
 |