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SamBahour

Sam Bahour

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L’Accord de Genève  est une erreur

Entretien avec Sam Bahour, conduit par Silvia Cattori *

Sam  Bahour est un homme d'affaires palestinien de nationalité américaine  qui, déterminé à contribuer au développement de son pays, a décidé, en 1994, de s’établir en Palestine. Alors que n’importe  quelle personne de confession juive peut aller s’installer en  Israël comme bon lui semble, il n’a eu droit qu’à un visa de  touriste qui le contraint à sortir de Palestine chaque mois pour  en obtenir le renouvellement. A l’occasion de la venue du Président  palestinien Mahmoud Abbas à Genève, en visite culturelle, Silvia Cattori a sollicité le point de vue de Sam Bahour sur l’utilité  de l’Accord de Genève et l’opportunité de ce genre de  rencontres, à un moment où le peuple de Palestine – et de Gaza  en particulier - souffre de la faim et vit sous la menace des opérations  militaires israéliennes les plus terrifiantes.

Silvia Cattori: Comment  l’autorité palestinienne liée au Fatah, peut-elle continuer de  cautionner une initiative de paix, comme l’Accord de Genève,  continuer d’ignorer le fait que toutes les factions l’ont rejetée ? La Suisse a engagé des sommes importantes pour la  promouvoir. Cet argent n’aurait-il pas pu être consacré à  assainir l’eau des gens qui, à Gaza, en sont réduits à boire  une eau insalubre ? Pensez-vous que la Suisse a desservi  votre cause en soutenant une initiative aussi coûteuse?

Sam Bahour: Cette initiative suisse  n’était pas seulement très coûteuse financièrement ;  elle était aussi très coûteuse politiquement ; car les  concessions arrachées aux Palestiniens dans le cadre de ces  accords de Genève risquent de devenir le plancher à partir duquel  toute négociation future devra repartir.

Nul ne devrait se servir du refus d’Israël  de s’asseoir à la table des négociations pour aller négocier  de son côté, avec une toute petite minorité de militants israéliens,  le sort de notre peuple. Les Palestiniens qui ont participé à  des négociations dans le cadre de cette initiative de Genève,  n’auraient jamais dû envisager les choses sous cet angle-là.  Ils ont fait, dans ce cadre, des concessions auxquelles la majorité des factions palestiniennes étaient défavorables. Je ne pense  pas que des Palestiniens servent leur cause en agissant en leur  nom, en se livrant à ce genre de négociations, en faisant des  concessions qui vont encore au delà des nombreuses concessions  que nous avons déjà consenties sans rien obtenir en retour.

Arafat, qui était alors notre leader, a fait  une erreur en soutenant des Accords qui annulaient le droit inaliénable  au retour reconnu par l’ONU, un droit jamais nié par la  communauté internationale. Nous avons fait tant de concessions !  Qu’avons-nous obtenu ? Nous avons un mur d’apartheid qui  traverse notre terre, nous subissons des bombardements et des  assassinats tous les jours.

Pourquoi  dès lors l’autorité palestinienne autorise-t-elle Abbed Rabbo  à aller de par le monde promouvoir cette initiative de Genève,  qui brade le droit au retour, tout en sachant que jamais son  peuple ne l’accepterait ?

Abbed Rabbo est allé négocier  à titre individuel et privé, tout comme l’israélien Yossi Beilin. Il n’a aucune légitimité à représenter le peuple  palestinien. Le fait que des Etats, comme la Suisse ou les  Etats-Unis, donnent une telle importance à des individus qui ne  parlent qu’en leur nom et ne représentent en rien leur peuple,  aboutit à ce que tout le réseau de relation internationale  s’effondre et perd toute sa crédibilité.

La première étape de toute initiative  devrait être d’engager ses efforts et sa volonté politique au  service des exigences fixées par la IVe Convention de Genève. Le  pays dépositaire des Conventions de Genève devrait, au minimum,  faire respecter à l’occupant la loi qui régit l’occupation  et s’assurer que l’occupant ne brutalise pas l’occupé. Tout  le monde peut voir qu’Israël brutalise les Palestiniens. La  Suisse devrait remplir ses obligations ; tout tenter pour  stopper Israël.

Ce que nous attendons de la Suisse, si elle  veut être prise au sérieux, c’est qu’elle soutienne le gouvernement élu en Palestine, et qu’elle ne tombe pas dans le  piège du boycott sous la pression des Etats-Unis.

Plutôt que de continuer d’entretenir des  liens avec des citoyens privés, j’attends de la Suisse  qu’elle s’assure que les gens vivant sous occupation militaire  soient réellement protégés conformément à la loi internationale, et qu’elle utilise toute sa volonté politique  pour amener Israël à respecter ses obligations.

Le  discours  véhiculé par les Palestiniens qui vont à ce  genre de rencontres officielles en Occident –sous la direction  d’Abou Mazen comme hier sous Arafat- que l’on entend souvent  est: «Soutenez-nous, donnez-nous l’argent sinon ce sont  les islamistes qui gagnent». Ce discours est très efficace  mais n’aide pas forcément à construire l’unité nationale en  Palestine !

Il y aura toujours des personnes qui servent  davantage leurs intérêts que ceux de leur peuple. Plutôt que de  négocier de manière séparée et d’agir en dehors des cadres  qui prennent en compte la légalité internationale, il n’y a  qu’une chose à faire: appeler les autorités israéliennes  à mettre fin à cette guerre et à l’occupation de la  Palestine. Il y a un occupant et un peuple occupé. Et il faut se  mettre du côté de la justice et de la vérité historique.

Lors  de ses contacts extérieurs, M. Abbas n’associe pas de représentants  du gouvernement Hamas, ce qui doit passablement fausser le débat.  Le 26 avril 2007, M. Abbas participe à l’inauguration d’une  exposition au Musée d’art et d’histoire de Genève. Il y a  actuellement  une collecte de fonds pour construire un Musée  à Gaza, à l’initiative de la Ville de Genève. Comme on l’a vu depuis l’été passé, Israël a détruit toute  infrastructure à Gaza. Comment les Palestiniens, qui se battent  en ce moment pour leur survie, peuvent-ils ressentir la mise en  place de ce genre de projet ?

Nous devons résister  contre l’occupant et nous battre pour le faire partir. L’art  peut être une manière de résistance. Toutefois, l’art ne doit  pas devenir une priorité alors que les gens souffrent de la faim  et vivent dans l’insécurité la plus totale. La sécurité et  la nourriture sont le problème principal à Gaza.

Aussi, il convient de rappeler à vos autorités  qu’il est urgent d’intervenir pour briser le boycott que  l’on a imposé à notre peuple sous occupation. C’est du  jamais vu. En ce moment à Gaza, la priorité est d’assurer la sécurité  des gens. Donc, pour ceux qui veulent nous aider, la priorité est  de s’assurer que les gens aient de quoi se nourrir, que les  enfants puissent aller à l’école et voir respecter leur droit  à un développement normal.

A Gaza, la société s’effondre, la  situation se dégrade de façon inquiétante. Les gens se battent  pour trouver de la nourriture, les gens ont faim, et Israël les  maintient sous blocus, sous la menace des bombardements, enfermés  comme dans une prison. La priorité des priorités à Gaza,  c’est la sécurité ; c’est d’en finir avec l’étranglement  imposé par l’occupant ; faute de quoi les gens ne peuvent  que se révolter.

Je suis d’accord avec vous, il y a des  priorités. Les priorités majeures doivent être clairement articulées comme préalable à tout  projet.

La plus haute priorité pour tous les  Palestiniens, en ce moment, c’est la sécurité et d’en finir  avec l’occupation. Tous les autres projets – culturels et  d’affaires – peuvent continuer, mais aucun d’eux ne doit déclasser  la priorité à donner à la fin de l’occupation. Lorsque des  institutions prennent des initiatives, elles doivent se préoccuper  de savoir si cela peut aider à mettre fin à l’occupation. Je  suppose que Mahmoud Abbas se chargera de soulever ces questions.

* Entretien conduit par Silvia Cattori, journaliste basée en Suisse

/3 mai 2007)

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