Palestine

L'hôpital Al Quds en feu dans la nuit du 15 au 16 janvier 2006

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Le label désinformation

Côme Gallet *

Une intervention défensive. Depuis les premiers bombardements, le 27 décembre 2008, les médias occidentaux présentent l’action militaire israélienne comme une opération de «légitime défense», en réponse «aux tirs de roquettes du Hamas».

Le 3 janvier 2009, un communiqué de la nouvelle présidence tchèque de l’Union européenne évoquait une riposte «défensive». Avant que le chef de la diplomatie (ministre des Affaires étrangères), Karel Schwarzenberg, ne s’excuse regrettant un «malentendu». Le Hamas est accusé d’avoir rompu la trêve, signée le 19 juin 2008. Cependant, la plupart des journalistes omettent de rappeler qu’Israël ne respecte pas, non plus, les accords passés. En 2005, les derniers colons juifs ont quitté la bande de Gaza, un départ alors interprété comme une avancée. Mais en imposant un blocus économique à ce territoire, les Israéliens privent les Gazaouis de l’aide humanitaire indispensable à leur survie. Un million et demi de Palestiniens vivent entassés dans ce qui est de plus en plus communément considéré comme un «camp de concentration à ciel ouvert».

Avec plus de 3800 habitants par kilomètre carré Gaza est l’une des zones les plus densément peuplées de la planète. Comment ne pas dénoncer l’aveuglement de l’armée israélienne dont l’intention d’éradiquer le Hamas, légitime ou non, se heurte à une telle réalité ? Tous les Gazaouis seraient-ils des combattants djihadistes ? C’est ce que semble penser l’armée israélienne, et ce que reprennent à leur compte les médias occidentaux. Dans les reportages télévisés, certains parallèles sont frappants. Sous couvert de neutralité, les pertes et dégâts sont systématiquement comparés. Dans un exercice de symétrie pour le moins surprenant, les journalistes opposent souvent les morts de chaque camp. Le déséquilibre est pourtant flagrant, avec un ratio d’environ 1 Israélien tué pour 100 Palestiniens !

Guerre sémantique

De son côté, Denis Sieffert, journaliste et co-auteur avec Joss Dray de La Guerre israélienne de l’information (Editions La Découverte, 2002), s’insurge contre une couverture médiatique «très déséquilibrée». Selon lui, les tirs de roquettes du Hamas sur le sud d’Israël, cause initiale de l’offensive militaire, n’ont dans les faits réellement repris qu’en novembre dernier, après les raids meurtriers de l’armée israélienne sur Gaza. Pourtant en six mois, entre le début de la trêve et les représailles des mouvements palestiniens, moins d’une vingtaine de roquettes ont été tirées. La reprise des tirs n’est que la tragique conséquence de cette énième incursion de l’armée israélienne en territoire palestinien. Malgré ces faits indiscutables, l’ensemble de la presse continue d’employer le terme de «riposte», pour qualifier cette offensive. Le lendemain de l’attaque, la plupart des journaux français reprenaient le titre de l’AFP «Israël frappe le Hamas à Gaza», comme si les Hamassis vivaient séparés du reste des Palestiniens. Et les victimes civiles, représentant selon certaines sources environ un tiers des tués, sont simplement qualifiées de mort «accidentelle» ou même «collatérale».

Mais la guerre sémantique ne s’arrête pas là! Mardi 6 janvier 2009, une école dirigée par les Nations-Unies était bombardée, tuant quarante personnes. Plutôt que de crier au massacre ou à la bavure devant de telles images, les médias ont sobrement déploré une «catastrophe humanitaire» et dénoncé une riposte «disproportionnée».

Le même jour, la CNN (chaîne d’information des Etats-Unis) rapporte l’attaque sans l’illustrer par des images. Un peu plus tard, la chaîne d’information américaine reprend mot pour mot la tentative de justification israélienne : «Le Hamas utilise les civils comme des boucliers humains».

Le démenti de l’UNRWA et des Nations-Unies, assurant qu’aucun membre du Hamas ne se trouvait dans l’enceinte de l’école, ne trouve pas de place dans ce bulletin d’information. La BBC, elle, ne diffuse qu’une trentaine de secondes de la scène de l’école. «Israël prépare une justification», explique même son correspondant à la frontière entre Gaza et Israël. Immédiatement après, la chaîne télévisée britannique enchaîne sur des images des cratères dus aux roquettes palestiniennes, tombées sur le sud d’Israël. La chaîne se voit plus tard obligée, avec la multiplication des images des victimes civiles, de changer de ton.

Quant aux manifestations de soutien à la cause palestinienne, véritables marées humaines par endroits, qui envahissent les capitales à travers le monde, la CNN les justifie en invoquant une montée du lobby islamiste. Et pour soutenir cette idée, quel meilleur invité que l’ambassadeur israélien à Londres ? Omission volontaire ou non, n’est-ce souvent la gauche qui organise ces défilés de protestations ?

Des morts censurés

Autre exemple, les reportages d’Al-Aqsa, télévision du Hamas, sont accusés «d'utiliser des images d’enfants morts ou blessés pour sa propagande». En revanche, le journaliste de la CNN en visite à Sederot, explique sans complexe que par peur des roquettes «les enfants israéliens ne peuvent plus aller à l’école». Qu’en est-il des enfants de Gaza qui ne peuvent plus vivre ? Pas un seul mot! France 24 (chaîne d’information du groupe France Télévision) n’échappe pas à la règle. Les images des blessés pour ne pas parler de celles des morts : c’est certes trop dur pour les sentiments des Français ! Chaque correspondance de Gaza est suivie d’une intervention d’un responsable israélien pour répéter la même propagande, souvent teintée de mauvaise foi : «Nous combattons le terrorisme», «Nous ne sommes pas en guerre contre les Palestiniens, mais contre le Hamas», «Ils visent des civils. Nous ne ferons pas ça». Heureusement, les peuples ne tombent pas dans ce piège politiquement incorrect.

Dans l’ensemble, les médias occidentaux se font souvent écho du processus de victimisation mis en place par Israël.

Ils évitent soigneusement de présenter l’Etat hébreux comme «occupant» ou de rappeler que les Palestiniens du Hamas et d’autres factions mènent «un mouvement de libération nationale». Le mot «occupation», est comme tabou pour ces médias qui se disent neutres. En France, la presse succombe encore trop fréquemment à la pression des lobbyistes qui «dénoncent la remontée de l’antisémitisme en France». Pourquoi pas puisque, comme le souligne le Conseil représentatif des institutions juives de France, il y a antisémitisme dès que l’on «diabolise Israël». Une assimilation qui n’interpelle pas la presse.

A leur décharge, la presse internationale est victime d’un véritable «blocus médiatique», donnant l’impression d’une guerre à huis clos. Depuis la précédente incursion de l’armée israélienne dans Gaza, les accréditations de presse étaient déjà délivrées au compte-gouttes. Depuis le 27 décembre 2008, les journalistes sont tout simplement interdits d’entrer, officiellement pour des raisons de sécurité. Jeudi 8 janvier, trois Israéliens et un Anglais de la BBC ont été les premiers à se rendre sur les lieux d’affrontements. Mais uniquement en tant que «embedded» (embarqué par l’armée israélienne).

Leurs collègues sont contraints de suivre les combats à environ deux kilomètres derrière les positions militaires israéliennes, au milieu des badauds. Les correspondants qui résident dans la bande de Gaza, essentiellement les représentants des agences de presse, sont les seuls professionnels de l’information à pouvoir exercer leur métier sur le terrain. Ils ont la lourde tâche de contrebalancer la propagande israélienne, menée par Tsahal. Israël ne manque pas d’accuser ces journalistes de soumission au Hamas, par la rhétorique suivante : «Les vidéos de Gaza sont celles du Hamas». Mais les victimes, notamment civiles, même filmées par l’organisation islamiste, sont bien celles de l’Etat d’Israël.

* Côme Gallet a publié cet article dans l’hebdomadaire Al Ahram (Le Caire) du 15-22 janvier 2009.

(16 janvier 2009)

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