Palestine

 

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Israël: «Une entreprise coloniale,
qui ne fait qu’aggraver la situation»

Entretien avec Akiva Orr * 

Il y a une série de choses qui se sont passées au cours des récentes élections israéliennes. Il y a d'abord eu un glissement vers la droite du champ politique. Et il y a eu l'effondrement presque complet de la gauche sioniste. Pourquoi cet effondrement?

Pour moi aussi cela a été une énigme. En effet, comment cela se fait-il que parmi les électeurs traditionnels de la gauche, des kibbouzim et des moshavim [1], qui pendant 50 ou 60 ans ont toujours voté travailliste ou pour le Meretz, on repère tout d’un coup des votes des votes pour Avigor Lieberman [diriegant de l’ultradroitier parti Israël Beiteinou] ou pour Tzipi Livni [du parti Kadima fondé par Ariel Sharon].

Quelques journalistes sont allés discuter avec ces gens, afin de chercher pourquoi ils avaient voté ainsi. Et c'est ainsi que les questions que je me posais ont trouvé leurs réponses.

Lorsque Sharon a quitté la Bande de Gaza [septembre 2005] et a évacué des colons, la plupart des Israéliens, je dirais environ 70% d'entre eux, étaient favorables à ces mesures. Ils disaient: «Voyez, la séparation est bien, ils seront là-bas et nous serons ici, et si nous leur donnons des terres, ils nous donneront en retour la paix». C'était censé être le début du retrait, le pas suivant devait être la Cisjordanie.

Mais ensuite sont venues les élections palestiniennes, que le Hamas a gagné. Or, le Hamas ne veut bien sûr pas reconnaître Israël, et Israël ne veut pas reconnaître le Hamas. Alors [les Israéliens] ont décidé de «donner une leçon» aux Palestiniens pour [les punir] d'avoir voté comme ils l'ont fait [2]. Ils ont renforcé le blocus sur la Bande de Gaza... et après le conflit avec le Fatah [3] ils l'ont resserré encore davantage.

Le Hamas a riposté en lançant des roquettes sur Israël. A de nombreuses reprises, le Hamas a dit: «Si vous levez le blocus on arrêtera les tirs de roquettes». Mais la presse israélienne n'a pas rapporté ni que le blocus avait été renforcé, ni que le Hamas avait proposé d'arrêter les tirs de roquettes si le blocus était levé. Les gens en Israël n'étaient pas au courant de ces données. Personne ne savait que le Hamas avait dit que les tirs de roquettes cesseraient si Israël levait le blocus. Personne n'était au courant du fait qu'Israël avait resserré le blocus pour dire aux Palestiniens: «Voyez, vous avez voté pour le Hamas, et votre situation s'est aggravée».

La plupart de ces Israéliens qui n'étaient pas au courant de ce qui se jouait derrière la scène, ont donc réagi en disant: «Nous pensions que la formule des 'terres en échange de la paix' pouvait fonctionner, mais en échange des terres [que nous avons cédé] nous avons reçu non pas la paix mais des roquettes’.

Alors ils ont abandonné cette formule, qui était évidemment celle de la politique de la gauche sioniste. Par contre, la politique de la droite sioniste est de frapper fort, jusqu'à ce qu'ils hurlent, pour les obliger à mieux se comporter. Alors, ils ont voté pour la droite, pour Lieberman, etc. avec cette logique qui consiste à penser que plus on les frappe fort, plus ils se tiendront tranquilles.

Vu que beaucoup d'Israéliens ont abandonné la formule «terre en échange de paix» et qu'il y a presque un demi-million de colons dans les Territoires occupés de Cisjordanie, pensez-vous qu'une solution à deux états soit encore possible?

Je pense que les Etats-Unis vont mettre la pression sur Israël pour la création d'un Etat palestinien et pour qu'ils acceptent quelque chose comme le Plan saoudien, qui propose la paix et l'acceptation de l'existence de l'Etat d'Israël dans le Moyen Orient en échange, fondamentalement, du retour aux frontières de 1967...

Mais je n'aime pas la solution des deux Etats. Je voudrais une solution d'un Etat: un Etat où tous les habitants ont les mêmes droits, indépendamment de leurs origines ethniques. En ce qui me concerne, le Premier Ministre peut être un Arabe. Ce qui m'importe, c'est sa politique et non son origine...

Le problème principal d'une solution de deux Etats est qu'elle implique des Etats fondés sur une appartenance ethnique. Un Etat est l'unité administrative d'une population, les gens devraient pouvoir y conserver leur identité culturelle en ayant des institutions séparées. L'Etat ne devrait pas incarner une identité particulière, il devrait soutenir différentes identités culturelles. Et ceci de-sioniserait Israël.

Au cours des dernières années, beaucoup de Juifs partout dans le monde sont devenus beaucoup plus critiques à l'égard du sionisme et de l'idée d'un «Etat juif». Etant donné l'influence qu'a la diaspora juive sur Israël, que peut faire, à votre avis, ce nombre croissant de Juifs anti- et post-sionistes pour pousser les choses dans la direction que vous évoquez ?

Qu'ils critiquent le sionisme, ce serait bien. Regardez ce que le sionisme a créé! Israël est maintenant un des endroits les plus dangereux pour les Juifs qui y vivent. Israël était censé constituer un refuge, mais ce pays qui a été créé est constamment en guerre et constamment au bord de l'extinction... Ils créent ce minuscule pays, qui est vulnérable à des roquettes de longue portée et ensuite ils demandent à tous les Juifs du monde de venir vivre ici. Pourquoi se mettraient-ils ainsi en danger?

Ils disent que c'est un Etat juif dont le but est de préserver l'identité juive. Par quel moyen? En écrivant en Hébreu? En ayant une littérature hébraïque? L’Hébreu n'a jamais été l'élément unificateur du Judaïsme. Les Juifs partout dans le monde parlaient plusieurs langues et ils conservaient une cohésion à cause de leur croyance religieuse, et non à cause d'une langue. Ils ne savaient pas cette langue. C'était une langue morte. Ils prononçaient les mots dans leurs prières, sans en comprendre la signification. Mais ils n'étaient pas liés par quelque chose de biologique. Il n'y a rien dans l’ADN qui vous identifie en tant que Juif. Les Juifs sont unis principalement par la pratique religieuse quotidienne de 613 règles religieuses. Si ces règles disparaissent, alors l'identité juive se désintègre, et l'Etat d'Israël, qui n'est pas un Etat religieux mais laïque, ne résout pas le problème.

En fin de compte, du point de vue juif, le sionisme est donc fondamentalement un échec. Il n'a pas apporté la sécurité ni préservé l'identité juive. Au lieu de cela, le sionisme a créé une nouvelle identité: "l'israélité" – qui n'est pas une identité juive... Comme le disait quelqu'un, l'Israélien est plutôt un non-Juif qui parle Hébreu, et qui a très peu en commun avec les Juifs de la diaspora.

En fait, en Israël la plupart des Israéliens ne sont pas sionistes, parce que le sionisme avait surtout pour objet l'émigration vers Israël. Pour quelqu'un qui est né en Israël, le sionisme ne représente pas grand-chose. Le sionisme est essentiellement le nationalisme des Juifs de la diaspora, mais les Israéliens considèrent que les Juifs américains ont de la chance de vivre en Amérique. D'après le sionisme, tous les Juifs du monde devraient venir en Israël. Or, pour la plupart des Israéliens, s'ils avaient une opportunité d'aller en Amérique aujourd'hui, ils iraient... Le sionisme est donc mort en Israël. La plupart des Israéliens ne sont pas, de fait, sionistes.

C'est en dehors d'Israël que le sionisme vit... Beaucoup de Juifs en dehors d'Israël souhaitent que leur identité soit liée à Israël. Mais que se passe-t-il lorsqu’Israël commet des atrocités? Ils se sentent impliqués. Beaucoup de ces gens se sentaient très gênés devant les photos de Gaza il y a quelques semaines. Or, pourquoi souffriraient-ils à cause d'une politique et d'actes dont ils ne sont pas responsables? Pourquoi ce fardeau? Il faudrait qu'ils coupent leurs liens émotionnels avec ce pays, qu'ils laissent tomber cet Etat fou, cette entreprise coloniale, qui ne fait qu'aggraver la situation.

En Hébreu nous avons une expression: nisu, nichshalu. Essayé, échoué. Le Sionisme:  nisu, nichshalu. (Traduction A l’encontre)

* Akiva Orr a publié plusieurs ouvrages, dont The Un-Jewish State: The Politics of Jewish Identity in Israel ; The Other Israel: The Radical Case against Zionism et Direct Democracy Manifesto. Akiva Orr est né en 1931 à Berlin. Il a émigré en Palestine en 1934 avec sa famille. En 1948, il a servi dans la marine israéloienne. Il a étudié les mathématiques et la physique. Il rejoigny le PC israélien en 1953, puis a rompu en 1962 avec ce parti et participa à la création du Matzpen, une organisation anti-sioniste. L’entretien a été conduit par Correy Balsam pour l’AIC (Tne Alternative Information Center).

1. Moshav: communauté agricole avec une dimension de coopérative et de décision collective ; l’Etat met la terre à disposition du mochav. (Réd.)

2. Le Hamas lors des élections législatives de janvier 2006 a obtenu 56% des élus ; le Fatah 34% des élus. Au niveau du nombre de voix la différence était moindre: Hamas 41% ; Fatah: 36%.  (Réd.)

3. Dès février 2006 Israël applique des sanctions. Le gouvernement israélien, en fin février 2006, annonce qu’il ne négociera pas avec le Hamas, tant que celui-ci n’aura pas renoncé à la lutte armée contre l’occupation, reconnu l’Etat d’Israël et accepté les accords d’Oslo. L’administration de G.W. Bush soutient cette politique et boycotte le nouveau gouvernement palestinien. En avril 2006, l’UE et Washington annoncent la suspension de l’aide directe au gouvernement palestinien. Le 20 avril 2006, des accrochages ont lieu entre la «Force exécutive» contrôlée par le Hamas et les «forces de sécurité» contrôlée par le Fatah (sous la houlette de Mohamad Dahlan). En mai 2006 s’ouvrent des négociations entre le Fatah et le Hamas qui aboutit à un accord le 14 juin 2006. Le 25 juin 2006 un commando palestinien attaque un poste frontière, tue deux soldats et enlève le caporal Gilad Shalit. Le 27 juin le Hamas signe le document dit «d’entente nationale» qui implique une reconnaissance de facto de l’Etat d’Israël. Le 28 juin l’armée israélienne lance l’offensive qualifiée de «Pluie d’été». Elle arrête des ministres, des députés et de nombreux responsables du Hamas. L’étranglement financier des Territoires s’accentue (par exemple, gel des droits de douane dus par l’Etat israélien à l’Autorité palestinienne. Dès octobre 2006, les affrontements armés entre le Fatah et Hamas s’intensifient dans la Bande de Gaza.
Depuis lors, aux combats militaires se succèdent des négociations entre le Hamas et le Fatah. Le soutien des Etats-Unis, de l’UE, de la Russie et de l’ONU  (le Quartet) est officiellement affirmé en juin 2007, lorsqu’ils apportent leur «plein soutien» au président Mahmoud Abbas. Le Hamas prend le pouvoir à Gaza mi-juin 2007. Le 25 juin 2007, à Charm El-Cheikh se tient une réunion des «donateurs», visant à apporter une aide financière qui conforte la position de Mahmoud Abbas. (Réd.)

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