Palestine-Israël

Reinhart Tanya

Tanya Reinhart

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Dans quel but combattent-elles ?

Tanya Reinhart

Nous avons publié sur ce site l’hommage rendu par Noam Chomsky le 19 mars 2007 à Tanya Reihnard suite à son décès. A notre façon, nous saluons le combat et intelligent et courageux de Tanya Reinhard . Nous le faisons en publiant un de ses articles datant de l’été 2006.

Tanya Reinhart était professeure de linguistique à l’Université de Tel-Aviv. Elle a écrit aux Editions La Fabrique Détruire la Palestine ou comment terminer la guerre de 1948 (2002), L’héritage de Sharon. Détruire la Palestine (2006). Voir la notice sur sa biographie qui se trouve à la fin du texte de Noam Chomsky. (red.)

Quel que sera le sort du soldat captif Gilad Shalit [enlevé le 25 juin 2006], les armées israéliennes à Gaza ne font pas la guerre pour lui. Comme Alex Fishman, analyste éminent des questions de sécurité, l’a longuement expliqué, l’armée se préparait depuis des mois à une offensive et poussait constamment dans ce sens, avec l’objectif de détruire l’infrastructure du Hamas et son gouvernement [suite la majorité obtenue, le 25 janvier 2006, lors des élections au Conseil législatif palestinien].

L’armée a lancé l’escalade le 8 juin en assassinant Abu Samhadana, un élu important du gouvernement du Hamas. Elle a augmenté le nombre de ses bombardements contre les civils dans la bande de Gaza. L’autorisation gouvernementale pour une opération d’envergure a été donnée le 12 juin ; toutefois, elle a dû être remise à plus tard en raison du retentissement international provoqué par le meurtre de civils, le 13 juin, par l’armée.

Puis l’enlèvement du soldat Gilad Shalit a levé le cran de sûreté et l’opération militaire fut engagée le 28 juin. Elle visait à détruire l’infrastructure de Gaza et à emprisonner massif en gran nombre des dirigeants du Hamas en Cisjordanie. Cela avait été planifié, aussi, des semaines avant l’enlèvement du soldat Gilad Shalit (1).

Si l’on en croit les Israéliens, Israël a cessé d’occuper Gaza depuis son évacuation par les colons [en août 2005] et le comportement des Palestiniens, par conséquent, montrerait une profonde ingratitude. Rien n’est plus éloigné de la vérité. En fait, comme le stipulait le Plan de désengagement lui-même, Gaza devait rester sous un contrôle militaire israélien total, exercé depuis «l’extérieur».

Israël a empêché toute possibilité d’indépendance économique de la bande de Gaza. Depuis le début, Israël n'a respecté aucune des clauses de l’accord passé en novembre 2005 sur les passages de frontières. Israël a simplement substitué à une occupation très coûteuse de Gaza une autre occupation à meilleur marché, qui, dans les vues israéliennes, doit les exonérer de la responsabilité d’occupant (présent directement dans la Bande) et donc du souci de la vie de son million et demi d’habitants, comme cela est stipulé dans la IVe Convention de Genève [à propos des devoirs élémentaires des occupants].

Israël n'a pas besoin de ce morceau de terre dont la densité de population est l’une des plus importantes du monde et qui manque de toute ressource naturelle. Le problème est qu’«on» ne peut laisser Gaza libre si «on» veut garder la Cisjordanie. Un tiers des Palestiniens occupés vit dans la bande de Gaza. S’ils obtiennent leur liberté, ils seront au centre du combat palestinien pour la libération, bénéficiant d’un accès libre avec l’Occident et le monde arabe.

Pour contrôler la Cisjordanie, Israël doit contrôler totalement la bande de Gaza. La nouvelle façon pour Israël de la contrôler implique que la bande de Gaza, tout entière, devienne une prison totalement hermétique, coupée du monde. Un peuple occupé, assiégé, sans espoir, et sans autres possibilités de combat politique, recherchera tous les moyens pour lutter contre son oppresseur. Dès lors, les Palestiniens de Gaza, emprisonnés, ont trouvé mis au point un instrument afin de perturber la vie des Israéliens qui vivent à proximité de la bande de Gaza: ils font des tirs de roquettes Qassam, des roquettes artisanales qui passent au-dessus du mur de Gaza pour toucher les villes israéliennes proches. Ces roquettes primitives manquent trop de précision pour arriver sur leur cible. Elles ont rarement fait des victimes israéliennes. Toutefois, elles provoquent des dommages physiques et psychologiques et trouvent gravement la vie dans les quartiers israéliens visés.

Aux yeux de beaucoup de Palestiniens, les Qassam sont une réponse à la guerre qu’Israël leur a déclarée. Comme un étudiant de Gaza le confiait au New York Times: «Devrions-nous être les seuls à vivre dans l’anxiété ? Avec ces roquettes, les Israéliens ressentent ce qu’est la peur eux aussi ; nous devons vivre ensemble dans la paix, ou vivre ensemble dans la peur.» (2)

L’armée la plus puissante du Moyen-Orient [celle d’Israël] ne dispose d’aucune réponse militaire à opposer à ces roquettes artisanales. Une réponse qui de soi et que le Hamas a proposée depuis sa victoire électorale – et que Ismaïl Haniyeh [ex-premier ministre du gouvernement palestinien] a répété dernièrement – c’est le cessez-le-feu total. Le Hamas a prouvé déjà qu’il savait tenir sa parole. En dix-sept mois, c’est-à-dire depuis qu’il a annoncé sa décision d’abandonner le combat armé pour la lutte politique et qu’il a proclamé un cessez-le-feu unilatéral (itahdiyai: le calme), il [sa branche armée] n’a été l’acteur d’aucun tir de Qassam sauf après la grave provocation israélienne perpétrée durant l’escalade de juin 2006. Cependant, le Hamas est resté engagé dans le combat politique contre l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie. D’après Israël, les élections palestiniennes sont un désastre parce que, pour la première fois, elles ont abouti à élire une direction qui a la volonté de représenter les intérêts palestiniens, plutôt que de répondre simplement aux exigences israéliennes.

Israël se refusant à envisager de mettre fin à l’occupation, l’orientation prise par l’armée israélienne consiste à briser les Palestiniens par une force brutale et dévastatrice. Ils doivent être affamés, bombardés, terrorisés par les bangs supersoniques [avions F/16 ou similaires]. Cela pendant des mois, jusqu’à ce qu’ils comprennent que l’insubordination, la résistance sont vaines. Alors, ils devraient accepter l’idée que vivre en prison est la seule chose qu’ils puissent espérer. Leur appareil politique élu [le Hamas], les institutions étatiques et la police doivent être détruits. Dans l’approche israélienne, Gaza devrait être régie par des milices armées qui collaboreraient avec les services de répression.

L’armée israélienne est assoiffée de guerre. Elle ne se soucie pas des soldats [israéliens] prisonniers en agissant de cette manière. Depuis 2002, l’armée argue que l’opération qui a eu lieu sur Jénine dans le cadre de l’offensive «Bouclier défensif» [commencée en mars 2002] est également nécessaire sur Gaza. Il y a exactement un an, le 15 juillet 2005 (avant le désengagement), l’armée a concentré ses forces sur la frontière de la bande de Gaza pour une offensive d’une ampleur identique. Mais les Etats-Unis y ont mis leur veto. Condoleezza Rice [ministre des Affaires étrangères de l’administration Bush] est arrivée pour une visite en urgence qui fut qualifiée [par une partie de la presse israélienne et de personnalités officielles] d’acrimonieuse et d’orageuse. Cela a fait que l’armée a dû reculer (3). Mais maintenant, le temps est finalement venu. Avec l’islamophobie délirante de l’administration américaine, il semble que les Etats-Unis soient prêts à autoriser une telle opération, à condition quelle ne provoque pas un tollé international ni trop d’articles dans les médias sur les attaques contre les civils (4).

Avec le feu vert étasunien pour une telle offensive, le seul souci de l’armée israélienne est de conserver son image de marque. Alex Fishman disait le 11 juillet 2006 que l’armée s’inquiétait du lien qui apparaîtrait entre cet immense effort militaire et diplomatique et la crise humanitaire qui s’ensuivrait à Gaza. Par conséquent, l’armée devait veiller à ce que de la nourriture parvienne à Gaza (5). Avec une telle perspective, Tsahal doit alimenter les Palestiniens de Gaza afin de pouvoir continuer à les tuer, sans être dérangée. (Traduit et édité par «A l’encontre»)


1. Alex Fishman, «Qui est favorable à l’élimination du Hamas», Yediot Aharonot, supplément du samedi, 30 juin 2006. Voir aussi Alex Fishman, «Le cran de sûreté est libéré», Yediot Aharonot, 21 juin 2006 (hébreu) ; Aluf Benn «Une opération qui a deux objectifs», Haaretz, 29 juin 2006.

2. Greg Myre, «Les roquettes créent un équilibre de la peur avec Israël selon les habitants de Gaza», The New York Times, 9 juillet 2006.

3. Steven Erlanger, «Les USA pressent Israël de faciliter la voie à un Gaza palestinien», New York Times, 7 août 2005.

4. Pour un aperçu détaillé sur les attentes actuelles de l’administration étasunienne, voir Ori Nir «Les Etats-Unis revoient leur soutien aux actions israéliennes pour renverser le Hamas», The Forward, 7 juillet 2006.

5. Alex Fishman, «Ils n’ont plus de nourriture», Yediot Aharonot, 11 juillet 2006. Voir aussi l’article «Alex Frishman, analyste militaire au quotidien israélien Yedioth Ahronoth»: «Le plan d’Israël était prévu de longue date», par Annette Lévy-Willard de Libération édition du samedi 15 juillet 2006. (ndp)

(23 mars 2007)

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