Russie

Ford Focus fabriquée dans l'usine près de Saint-Petersbourg

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Les ouvriers de Ford Russie se mettent en grève le 14 février
Solidarité !

Carine Clément *

Ford a annoncé, jeudi 25 janvier 2007, une perte de 12,7 milliards de dollars (9,78 milliards d'euros) au titre de l'année 2006. Du jamais vu en 103 ans d'existence. La dernière perte record remontait à 1992, avec 7,4 milliards. Or, cette année-là, l’économie américaine connaissait un fort tassement.

Toyota a pris la seconde place, devant Ford, sur le marché américain en 2006. Les résultats comptables sont aussi le produit d’un plan brutal de restructuration: 44'000 emplois supprimés et 16 usines fermées, au plus tard d’ici 2012. En effet, ces restructurations exigent des provisions. Ainsi Ford a provisionné dans ses comptes 10 milliards de dollars pour couvrir une partie des charges liées au plan de restructurations annoncé à l'automne 2006.

Ford prévoit de supprimer 44 000 emplois et de fermer 16 usines d'ici à 2012. Pour faire face à la crise, la direction hypothèque ses avoirs (la ligne de crédit des banques est obtenue en gageant ses actifs) et elle opère une rationalisation (hausse du taux d’exploitation) à l’échelle mondiale.

C’est dans ce contexte que se mène la mobilisation et la grève des travailleurs de Ford Russie (Réd.)

Le 2 février à 1h30 du matin s’est achevée la conférence (sur trois équipes, système trois fois huit) des salariés de l’usine Ford de la région de Saint-Pétersbourg. A l’issue du vote, la décision est tombée – ce sera la grève à partir du 14 février.

Il s’agit d’un événement tout „p fait exceptionnel dans la Russie contemporaine. Tout d’abord parce que le nouveau Code du travail rend la grève pratiquement illégale (il faut que la décision soit prise par le collectif des salariés et non par le syndicat, que 50% des salariés participent à cette conférence et que 50% des salariés présents votent en faveur de la grève). Ensuite parce que la grève éclate dans une entreprise transnationale faisant d’importants profits et porte moins sur le salaire que sur les conditions de travail. Grève d’un nouvel âge pour le mouvement syndical russe.

A l’usine Ford, 1300 personnes ont participé aux trois réunions à la fin du tours (dans la rue, par -15 degrés, la direction de l’entreprise refusant de mettre à cette fin un local à disposition), soit 70% du total des salariés. Résultat du vote: cinq abstentions et unanimité pour démarrer la grève, qui se déroulera donc en toute conformité avec les exigences draconiennes du droit du travail russe.

Les principales revendications sont, d’une part la régulation des normes de travail et, d’autre part, l’appui des propositions du syndicat lors des négociations sur l’accord collectif d’entreprise, toutes rejetées par la direction. Il s'agit notamment de la transparence sur les normes de travail, du respect des mesures de sécurité, de la mise en place de garanties sociales, de la limitation des externalisations de travaux (outsourcing).

Cet acte fort est à mettre au compte du nouveau syndicat fondé il y a moins de deux ans, avec à sa tête de jeunes ouvriers très dynamiques qui se sont attelés tout ce temps à solidariser le collectif et à transformer radicalement le rapport des ouvriers à l’action syndicale.

Comme le dit Alexeï Etmanov, le président du nouveau syndicat, «avec mes copains du comité syndical, nous leur avons appris à s’approprier le syndicat comme une arme de lutte, „p dire ‘nous’ quand ils parlent du syndicat».

A l’étroit dans la Fédération syndicale traditionnelle, la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR), hostile à toute forme de lutte, le syndicat de l'usine Ford a quitté très vite la FNPR, pour créer un syndicat libre et de lutte. Avec d'autres nouveaux syndicats émergents dans la branche (notamment celui de General Motors à Togliattigrad), ils ont même formé, en juillet 2006 lors du Forum social de Russie, un nouveau syndicat des travailleurs de l'automobile.

La position de la direction, pourtant étrangère et habituée aux négociations, étonne par sa dureté. Malgré des négociations qui ont duré trois mois, aucun des points proposés par le syndicat n'a été intégré dans le projet d'accord d'entreprise, qui se borne à reproduire le Code du travail russe. Selon Alexeï Etmanov, la direction a tout simplement pris goût aux méthodes de management classiques en Russie. «Ils croient que, comme dans la plupart des entreprises du pays, ils peuvent imposer leur loi aux ouvriers et ne pensent pas que nous sommes capables de défendre nos droits», déclare-t-il à ce sujet. «Mais, pour le coup, ils se trompent complètement», rajoute-t-il.

Pour donner une idée des conditions de travail dans cette usine, pourtant hautement rentable et à technologie de pointe, voici quelques éléments. Salaire mensuel moyen de 19000 roubles (540 euros), postes sans assignation fixe (les ouvriers passant de l'un à l'autre), refus systématique de respecter les congés dûs, flexibilité maximale, accumulation d'heures supplémentaires, nombreuses tâches dangereuses et néfastes pour la santé. A rajouter, bien sûr, une disproportion énorme entre les salaires ouvriers et ceux de la direction...

Rappelons que ce n'est pas la première action collective menée par les salariés de l'usine. L'été 2005, après une grève du zèle de plusieurs semaines, ils avaient déjà obligé la direction a augmenté les salaires de 14,2%.

Ebranlée par la fermeté des ouvriers, la direction de l'usine Ford a déclaré à la presse, le 9 février 2007, à 5 jours de la grève, qu'elle concédait à une augmentation de salaire de 14 à 20%, selon les catégories. «Ils veulent nous calmer en nous donnant l'aumône", c'est ainsi qu'a commenté ce geste Alexeï Etmanov. Le leader syndical a assuré que la grève aurait lieu de toute façon, n'ayant pas pour objet principal le salaire mais les conditions de travail dans leur ensemble. La décision finale sera prise par le collectif des travailleurs, appelé par le syndicat à se prononcer le 13 février, la veille de la grève annoncée.

* Carine Clément dirige l'Institut de l'Action Collective, Moscou

Pour les messages de protestation ou de soutien, les adresser:
Directeur général de l'usine "Ford Motor Company", Theo Streit, Fax: (+7812) 346-7112, mail: srecept1@ford.ru
Président du syndicat, Alexeï Etmanov: etman@yandex.ru

(11 février 2007)

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