Etats-Unis

 

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La grève des salarié·e·s du métro de New-York

Charles-André Udry

Les Etats-Unis – avec la Suisse – sont parmi les pays capitalistes développés où la division en classes sociale et l'affrontement entre elles sont certainement le plus niés. Or, un simple examen du conflit social et de la grève des 34'000 salarié·e·s du métro de la ville de New York, qui a duré trois jours et a démarré le 20 décembre, fait surgir la profondeur de la bipolarisation entre classes aux Etats-Unis. Certes, elle ne trouve pas d'expression politique d'ampleur et est euphémisée au maximum par la pratique des appareils syndicaux.

Dès le début de la grève, dans le principal centre mondial de la finance impérialiste, l'offensive des représentants de la classe dominante a pris une vigueur toute particulière. Le maire de New York, Michael Bloomberg, symbolise à lui seul Wall Street. Il déclare une modeste fortune de 5 milliards de dollars avec laquelle, en quelque sorte, il a acheté sa place de maire: le coût de sa dernière campagne électorale s'élevait à 70 millions de dollars. Dès le premier jour, devant les caméras, il dénonçait les travailleurs et travailleuses du métro comme égoïstes, ayant "une attitude honteuse", etc. Rupert Murdoch, l'empereur mondialisé des médias, mettait au service de la campagne contre les grévistes le "populaire" New York Post et la chaîne de télévision Fox News. Le richissime propriétaire du tabloïd Daily News, Mortimer Zuckerman, ne se gênait pas pour que sa feuille titre en éditorial: "Jetez Roger [Toussaint] du train!", c'est-à-dire le président de la section syndicale 100 du Transport Workers Union (TWU) qui organise les travailleurs du métro et ceux des bus. La société contrôlant le métro, la Metropolitan Transportation Authority (MTA), nommait le spéculateur immobilier Peter Kalikov comme responsable de la négociation avec les salarié·e·s.

Le conflit portait sur les salaires et sur les "bénéfices" qui y sont (encore mais de moins en moins) attachés aux Etats-Unis – c'est-à-dire l'assurance maladie et la retraite. Les travailleurs du métro vivent dans une des villes les plus chères au monde et leur salaire leur permet simplement de faire face aux besoins élémentaires. Ce qui n'a pas empêché les médias d'utiliser les deux formules, dorénavant traditionnelles: les "privilégiés du métro" et les "preneurs d'otages" des usagers. La société MTA et l'administration municipale de Bloomberg ont immédiatement fait appel à la loi anti-ouvrière en vigueur dans l'Etat de New York, la loi Taylor. Il en résultait la  possibilité d'infliger des amendes à chaque travailleur équivalant à deux jours de salaire pour un jour de grève et de participation au piquet de grève. A cela s'ajoutait une amende d'un million de dollars par jour contre la section syndicale 100 de TWU. La ville engageait de plus des actions "légales" contre chaque travailleur avec des amendes fixées à hauteur de 25'000 dollars. Les menaces étaient encore plus précises, puisqu'elles prenaient la forme de licenciement, contre tout travailleur qui aurait participé à la dernière grève, en 1980, et qui rejoindrait celle-ci. On a là un concentré d'une volonté de classe de briser toute mobilisation et action directe des travailleurs, et cela dans la ville où, après le 11 septembre, "l'unité nationale", "l'unité patriotique" – mise à profit tous les jours par Bush pour sa politique en Irak et par les grandes firmes pour une extraction "consensuelle" de la plus-value – a pris un nouvel essor.

Les images données par les chaînes de télévision des piquets de grève permettaient de saisir la composition multiraciale du salariat de la métropole impérialiste. Des éléments de solidarité ressortaient. En outre, la grève de 1980, qui avait duré 11 jours, réapparaissait comme un point de référence historique. En effet, c'est après cette grève que l'administration Reagan lança la campagne antisyndicale dans tout le secteur industriel et licencia 11'000 contrôleurs aériens organisés dans le syndicat Patco, en utilisant, pour ce faire, les services de l'armée.

La réaction de Bloomberg et de ses partenaires, en ce mois de décembre 2005, traduit bien la nature de la coalition démocrate et républicaine face aux travailleurs. Elle s'inscrit aussi dans le contexte de la vague d'attaques contre les salarié·e·s de l'automobile, que ce soit chez Delphi, General Motors ou Ford. Hillary Clinton, sénatrice de l'Etat de New York, a affirmé son soutien à la loi Taylor, tout en se proposant comme médiatrice pour résoudre le conflit.

Les transports urbains new-yorkais sont un élément vital du fonctionnement de la place financière. Après l'assainissement financier brutal de la ville de New York mené par le financier démocrate Felix Rohatyn – qui fut un ambassadeur à la mode et admiré de Clinton à Paris et qui prête sa plume au prestigieux New York Review of Books – le système de transports new-yorkais dépend largement d'investissements provenant de l'émission d'obligations dont le taux d'intérêt doit être attractif. Pour cette raison, les coûts salariaux des 34'000 employés de MTA doivent être soumis au diktat du rendement obligataire.

A la différence des contrôleurs aériens de 1981, il est impossible de remplacer rapidement les 34'000 travailleurs conduisant les bus et le métro par des "jaunes".

Cela explique la vigueur avec laquelle les grévistes ont été attaqués et l'importance donnée à la dimension "illégale" de la grève, cela au moment où démocrates et certains républicains dénonçaient les écoutes téléphoniques décidées par la clique présidentielle de Bush comme portant atteinte aux éléments de base du droit constitutionnel américain. Le Wall Street Journal non seulement attaquait les grévistes mais, avec sa tactique traditionnelle, soulignait le manque de fermeté de Bloomberg et du gouverneur de l'Etat de New York, George Pataki. Ces derniers auraient fait trop de concessions salariales en acceptant des salaires à hauteur de 50'000 dollars par année. Ce qui, selon le quotidien de Wall Street, servirait d'exemple négatif pour tous les salarié·e·s dépendant de sociétés municipales. Autrement dit, on assistait dès le début de cette grève un renforcement de la vague antisyndicale et anti-ouvrière.

La société MTA, dans un premier temps, voulait augmenter l'âge donnant droit à la retraite. Ce dernier est fixé à 62 ans. Toutes les enquêtes aux Etats-Unis – et en Europe – démontrent que les travailleurs et travailleuses des transports, soumis à une pression et à un stress permanents, ont une espérance de vie réduite. Devant la résistance des salarié·e·s, la société MTA avait modifié sa tactique et proposait un accroissement de 6% de la contribution des salarié·e·s à leur plan de retraite. Le conflit du métro et des bus new-yorkais s'inscrit donc dans la mise en question, de plus en plus généralisée, pour des secteurs anciennement relativement bien assurés, de leurs dits avantages sociaux. C'est aussi cet enjeu qui explique l'importance de l'affrontement et de la grève des transports publics à New York.

Il est difficile, à cette date, de faire un bilan de cette grève qui s'est brutalement arrêtée. Les travailleurs sont contraints de retourner au travail sans contrat et sans que soit clarifiée leur situation face aux mesures légales de rétorsion. Dans sa conférence de presse, George Pataki a souligné: "Personne n'est au-dessus de la loi. Vous brisez la loi dès lors les conséquences sont réelles." Ce genre d'arrogance indique le profil qu'affirme Pataki, l'un des candidats républicains possibles pour la présidence en 2008.

La direction nationale du syndicat n'est pas particulièrement connue pour sa combativité. Le président du TWU, Michael O'Brien, gagne officiellement 220'000 dollars par année et est certainement prêt à écouter les "arguments" fournis par MTA, Bloomberg, Pataki et consorts. Cela d'autant plus lorsque l'appareil syndical est touché là où cela fait mal: ses finances. Raison pour laquelle, dans sa conférence de presse, Pataki a souligné que les amendes d'un million ne pourraient pas être levées si facilement. Enfin, les relations privilégiées entre le TWU et le Parti démocrate n'ont certainement pas facilité la conduite d'une grève aussi difficile et si brutalement attaquée.

Ce qui se passe aux Etats-Unis devrait susciter une réflexion sur la période dans laquelle les salarié·e·s des pays capitalistes avancés et leurs organisations se trouvent. La vigueur de l'attaque du Capital est partie intégrante de la réorganisation mondialisée du Capital, placée sous le diktat d’un capital financier transnationalisé et de ses exigences de rentabilité, donc d’extraction brutale de la plus-value. – 23 décembre 2005

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