Venezuela

 

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Du capitalisme rentier… à quel socialisme pour le XXIe siècle ?

Margarita López Maya *

Mercredi 21 mars dernier, à l’Ecole de Sociologie de l’Université Central de Venezuela (UVC), un groupe de professeurs a ouvert un Atelier-Séminaire sur le thème: «Socialisme du XXe et XXIe siècle en débat». Nous nous sommes fixé les objectifs suivants:

1° Ouvrir un lieu de discussion responsable, pédagogique et critique sur le socialisme du XXIe siècle…

2° Nous avons souhaité que participent à cet espace de discussion des intellectuels, politiques, étudiants, militants des droits humains, fonctionnaires et conseillers techniques du gouvernement venant de tous horizons, afin d’échanger information et réflexion théorique et d’avoir un débat d’idées…

3° Et enfin, nous avons voulu que le thème soit abordé et discuté sous l’angle  d’un bilan des socialismes du passé, en particulier des modèles du XXe siècle, bilan qui permettrait d’envisager ensuite le type d’avenir que nous voulons construire au Venezuela et dans le reste de l’Amérique Latine sous la dénomination de «socialisme».

Du capitalisme au socialisme rentier

Lors de la première session, différents arguments ont été avancés sur le sens et la pertinence d’un socialisme au XXIe siècle. Des idées ont également été développées sur les faiblesses et les contradictions du capitalisme, tels que son irrationnel désir de gain (profit), plus fort que toute considération pour l’être humain, et sa tendance structurelle à l’inégalité et à l’injustice sociale.

Ont également été évoquées quelques-unes des faiblesses du socialisme du XXe siècle, à savoir son autoritarisme, son manque de pluralisme et sa faillite en tant que modèle économique.

Au-delà de ces points, l’on a également discuté de la nécessité de rechercher un type de société qui transcende le caractère destructeur de la nature même de ces deux «modèles».

L’humanité a besoin de s’épanouir dans une société qui soit égalitaire, juste, plurielle et écologiquement durable. Mais ce qui me semble central pour le Venezuela, dans le cadre de cette discussion, c’est d’analyser le capitalisme tout à fait particulier qui est le nôtre au cours de l’histoire du XXe siècle, capitalisme qui conditionne tous les changements que nous pourrions essayer d’opérer au XXIe siècle.

Une économie pétrolière rentière

Nous savons que le Venezuela actuel est une société commandée par une économie pétrolière-rentière. Il s’agit donc d’un capitalisme paradoxal, puisqu’il ne se nourrit pas prioritairement du travail productif et de la survaleur produite, mais d’une rente qui est captée sur le marché international.

Au milieu du XXe siècle, l’on avait trouvé dans notre pays un consensus social et politique pour essayer de construire un modèle industriel dont le moteur serait initialement cette rente pétrolière. Ce modèle dit de «substitution des importations» était censé, comme dans d’autres pays d’Amérique Latine, créer une économie capitaliste [avec un processus d’accumulation endogène –red..]. Nos gouvernements, à travers des plans nationaux, ont donc utilisé la rente pour établir les conditions nécessaires pour commencer à produire dans le pays ce qui jusqu’à ce moment avait été importé. L’on a commencé par des biens de consommation durables, puis par des biens de consommation intermédiaires [aluminium, bois, etc., biens entrant dans un processus de fabrication – red..] puis finalement par des biens de capitaux [biens de production – red.]. L’on supposait qu’à un certain moment, l’industrie n’aurait plus besoin de l’appui de la rente pétrolière  et qu’elle décollerait alors vers la croissance et l’autosuffisance.

Ce modèle industriel s’est développé jusqu’à son entrée en crise au cours des années 1980. Selon les analystes d’alors, le modèle présentait une faille profonde, puisqu’il ne parvenait pas à ce que l’appareil productif industriel devienne indépendant des rentes produites par le secteur primaire exportateur [pétrole, fer].

Le premier gouvernement de Carlos Pérez Rodriguez [Action démocratique, né en 1922, élu président en 1975, il nationalise les mines de fer, de pétrole - red.], en raison du boom des prix pétroliers sur le marché mondial, a alors insisté pour injecter de l’argent dans une industrie (et dans un «modèle») qui avait déjà fourni la preuve dans d’autres pays – et ce bien avant que cela ne se passe chez nous – qu’elle était  incapable de subvenir à ses propres besoins.

La rente pétrolière a créé une économie  aux pieds d’argile, mais de cela nous avons pris beaucoup de temps à nous rendre compte. Et, au-delà de l’économie elle-même, la rente pétrolière a aussi modelé une société, une culture, un type d’Etat et un système politique rentiers.

Un capitalisme sui generis

Notre capitalisme étant un capitalisme sui generis, de quelle manière influencera-t-il le socialisme que l’on cherche à construire ? La rentre pétrolière a rendu possible le fait qu’en quelques décennies seulement, nous  soyons passés d’une société rurale et attardée à une société urbaine et très moderne, du moins en apparence. Cette rente nous a dotés d’une classe moyenne ayant des habitudes de consommation et un pouvoir d’achat comparables à ceux des Etats-Unis: des voitures, des appareils électroménagers, des voyages, une alimentation de base comprenant des «délicatesses» [chocolaterie, boissons, produits de beauté, etc. red.] importées. Ces habitudes de consommation de sont alors, tendanciellement, généralisées à quasi tous les secteurs sociaux.

On nous a inculqué, par exemple, une alimentation centrée sur le blé: pain, spaghetti, et divers types de petits pains; cela pour  nous qui vivons dans un pays tropical incapable de produire efficacement cette céréale!

Ensuite, le pétro-Etat n’a jamais eu besoin de convaincre la population de la nécessité de payer des impôts en tant que contribution des intérêts privés à des projets publics de bien commun, quelque chose qui est crucial pour les capitalismes qui ont érigé les dits états-providence en Europe. Nous, nous finançons les services publics avec les revenus de la rente pétrolière.

Cela a conduit au fait que des normes d’efficience, de responsabilité, de prudence et d’obligation de rendre des comptes soient des faiblesses notoires de nos gouvernements  et de notre société en général.

Cela a également créé dans notre culture une difficulté à faire clairement la distinction entre ce qui est public et ce qui est privé, entre ce qui est à soi et ce qui est à l’autre. Cela a eu des répercussions importantes  sur le comportement tant de fonctionnaires d’Etat que de citoyens privés. En termes de système politique, notre démocratie s’est construite en se basant sur des pactes et des concertations, et personne, sauf les coffres de l’’Etat, n’a eu à sacrifier ses intérêts particuliers. Cela a créé des élites égoïstes et extrêmement insensibles.

Le socialisme, ou la société alternative, qui commence à faire l’objet de discussion au Venezuela, doit passer par la compréhension des mécanismes profondément enracinés que ce capitalisme rentier a incrustés dans l’économie, la culture et la politique. Il suffit de regarder autour de soi pour percevoir ce «rentisme» présent partout: dans nos valeurs et nos habitudes de consommation; dans l’inefficacité galopante de l’administration publique et privée; dans l’incapacité des fonctionnaires de l’Etat de faire la différence entre l’argent public – qui appartient à tout le monde – et leur argent privé; dans la facilité avec laquelle on croit que l’on peut avancer vers une transformation intégrale de notre société parce qu’elle est considérée comme réellement facile à établir [à partir de l’irréalisme lié à la rente – red.].

La rente pétrolière est un bien précieux qui, s’il avait été administré avec prudence, nous aurait peut-être permis de parvenir à une société démocratique et égalitaire au cours du siècle passé. Mais ce que nous avons atteint est bien au-dessous de nos attentes. Maintenant, nous sommes en train de nous efforcer à nouveau de mettre cette rente au service d’une société juste et libre pour le  XXIe siècle. Cependant, dans beaucoup de stratégies et d’habitudes quotidiennes de l’Etat, du gouvernement, des politiciens et des citoyens, la mentalité rentière continue à prédominer, mentalité selon laquelle tout peut trouver une solution avec de la volonté et de l’argent, sans que personne n’ait à se sacrifier. Débattons donc de la manière de profiter de la rente en faveur d’un «socialisme rentier» qui ne déçoive pas à nouveau nos expectatives.

Qui a payé ?

Samedi 24 mars, dans ce journal également (Miradas Criticas), et sur cinq pages différentes, l’on a pu voir une publicité d’un tiers de page à chaque fois pour la fondation du «Partido  Socialista Unido de Venezuela». Qui donc a payé ces annonces publicitaires ? L’Etat, le gouvernement, les citoyens fondateurs de ce parti ? Lors des élections de décembre 2006, diverses instances nationales et internationales d’observation ont attiré l’attention sur  l’utilisation flagrante, illégale et illégitime, de deniers publics dans la campagne des deux candidats à la présidence… (traduction A l’encontre)
 

* Margarita López Maya est professeur en «sciences sociales». Cette intervention  a été faite dans le cadre d’un cycle de réflexions critiques sur le «socialisme du XXIe siècle». La publication de ce texte sera suivie d’autres interventions. Intervention publié dans le périodique Miradas Criticas.

(11 avril 2007)

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