Venezuela



De l'horticulture urbaine à l'éducation: l'engagement des femmes

Louis Nicodème *

Comme chaque matin, Elsa Hernandez ouvre son étal de marchande des quatre-saisons situé tout près de la bouche de métro de la station «Bellas artes» en plein coeur de Caracas.

Rien d'extraordinaire là-dedans, si ce n'est que la parcelle de production des légumes de sa coopérative «Travail et Terre» se trouve juste derrière elle, au pied des tours du  «Parque central», complexe abritant plusieurs ministères et agences gouvernementales ainsi que l'hôtel Hilton.

Ces 40 ares de terrain vague ont été remis en culture voici maintenant un an grâce à l'acharnement de ces horticulteurs, mais aussi grâce au soutien logistique et financier du ministère de l'agriculture et de la FAO (Organisme de l'ONU). Légumes frais, mais aussi plantes condimentaires et médicinales passent ainsi directement, sans intermédiaires, du producteur au consommateur.

A quelques kilomètres de là, à La Vega, dans un des "barrios" [quartiers populaires] couvrant les collines sud-ouest de la capitale vénézuélienne, Nancy Hernandez et Ericson Vásquez, deux ingénieurs agronomes, apprennent ou réapprennent à 300 adolescents et adultes du quartier à cultiver trois hectares de jardins en terrasse fraîchement défrichés. Choux, tomates, laitues, carottes, betteraves rouges, mais également maïs et bananes apportent de la variété dans l'alimentation de ces familles de déracinés peuplant ces zones déshéritées de la ville. A côté du volet production, des ateliers informels de nutrition sont également organisés.

Ces deux projets, comme des dizaines d'autres, font partie du programme «agriculture urbaine et périurbaine» d'un plan national visant à redonner au pays un peu plus de souveraineté alimentaire. Jusqu'il y a peu, le Venezuela importait 70 % de ses denrées alimentaires. Un comble quand on sait que seulement quelque 6 % de la superficie du pays sont cultivés alors qu'au moins 20% pourraient l'être!

Le volet rural (le plus important ) du programme revoit en profondeur la structure agraire du pays. L'Institut national des Terres (INTI), créé en fin 2001, met en application la loi des terres. Elle vise à redistribuer celles-ci de façon plus équitable. Mme Gladys Vivas, une des chevilles ouvrières de l'Institut, nous explique qu'en l'espace de 2 ans deux million huit cent dix-huit mille hectares ont été redistribués. Les ordres de priorité ont été les suivants:

1° Régulariser la situation des petits paysans productifs occupant illégalement des terres autrefois improductives.

2° Distribuer de vastes étendues de terres abandonnées appartenant à l'Etat ou à des organismes paraétatiques.

3° Exproprier les terres inexploitées de propriétaires privés et les redistribuer à des coopératives ou à des paysans désirant produire. On peut signaler ici que les terres des grands propriétaires terriens, qui accomplissent leur fonction sociale – produire des denrées agricoles – ne sont pas concernées par la réforme agraire.

Retour à La Vega, où les docteurs Milagros Mélia et Loralei Garcia ainsi que leurs deux collègues reçoivent les patients (une cinquantaine par jour) dans la «casa» médicale inaugurée l'an passé. Les consultations, tant médicales que dentaires, ainsi que les médicaments sont entièrement gratuits.

Dans ce pays, sans sécurité sociale généralisée, l'accès à des soins de santé efficaces a toujours été barré aux couches les plus pauvres de la population. En 2003, des centaines de «casas» médicales ont été ouvertes dans la plupart des barrios du pays.

Milagros et Loralei, tout comme des milliers d'autres médecins et dentistes, sont arrivés de Cuba avec en poche un contrat de 2 ans renouvelable. Ils ont débarqué suite à un accord de coopération «pétrole contre assistance médicale» signé entre les états cubains et vénézuéliens. Milagros se sent ici chez elle, le sourire des enfants qu'elle soigne, la gratitude des gens «des quartiers où l'on ne s'aventure pas» est pour elle la plus belle des récompenses.

Non loin de là, une école est récemment sortie de terre en plein milieu du barrio, afin d'éviter aux enfants les fastidieux déplacements qui constituaient leur quotidien ; en fin d'après-midi et en soirée, c'est au tour des adultes de se presser sur les bancs. Le plan Robinson vise à les alphabétiser, eux qui n'ont connu que des parcours scolaires fragmentaires et chaotiques... D'après les estimations, au moins la moitié des adultes des quartiers pauvres ne savaient ni lire ni écrire.

Le niveau supérieur n'a pas été oublié: le ministère de l'éducation a mis sur pied l'Université bolivarienne du Venezuela (UBV) dont le siège principal se trouve dans les anciens locaux de la société pétrolière vénézuélienne... tout un symbole. L'UBV accueille une population de 9.000 étudiants, tous issus de familles pauvres incapables de payer les droits d'inscription dans les autres universités. La rectrice de l'UBV, Madame Maria Egilda Castellano, était professeure à la faculté de Droit de l'Université centrale du Venezuela (UCV). Elle a relevé le défi de mettre sur pied des nouveaux cursus universitaires pour une population au départ défavorisée, également dans l'accès à la culture.

Grâce aux différents plans et réalisations du gouvernement Chavez (horticulture urbaine, aide médicale, pharmacies sociales, planning familial, magasins aide alimentaire, plans d'alphabétisation, UBV et bien d'autres), les habitants se sentent enfin pris en considération. La délinquance a fortement diminué dans les bidonvilles. Une dynamique positive a vu le jour, des comités de quartiers se sont créés, les habitants s'impliquent et soumettent des projets au conseil de planification de la mairie de Libertador (une des 5 circonscriptions de Caracas). Elle en sélectionne environ 20% qui seront entièrement financés par la Mairie, parfois avec l'aide de l'Etat fédéral. A El Valle, un barrio du sud de Caracas, le comité de quartier exhibe fièrement la maquette de leur projet qui vient d'être sélectionné. Il s'agit d'un complexe socio-communautaire comprenant salle de sport, école primaire et magasin alimentaire. Une ménagère s'exclame: «jusqu'il y a peu notre pays n'était connu que pour ses jolies filles sur les plages et ses Miss Univers, aujourd'hui il gagne à l'être pour ses femmes qui s'engagent».

Freddy Bernal, maire de Libertador et chaviste convaincu, manifeste sa volonté de financer ce genre de projets élaborés par les habitants et non imposé d'en haut. Il s'agit de réalisations durables contre lesquelles aucun acte de déprédation ou de vandalisme n'est à signaler...

Les habitants en sont fiers et personne n'oserait y toucher. Il va sans dire que les habitants des quartiers populaires ont voté en masse en faveur du président Chavez lors du référendum qui s'est tenu le 15 août 2004. Ils ont compris que le processus de réforme en cours visant à mieux partager la manne pétrolière, y compris en faveur des plus pauvres, est une chance historique qu'ils ne voulaient pas voir disparaître. Le président, tant décrié par les médias, l'oligarchie, une partie des classes moyennes et par le grand frère yankee n'a pas fait que parler, il a réalisé. Ses concitoyens les plus modestes ne l'ont pas oublié.

* Louis Nicodème est président Fédération des jeunes agriculteurs de Wallonie (Belgique)

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