Bolivie



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La rébellion bolivienne, problèmes et espoir

Tom Lewis*



Le 1er juin, une grève générale se déroula dans la ville d'El Alto qui surplombe La Paz. Cette grève a réuni les secteurs les plus combatifs en Bolivie. Les habitants d'El Alto considèrent que le référendum appelé par le président Mesa pour le 18 juillet 2004 est une manœuvre. Car, il ne pose pas la question clé de la nationalisation du secteur des hydrocarbures. Ils considèrent que les journées d'octobre 2003 ont déjà représenté le vrai référendum.

Dans la situation extrêmement instable que traverse la Bolivie, les forces combinées de l'armée et de la police interviennent régulièrement. Le 1er juin, à l'extrême nord du pays, elles ont réprimé violemment des paysans qui bloquaient l'entrée de la ville de Trinidad. Les mouvements se développent aussi au nord de La Paz dans la région des Yungas. Pour l'heure, cette mobilisation qui dure maintenant depuis des mois, et qui traduit la profondeur extrême de la crise sociale et politique de la Bolivie, ne trouve pas de nouveaux moments de centralisation. La contribution de Tom Lewis, qui a été présent plusieurs semaines en Bolivie et qui a été écrite le 19 mai, met en relief certaines faiblesses des mouvements sociaux et syndicaux boliviens. Peut-être ne prend-elle pas assez en considération, dans les réponses qu'il tente d'apporter, l'histoire des vingt dernières années du mouvement social paysan et ouvrier bolivien qui a connu de profondes défaites et un processus éclaté de réorganisation, dans un contexte d'instabilité extrême, où la construction d'organisations socialiste révolutionnaires ne peut emprunter des recettes qui supposeraient un long processus d'accumulation de forces non soumis à des chocs très réguliers et à une paupérisation croissante qui lacère le tissu social. réd



Bien que la grève générale illimitée de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) apparaisse faible, il ne peut y avoir de doute quant à la capacité de la centrale à mobiliser. L’action de la COB, mi-mai, a servi de point de référence pour lancer une nouvelle campagne de pression sur le gouvernement de Carlos Mesa. Durant deux semaines et demie, au cours desquelles a été préparé l’appel à la grève, toute la scène nationale bolivienne a été marquée par des marches, des manifestations et des blocages de rues exprimant divers types de revendications. Le gouvernement de Mesa s’est senti plus chancelant que jamais.

Cela reflète l’espérance, la colère et la détermination avec laquelle les travailleuses et travailleurs boliviens, des villes et des campagnes, luttent contre le néolibéralisme. De même, ces événements traduisent les questions politiques importantes auxquelles s’affrontent les mouvements sociaux et le mouvement syndical dans la conjoncture présente.

Il existe trois grands défis que le mouvement de masse bolivien devra affronter et auxquels il devra répondre s’il veut battre le néolibéralisme, c’est-à-dire le capitalisme.


Le premier à trait à la nécessité pour les mouvements sociaux et les structures syndicales qui ont appuyé la COB de rompre avec les partis politiques institutionnels. C’est-à-dire rompre avec le MNR (Mouvement National Révolutionnaire) et les autres partis néolibéraux. Cela sera facile. Néanmoins, il existe des dirigeants syndicaux et de mouvement social qui affirment qu’il faut et qu’il est possible de dialoguer avec le gouvernement. Dans certains secteurs comme celui des transports, les partis néolibéraux imposent ouvertement une politique d’accords avec le gouvernement depuis en haut.

Or, il est évident pour quiconque analyse la situation que le gouvernement n’est pas disposé à négocier la fin du néolibéralisme. Il est tout aussi évident que le gouvernement ne va pas appliquer les nombreux «accords» sectoriels qu’il a passés.

Sans la nationalisation du gaz et le paiement de la dette extérieure, l’Etat ne disposera pas des ressources financières nécessaires pour tenir ses engagements. Car il est tout à fait évident que la perpétuation du modèle économique et social en vigueur ne va améliorer en rien la vie des masses laborieuses boliviennes. Depuis presque vingt ans de misère provoquée par les politiques néolibérales, les mouvements sociaux qui sont à la base des conflits actuels devront mettre en œuvre leurs propres stratégies depuis en bas. Si quelques leaders syndicaux et sociaux préfèrent continuer à servir de relais à ceux qui sont installés dans le gouvernement et à la tête des partis politiques, si ces leaders ne veulent pas accompagner les mouvements de lutte issus de la base sociale et visant à démanteler le système néolibéral, il faudra que ces secteurs se débarrassent de ces directions et les remplacent. Plus difficile que la rupture avec les partis officiellement néolibéraux sera la rupture de la base combative avec le MAS (Mouvement vers le socialisme, dirigé par Evo Morales). C’est une triste réalité que le MAS joue aujourd’hui le rôle de ce que l’on peut appeler «traître» dans le drame politique qui se joue en Bolivie. Il y a un certain temps qu’Evo Morales a choisi la voie électoraliste pour assurer son accession au pouvoir présidentiel. Il a abandonné toute prétention à être socialiste et encore moins socialiste révolutionnaire. Actuellement, tout l’effort est mis pour gagner les élections municipales à la fin de l’année. A partir de cette victoire possible, il se lancerait dans la bataille pour la présidentielle de 2007. Et c’est pour cette raison qu’Evo Morales ne tient pas à appuyer les conflits sociaux en cours dans la mesure où ils risqueraient de mettre en danger la survie des institutions politiques de l’Etat bolivien actuel.

Il est certain qu’il y aura toujours des courants réformistes, et il est clair qu’Evo Morales a le droit de choisir cette option. Ce qui ne peut être accepté, c’est son rôle d’instigateur de syndicats parallèles et de diviseur d’une unité difficilement conquise entre les secteurs paysans et ouvriers. Et les dialogues engagés par Morales avec Mesa vont clairement dans le sens de diviser et de gagner une influence face au mouvement de protestation venu d’en bas. Morales est plus apte à ce travail peu reluisant que ne l’est le gouvernement. Evo Morales s’est accommodé de Mesa pour imposer le silence à une population qui, à diverses reprises, c’est montrée disposée à se soulever contre le néolibéralisme et son Etat bourgeois. Certes, le chemin conduisant à la liquidation du néolibéralisme ne passe pas seulement par le rejet des partis de droite mais aussi par une rupture des secteurs en lutte avec la direction du MAS et ses alliés.


Le second défi auquel s’affronte le processus bolivien est le suivant: unir les forces de tous les secteurs sociaux en rébellion. Le problème de l’unité dans la lutte a deux dimensions: la première est sectorielle (paysans, ouvriers, secteurs paupérisés des villes, etc.), la seconde est d’ordre national (unification des mouvements à l’échelle de tout le pays).

Le problème sectoriel est devenu évident au cours des jours qui précédaient le 1er mai. Le gouvernement a réussi à passer, de manière séparée, des accords de trêve avec trois secteurs indépendants: le Mouvement des sans-terre, les étudiants universitaires et les mineurs à la retraite. Chacun peut imaginer quelle aurait été la dynamique de la grève appelée par la COB si ces secteurs avaient disposé d'une perspective politique plus ample et de quelques revendications sociales unitaires et générales. Mi-mai, les instituteurs et institutrices ont, sur ce point, indiqué la voie à suivre lorsque la manœuvre du gouvernement Mesa, avec l'appui de Morales, a pris forme: la levée momentanée du décret 27457 sur la décentralisation [décret qui déresponsabilise l'Etat central du financement du système scolaire primaire]. Les instituteurs ont déclaré, bien que leurs pressions sur le gouvernement aient abouti à la suspension du décret 27457, que leur objectif était de liquider le décret 21060 qui sert de socle à la politique néolibérale. Ils soulignaient ainsi que la suspension du décret sur la décentralisation ne pouvait être que temporaire si restait valable le décret 21060, pierre de touche de toute la politique néolibérale.

Le sectarisme qui marque la lutte de différents groupes sociaux en rébellion est certainement produit par la perception qui n'existe pas effectivement une alternative d'ensemble au néolibéralisme. Dans la mesure où cela serait vrai, il est logique que chaque secteur ne peut faire autre chose que tenter d'obtenir, par la lutte, des conditions de vie plus favorables dans le cadre des limites - inhumaines - du système néolibéral. En lieu et place du slogan "un autre monde est possible", le mot d'ordre des réformistes de fait est: "une autre façon de voler est possible".

La thématique concernant les droits des Aymaras et des Quechuas est décisive pour tout processus d'unification des différents secteurs sociaux en lutte pour contrer et vaincre le néolibéralisme. Tout le monde est d'accord sur l'exigence d'une alliance ouvrière-paysanne en Bolivie. Mais, jusqu'à maintenant, cette alliance n'a pas été au-delà d'un accord au sommet entre Jaime Solares (COB) et Felipe Quispe (dirigeant du Mouvement aymara ayant comme base la ville El Alto, au-dessus de La Paz). La marche des paysans sur La Paz, le 3 mai, illustre bien la situation: après délibération, les paysans ont décidé de ne pas adhérer à la grève appelée par la COB. Or, aucun contingent de la COB n’accompagnait les paysans et aucune délégation de la COB ne les a reçus aux portes de La Paz. Il apparaît que seulement au travers d'une multiplication et d'une accumulation d'actions communes il sera possible de construire la confiance et la solidarité parmi les membres de ces deux grands secteurs sociaux. Un des résultats les plus importants de l'expérience de lutte, au cours des journées insurrectionnelles d'octobre 2003, résidait précisément dans le début de prise de conscience, dans les rangs même des paysans et des travailleurs urbains, qu'ils avaient des intérêts concrets, matériels communs.

Pour confirmer et consolider la confiance entre les travailleurs des champs et des villes, il sera nécessaire que ces derniers se prononcent clairement pour le droit à l'autodétermination des populations indigènes. Certaines forces développent, avec une argumentation assez intéressante, que la question "classe ou Nation" a déjà été résolue "organiquement" grâce à la très forte représentation de militants indiens au sein même de la classe ouvrière bolivienne. Néanmoins, l'histoire des diverses trahisons des dirigeants ouvriers par rapport aux ambitions autonomistes de larges couches d'Aymaras ou de Quechuas, entre autres, constitue un obstacle à la création d'une unité de ce qui est la nouvelle classe ouvrière bolivienne, une classe dont les traits se profilent au sein de cette population, quelque 800'000, qui se concentre dans la ville de El Alto.

Les siècles d'oppression, les décennies de discrimination, le racisme féroce qui continue à caractériser, aujourd'hui encore, la société bolivienne, tout cela justifie la reconnaissance du droit à l'autodétermination pour les 37 groupes indigènes qui résident dans l'Etat bolivien. Sans doute certains poseront la question: "comment pourrait-on atteindre une unité plus solidaire si des groupes indiens se séparent de nous?". Il y a dans une tradition propre à Lénine une réponse possible à cette question si importante. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale a surgi la revendication d'indépendance pour la Pologne face à la Russie tsariste. Et Lénine a indiqué que l'unité politique des travailleurs russes et polonais passait par l'appui que les travailleurs russes donneraient à leurs revendications d'autodétermination des travailleurs polonais. Si les travailleurs russes n'appuient pas la revendication des travailleurs polonais, ils se verront transformés en "bourreaux" des autres peuples car ils seront complices de la politique bourgeoise qui nie le droit des nations opprimées.

Dans ce sens, l'appui des travailleurs au droit à l'autodétermination d'une nation opprimée à deux conséquences positives. La première: gagner la confiance des travailleurs de la nation opprimée ; la deuxième, cela affaiblit les liens idéologiques qui peuvent encore attacher des travailleurs de la nation oppresseuse à leurs propres dirigeants.

Lénine insistait sur le fait que le droit à l'autodétermination est un droit politique qui ne signifie rien d'autre, en dernière instance, que le droit à la sécession et à la création d'un Etat. De l'autre côté, Lénine argumentait de la façon suivante: les socialistes membres du peuple polonais devaient affirmer que, sans l'unité internationale de la classe ouvrière, ni les travailleurs russes, ni les travailleurs polonais ne pourraient triompher de l'impérialisme. C'est-à-dire que les socialistes au même moment où ils défendaient le droit à l'autodétermination cherchaient l'unité maximum possible entre les travailleurs des diverses nations et ethnies.

Lénine écrivait dès lors: "La situation est, effectivement, quelque peu déconcertante, mais il existe une voie de sortie dans laquelle tous les participants peuvent manifester leur fidélité à l'internationalisme. Ainsi les social-démocrates russes [et allemands, après l'annexion de la Pologne] doivent revendiquer le droit inconditionnel des Polonais à la sécession et, de leur côté, les social-démocrates polonais doivent travailler à l'unité de la lutte prolétarienne dans les petits et les grands pays..." Dès lors, dans la conjoncture bolivienne actuelle, les travailleurs boliviens doivent affirmer la justesse de la revendication des travailleurs boliviens indigènes afin qu'ils puissent décider de leur propre statut politique allant jusqu'à la sécession et à l'indépendance. Et les socialistes, dans les rangs des travailleurs indiens de la campagne comme des villes, doivent argumenter en faveur de l'unité des diverses composantes nationales de la classe ouvrière bolivienne en une seule entité politique, ce qui contribuera à créer une société beaucoup plus forte et solidaire dans le futur.


Le troisième défi consiste à proposer une nouvelle orientation pour le processus bolivien et à gagner la majorité du peuple bolivien pour cette option. Dans les circonstances actuelles, c'est la COB qui, plus que toute autre organisation sociale, tente de jouer ce rôle. Elle dirige la lutte pour la nationalisation du gaz et contre le décret 21060. Evidemment, il est très probable que la direction de la COB pense qu'il n'est pas possible d'obtenir la levée du décret-loi 21060 dans un futur immédiat et, dès lors, qu'elle engage, comme elle a tenté de le faire le 18 mai, des négociations en ne mettant pas à l'ordre du jour le décret-loi 21060. Toutefois, pour ce qui a trait à la nationalisation du gaz, la COB pense qu'il est possible d'obtenir la nationalisation avec ou sans referendum et qu'elle peut et doit jouer un rôle central dans ce combat.

Ce qui manque dans la situation bolivienne actuelle, c'est un mouvement de masse fondé sur la lutte pour le socialisme comme une alternative explicite au libéralisme. Revendiquer la nationalisation du gaz, réclamer un budget accru pour l'université, freiner le transfert du système de santé publique aux départements (décentralisation), tout cela représente des pas importants. Néanmoins, la réalité est telle que rien ne sera assuré tant que le néolibéralisme continuera à forger le cadre dans lequel se développe l'activité socio-économique de la Bolivie. Si une augmentation des ressources budgétaires pour les étudiants est obtenue cette année, elle peut fort bien être supprimée dans l'année suivante. Dans les six prochains mois, les autorités peuvent décider de réinitier le processus de décentralisation et de transférer des tâches aux départements, que ce soit aux secteurs privé ou public.

Avec une classe politique corrompue qui domine le Congrès national - une classe politique qui subit la pression extrêmement forte du FMI - les sociétés pétrolières peuvent continuer de contrôler, de fait, les ressources en gaz, quand bien même il y aurait nationalisation. La nationalisation fait partie des réponses au néolibéralisme. Mais la composante la plus importante d'une alternative au néolibéralisme réside dans l'autogestion et l'autodétermination de tous les travailleurs boliviens, c'est-à-dire leur contrôle sur la richesse naturelle et sociale du pays. Ce pouvoir véritablement démocratique se nomme socialisme: un socialisme créé et soutenu depuis en bas et non un "socialisme" alloué et manipulé par en haut, par des politiciens professionnels de l'Etat. On peut renverser des gouvernements néolibéraux depuis aujourd'hui jusqu'à l'éternité. Mais jusqu'à ce qu'un mouvement de masse arrive à remplacer le néolibéralisme par le socialisme, le peuple bolivien ne pourra échapper au joug du capitalisme et de l'impérialisme.

Il est nécessaire de construire une organisation révolutionnaire en Bolivie pour trois raisons:

La première, une organisation de ce type peut lutter idéologiquement pour que se développe un débat large et ouvert sur le socialisme comme alternative sociale. S'il est évident que divers secteurs sociaux boliviens ont une conscience «anticapitaliste», tous ne l'ont pas. De plus, pour démanteler le capitalisme en Bolivie, une fois pour toutes, il est nécessaire que la conscience anticapitaliste se développe en direction d'une conscience de classe qui impulse un mouvement pour le socialisme. Une organisation révolutionnaire est indispensable pour canaliser une lutte idéologique capable de convaincre la population et les travailleurs qu'il existe une alternative.

La seconde raison est qu'il manque une organisation qui se dédie à forger l'unité entre les différents secteurs en rébellion et qui se préoccupe avant tout des intérêts des masses laborieuses dans leur ensemble. Cela signifie qu'une telle organisation non seulement défendra les intérêts économiques de tous les travailleurs, sans sectarisme, mais mettra en avant aussi les intérêts politiques et culturels de la classe ouvrière bolivienne, qui se retrouveront dans la création d'une société sans oppression nationale ni oppression sexuelle. En ce moment, la COB cherche à remplir cette fonction et peut contribuer fortement à un projet de ce type. Toutefois l'histoire enseigne qu'il y a des limitations dans le syndicalisme, y compris le syndicalisme révolutionnaire. A certains moments, les dirigeants syndicaux mobilisent leur base; en d'autres moments ils la démobilisent en fonction d'accords signés par eux avec les patrons et les gouvernements. De plus, les syndicats révolutionnaires rencontrent des difficultés à projeter une alternative cohérente au capitalisme. Et, finalement, le syndicat est un organisme de médiation entre le Capital et le Travail. Ces considérations expliquent les raisons pour lesquelles la lutte anti-néolibérale exige non seulement la présence de syndicats combatifs, comme la COB ou la CSUTCB (Centrale des travailleurs de la campagne). Mais aussi l'action d'une organisation - ou d'organisations - politique pleinement engagée dans un projet de socialisme révolutionnaire.

Finalement, le rythme des événements lui-même plaide en faveur de la construction d'une organisation révolutionnaire. Bien qu'ayant commencé lentement, en septembre 2003, la rébellion d'octobre 2003 a fourni aux syndicats, aux mouvements sociaux et au peuple insurgé une semaine où se posait la question d'abattre le néolibéralisme. Cela signifie que la conjoncture pouvait permettre non pas de passer d'un gouvernement libéral à un autre mais d’avancer vers une société qui, cessant d'être contrôlée par les transnationales et leurs laquais nationaux, serait prise en main et dirigée par la population et les travailleurs du pays. Néanmoins, Evo Morales et le MAS, de fait aux côtés des partisans de l'ex-président Losada et de l'ambassade américaine, ont tout fait pour que se maintiennent intactes les conditions favorables à l'accumulation capitaliste et au pillage impérialiste. Ce qui manquait, c'était précisément une organisation qui aurait disposé d'une implantation sociale, d'une force organisationnelle, d'une expérience dans la lutte et d'une confiance politique nécessaire pour s'opposer aux néolibéraux et à leurs alliés réformistes. C'est-à-dire une organisation qui aurait pu poser le socialisme comme une alternative face à une nouvelle édition d'une politique néolibérale. Certains affirment qu'une organisation socialiste révolutionnaire n'est pas nécessaire en Bolivie, parce que les mouvements sociaux représentent déjà des organisations disposant de la force suffisante pour abattre le néolibéralisme. Toutefois ces forces ne l'ont pas fait en octobre 2003. Elles ont accepté un gouvernement, celui de Mesa, qui continue la politique de Losada. Elles n'ont pas posé le problème du démantèlement du capitalisme. En réalité, pour l'heure, sont relativement faibles les voix s'exprimant dans les mouvements sociaux et qui plaident pour une voie révolutionnaire pour un socialisme venant d'en bas comme alternative au libéralisme.

Il y en a d'autres qui affirment que les conditions objectives ne sont pas suffisamment mûres pour créer les conditions d'émergence d'une organisation socialiste et révolutionnaire en Bolivie. Or, au contraire, de telles conditions objectives sont là. Et, de plus, une telle organisation ne se constitue pas en un jour, ni ne se constitue à l'occasion d'une semaine de luttes fortes comme on l'a connu en ce début 2004. Il en découle que le facteur subjectif (l'organisation, le degré de conscience, etc.) reste décisif. Ce n'est pas tomber dans un volontarisme erroné de dire qu'il faut construire dès aujourd'hui ce type d'alternative.

Où commencer? Avec les militants de base les plus actifs dans la rébellion d'octobre 2003, avec les travailleurs et travailleuses qui ont gagné la confiance de leurs camarades sur le lieu de travail, dans les mouvements sociaux et dans les quartiers populaires.

Ces travailleurs des champs et de la ville - travailleurs ayant un contrat normal, travailleurs précaires, sans terre, sans toit - doivent se réunir dans des structures traditionnelles et débattre à tous les niveaux des leçons d'octobre 2003, des limites du réformisme et de la signification qu'ils veulent donner à la thématique du socialisme révolutionnaire. A partir de cette ample discussion anticapitaliste, il est possible d'arriver à quelques accords fondamentaux qui donneront vie à une grande lutte idéologique et politique pour le socialisme révolutionnaire. C'est ainsi que surgira en Bolivie une organisation qui sera à la hauteur des gigantesques événements et des énormes défis qui attendent les masses laborieuses de Bolivie.


* Tom Lewis est professeur de littérature hispanique à l'université d'Iowa, Etats-Unis. Il a écrit un livre sur la guerre de l'eau à Cochabanba, qui sera publié par Zed Press en novembre 2004, il est membre de la rédaction d'International Socialist Review, une publication de l'International Socialist Organization (ISO), Etats-Unis.
 
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