Bolivie

La bataille et le massacre de El Alto

El Alto, 12 octobre 2003. Trente-six heures de tirs de fusil et de mitraillettes, des balles qui pleuvent de tous les côtés des avenues, n'ont pas réussi à faire plier le peuple de El Alto, le plus pauvre et le plus rebelle de Bolivie, ce pays si éprouvé.

Des milliers et des milliers d'habitants, organisés par pâtés de maisons et par quartiers, affrontent à pied, avec des pierres et des bâtons, des chars légers et des militaires en tenue de combat qui tirent sur tout ce qui bouge. Le massacre qui a débuté le samedi 10 octobre à 7 heures du matin, continuait à faire rage le dimanche dans la nuit.

Ce jour et demi de bataille pour décider du destin du gaz et du pétrole et de l'avenir du Président Gonzalo Sanchez de Lozada a déjà fait plus de vingt morts par balle (dont au moins 18 ce dimanche), et plus de cent cinquante blessés, presque tous des civils, sur une population de 800000 habitants.

Les noms des morts et des blessés, diffusés par de courageux journalistes de radios locales, ne laissent aucun doute: ceux qui sont tombés sont tous des Aymara, des hommes et des femmes humbles, des hommes et des femmes du peuple.

"Nous n'arrivons plus à compter les morts, ils sont en train de tirer contre tout le monde. Les gens sont en train de mourir faute de soins, et il n'y a plus de médicaments" rapporte journaliste de la  station de radio Erbol, qui supplie qu'on envoie des médicaments, de l'argent et du sang pour que les blessés ne meurent pas dans les centres médicaux de Rio Seco.

Et dans une lettre ouverte à Sanchez de Lozada, l'Assemblée des droits humains et la Fédération des Journalistes sont formels: "Divers médias ont confirmé l'utilisation d'armes de gros calibre, y compris de mitrailleuses lourdes, contre le peuple bolivien. Nous ne pouvons plus parler d'affrontement, il s'agit d'un véritable massacre".

Les appels à l'aide en provenance d'autres régions se multiplient sur les ondes de Wayna Tambo, la Pachamama et d'autres radios locales qui reçoivent les messages de solidarité avec ceux qui luttent dans les rues poussiéreuses de cette ville située à quatre mil mètres d'altitude, tout près d'un ciel qui ne s'émeut pas des épreuves des pauvres.

"Je demande au nom de Dieu que vous arrêtiez de tirer contre le peuple", supplie le petit curé Wilson, de Villa Ingenio, sur les ondes de radio Erbol.

Dans l'hôpital Jean XXIII, les médecins et les infirmières reçoivent les blessés les larmes aux yeux. "Par pitié, plus de morts", pleure une auxiliaire.

De plus en plus de blessés, de plus en plus de morts, dans la région de Los Andes et à Rio Seco, où il n'y a plus de pardon pour le gouvernement néolibéral.

"El Alto debout, jamais agenouillé", crient plusieurs jeunes dans la place Ballivian, et l'écho de ces cris se propage à la Ceja, à Villa Tumari, à Santiago II, à Rio Seco et à l'avenue Jean-Paul II, où la vie s'éteint plus rapidement qu'à Rome.

Comme dans toutes les régions de El Alto, les affrontements sont également intenses à la Ceja, au départ de l'autoroute qui relie cette localité à la ville de La Paz. Dans les collines, les habitants affrontent avec des pierres et des frondes les militaires qui escortent les camions-citernes transportant l'essence pour approvisionner La Paz. Peu à peu celles-ci parviennent à pénétrer dans la ville de La Paz, où se trouve le siège du gouvernement, ville qui est encore semi paralysée par manque de combustible et par la peur et la colère de ses habitants face à ce massacre démesuré, propre aux dictatures les plus sanglantes de la mémoire de la Bolivie.

Vers 19 heures, le 13 octobre, le sanglant objectif consistant à réapprovisionner La Paz en essence et en gaz avait partiellement réussi, même si c'était au prix de beaucoup de sang versé. Mais l'autre objectif gouvernemental, qui était de contrôler et de soumettre les rebelles de El Alto en les noyant dans le sang et les tirs de mitrailleuse, a totalement échoué.

Les tentatives de négociations entreprises jusqu'à cet après-midi par l'Assemblée des Droits humains et la Fédération des Travailleurs de La Presse pour pacifier le pays n'ont pas abouti. Ces organisations accusent le gouvernement de ne pas vouloir négocier.

Avec les ombres de la nuit tombante se multiplient les rumeurs concernant de nouvelles incursions armées de groupes d'élite de l'armée et de nouvelles mesures de répression encore plus importantes contre les habitants de El Alto et contre la presse libre, celle qui informe au lieu de se taire, comme beaucoup d'autres aujourd'hui en Bolivie.

Mais au vu de la situation, cela ne paraît pas avoir une trop grande importance. Accrochés aux pentes, plantés dans les rues et les carrefours de la ville de El Alto, postés dans les versants des montagnes qui entourent La Paz, les rebelles armés de pierres et de frondes croient que le nouveau jour verra l'écroulement de l'injustice et du génocide.

"Même avec l'état de siège, ils ne pourront pas arrêter le peuple. Personne ne peut plus arrêter ce qui est en train de se passer. Si le Gouvernement ne retire pas immédiatement les troupes de El Alto, cela va brûler" a averti le mineur Jaime Solares, dirigeant de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) en convoquant la population travailleuse à descendre dans les rues de La Paz.

 

 

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