Irak-Etats-Unis

A l'intérieur du mouvement de résistance

Zaki Chehab*

Nous reproduisons, avant l'article, la note introductive de l'éditeur de Viewpoint Archives "Nous publions un reportage du premier journaliste qui a interviewé des combattants de la résistance Irakienne. Ces combattants ont des agendas très divers. Cet article est intéressant pour nous aider à comprendre ce qui est en train de se passer là-bas."

Le commando suicide qui a attaqué hier l'Hôtel Bagdad, fréquenté par les Américains, était le quatrième membre du mouvement de résistance Irakien à se tuer pour la cause. Cet attentat à la bombe s'est déroulé trois jours seulement après l'attaque suicide de la semaine passée contre un poste de police de Bagdad [12 octobre 2003], et qui a fait au moins huit morts.

Au cours des rencontres que j'ai eues avec les combattants de la résistance dans différentes régions d'Irak, je n'ai aucun doute que de nombreuses autres attaques de ce genre vont encore avoir lieu.

Le premier attentat suicide en Irak est celui qui a pris pour cible l'ONU en août 2003. Il signale clairement que le mouvement de résistance qui se développe de manière croissante est en train de changer de tactique. La coalition dirigée par les Etats-Unis, frustrée par son incapacité à maîtriser la situation, met ces attaques sur le compte d'éléments étrangers infiltrés. Les forces de la coalition insistent, en effet, sur la ressemblance entre cette nouvelle tactique et celle déployée par al-Qaeda et d'autres groupes militants au Moyen-Orient. Rares sont ceux qui comprennent que, bien entraînés militairement, les Irakiens ont simplement tiré des enseignements des expériences d'autres groupes, et les ont appliqués dans leurs propres attaques.

J'ai rencontré des combattants de la résistance Irakienne pour la première fois dans une ferme dans la banlieue de Ramadi, au nord de Bagdad. Cela se passait plusieurs mois après la chute du régime de Saddam Hussein, et ce jour-là les gens de Ramadi étaient rassemblés dans une mosquée pour les funérailles d'un jeune Irakien tué par les forces américaines. Non armé et conduisant une voiture civile, ce jeune homme ne s'était pas arrêté à un barrage de contrôle, alors qu'aucun signe ne l'avertissait, lui ou d'autres conducteurs, du danger.

J'ai été déconcerté par la virulence de la colère manifestée par les habitants de cette localité. En effet, ce jeune homme n'était ni le premier ni le dernier à mourir à un barrage de contrôle. Mais il apparaissait clairement que ces morts incitent les gens à riposter contre les forces d'occupation.

Après les funérailles, et alors que le couvre-feu redouté de 22 heures s'approchait, mes nouveaux compagnons Irakiens m'ont invité à les accompagner vers un refuge qui se trouvait à proximité. Comme nous parcourions le dangereux tronçon de route qui relie Ramadi à Bagdad, tronçon où le mouvement de résistance mais aussi des bandes [de malfaiteurs], effectuent quotidiennement des attaques, la discussion s'orienta sur la nature du mouvement de résistance Irakienne.

J'étais très intéressé de découvrir pourquoi ce mouvement était en train de s'étendre aussi rapidement dans tout le pays, et quelles étaient les motivations de ses membres. Mes compagnons, des Irakiens ordinaires, m'ont immédiatement proposé de rencontrer des combattants qu'ils connaissaient.

Ces combattants portaient des habits civils, mais leurs visages étaient couverts, et ils portaient une série d'armes allant depuis les armes légères, Ak-47, RPG-7 jusqu'à des lance-roquettes portés en bandoulière et des grenades.

Toutefois, ce qui m'a le plus frappé, c'est l'intensité de leur engagement sur un objectif: celui de libérer l'Irak de ses actuels occupants. Ce n'était pas des "résidus du mouvement Baasiste". Au contraire, ils dénonçaient Saddam Hussein pour avoir attiré les Américains en Irak. Ils allaient même jusqu'à dire que la capture de Saddam par les forces alliées couperait une fois pour toutes les liens entre Saddam et le mouvement de résistance. Ils se définissaient comme des nationalistes. L'un d'entre eux a expliqué:"On ne veut pas voir notre pays occupé par des forces qui poursuivent visiblement leurs propres intérêts au lieu se préparer à rendre l'Irak aux Irakiens".

Plus tard, j'ai rencontré des membres d'une autre composante de la résistance: c'étaient des loyalistes de Saddam Hussein à Tikrit. Nous étions en train de filmer dans la rue principale lorsque deux jeunes Irakiens bien bâtis se sont approchés de nous. Pendant qu'ils nous interrogeaient pour savoir pour qui nous travaillions, un convoi américain a passé. Les deux hommes ont proféré des imprécations contre les soldats Américains, en les menaçant de faire de l'Irak leur tombe.

Ensuite ils sont revenus vers nous. Ils se sont vantés d'avoir attaqué, la nuit précédente, les Américains dans le palais de Saddam [qu'ils occupent], tout en annonçant qu'ils allaient effectuer des attaques quotidiennes jusqu'à ce que les Américains soient chassés du pays. L'un des deux hommes, qui s'est présenté sous le nom de Nabil, a déclaré qu'il n'y avait aucun soutien local pour les Américains, qui ne seraient jamais en sécurité, même s'ils étaient des milliers.

Il ne s'agit pas là de menaces en l'air. J'ai passé la nuit avec une famille Irakienne de la ville. Pendant que nous étions assis dans le jardin à l'arrière, nous avons été les témoins de huit explosions à quelques minutes d'intervalle. Mon hôte, un professeur d'université, a expliqué qu'il s'agissait d'attaques au mortier contre le quartier général des troupes américaines à Tikrit.

A Mossoul et à Faluja, la résistance se manifeste sous une autre forme. Dans ces villes, la plupart des résistants s'identifient avec des organisations islamistes comme les Frères Musulmans. Récemment des informations ont fait état de rencontres, dans la capitale Jordanienne, entre les hauts dignitaires du Hamas et ce secteur de la résistance. Ces résistants cherchaient à tirer des enseignements de l'expérience du Hamas et notamment de son aile militaire, bien connue pour ses attaques suicides contre des cibles Israéliennes.

Ce développement était tout à fait prévisible. Lorsque Mossoul est tombée entre les mains des Américains le 11 avril 2003, la terreur et le chaos ont envahi toute la ville. Le Pentagone a promis que des milliers de ses soldats allaient sécuriser Mossoul et éviter des pillages. C'est ce jour-là que je suis arrivé dans cette ville.

Au moment des prières, des douzaines de fidèles s'étaient réunies pour écouter l'un des principaux membres du clergé Sunnite. Celui-ci préconisait la patience, mais avertissant aussi que si la paix et la sécurité n'étaient pas restaurées, "les habitants de Mossoul auraient encore les moyens de résister, car ceci n'est pas la libération promise, mais une occupation, Nous n'accepterons jamais que l'Irak devienne une deuxième Palestine".

L'Irak est un pays qui a subi plus de  vingt ans de guerre et plus de dix ans de sanctions. Les motivations varient d'un groupe de la résistance à l'autre: les loyalistes sont poussés par la perte du pouvoir; les nationalistes par le désir de gagner l'indépendance et la sécurité; les islamistes par leur rêve de restaurer l'Islam politique à la nation Irakienne.

Ces différentes aspirations sont peut-être incompatibles, mais le but de chacun de ces groupes est actuellement de combattre ensemble l'ennemi commun de l'Irak: les forces d'occupation.

Dans certaines régions, cet objectif commun trouve une expression structurelle. Dans les ruelles de Mossoul, peu après la chute de la ville, je suis tombé sur un groupe d'hommes armés qui criaient et tiraient dans différentes directions.

Je leur ai demandé qui ils étaient: certains se sont présentés comme étant d'anciens Bassistes, d'autres disaient qu'ils appartenaient à des organisations islamistes. Même si leur monde idéologique était à des lieues de distance, ils expliquaient que, dans cette ville, ils recevaient tous leurs directives du même comité, dirigé par un groupe de dignitaires religieux. Plus tard j'ai découvert qu'il y avait des liens similaires entre les groupes de résistants à Faluja et à Samarra.

La détermination et la férocité de la résistance Irakienne ont été amplifiées par les bévues commises par des soldats Américains en Irak. Des chefs de la coalition ont géré de manière totalement inepte les opérations au sol, et ni les Britanniques ni les Américains n'ont réussi à présenter une "feuille de route" claire pour la reconstruction de l'Irak permettant aux Irakiens de se gouverner.

Des barrages de contrôle aléatoires et des fouilles maison par maison, souvent basés sur des informations inexactes, n'ont fait qu'aggraver une situation qui était déjà mauvaise. Les comportements culturellement inappropriés, par exemple le fait que des soldats hommes fouillent des femmes ou les punitions collectives, contribuent à aliéner encore davantage la population et à susciter du soutien populaire à la résistance.

Au vu du nombre croissant d'Irakiens qui rejoigne la résistance, il serait nécessaire que Washington et Londres révisent leurs projets militaires et politiques pour l'Irak d'après le conflit. Les forces d'occupation sont dans une position vulnérable. Si elles renforcent leur présence militaire face à la résistance croissante, ils ne feront qu'aliéner encore davantage les Irakiens, et le mouvement de résistance continuera à s'étendre. Sauf s'il y avait un retrait rapide, on peut s'attendre à ce que les attaques dans le sud dominé par les shiites, encore sporadiques actuellement, se multiplient.

La Grande-Bretagne et les US sont en fait en train de préparer la scène pour une nouvelle phase de la résistance Irakienne. Celle-ci tire des enseignements de l'expérience de la région, et elle est déjà en train d'appliquer de nouvelles tactiques. La dernière en date est l'attentat suicide, une arme que même les forces antiterroristes les plus importantes s'efforcent de contrer.

*Zaki Chehab est l'éditeur politique de la chaîne arabe aL-Hayat-LBC.

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