Argentine

La crise argentine: ´La pauvretÈ solidaireª

par Virginia Giussani

Lidia del Rosario Quintero est ’gÈe de 46 ans, et, depuis trois ans, pour soutenir sa famille, elle est devenue ´ cartonera ª (chiffonniËre, littÈralement ramasseuse de cartons).

Mais Lidia ne síenferme pas dans son malheur, elle partage et síefforce de trouver des solutions ý un problËme qui níest pas personnel mais bien plutÙt social, et qui prend toujours plus díampleur.

Un jour, elle a reÁu une lettre contenant un appel au secours dÈsespÈrÈ en provenance díune Ècole de la province de Tucuman (province situÈe au Nord de líArgentine). Cette Ècole níavait plus les moyens de nourrir et díÈduquer les centaines díenfants qui arrivaient ý sa cantine, affamÈs, nu-pieds, dans líespoir de trouver lý un refuge, un verre de lait, un petit bout de leur dignitÈ outragÈe. Cette lettre Ètait adressÈe au ´ Train Blanc ª, un train spÈcial qui existe depuis quelques mois, et qui a ÈtÈ mis sur pied dans le seul but de transporter les milliers de cartoneros qui jour et nuit parcourent la ville pour fouiller les ordures. Dans cette lettre on pouvait lire, entre autres: ´ Nous sommes confiants, nous ne pensons pas quíun pauvre tirera sur un autre pauvre [allusion ý la campagne mÈdiatique sur ladite violence en Argentine], et nous savons tous ce quíest la faim. ª Cíest la raison pour laquelle cet appel de dÈtresse Ètait adressÈ aux cartoneros.

Et les cartoneros ont entendu cet appel, et ils y ont rÈpondu. Díabord ils ont constituÈ un groupe chargÈ de rÈpondre ý cette demande. De nombreux cartoneros avaient de la famille ý Tucuman, et savaient donc de quoi on parlait lorsquíon Èvoquait la faim. Le premier dÈfi a consistÈ ý rassembler ce que chacun pouvait apporter: riz, sucre, vÍtements pour les enfants. Chacun síest fait líÈcho de la pÈtition. CíÈtait un dÈbut. Lidia et díautres femmes cartoneras ont pris contact avec les AssemblÈes de quartier - gÈnÈralement composÈes de gens de la ´classe moyenneª - et lý aussi les personnes se sont jointes ý cet effort. Elles ont Ègalement contactÈ les Ètudiants de líUniversitÈ de Buenos Aires, qui ont aussi participÈ ý cette action. Et ainsi, ý force díefforts, mais aussi avec de la joie, ces groupes ont rÈussi ý rassembler trois tonnes de nourriture, de vÍtements et de jouets.

Or, alors mÍme quíun groupement social dÈpourvu de ressources financiËres, de structures et de moyens rÈussissait ý rassembler trois tonnes díaide solidaire en deux mois, un autre groupe social, celui qui descend depuis le prÈsident [Duhalde] jusquíau dernier ´ lobbyiste ª [allusion au groupe pÈroniste qui manoeuvre en vue des Èlections et d'obtention d'avantages Èconomiques], Ètait occupÈ ý síÈcharper dans de pathÈtiques divisions internes. Les deux grands partis qui Ètaient ´nos rÈfÈrencesª depuis presquíun siËcle, le Parti Radical [de De la Rua] et le Parti Justicialiste [les pÈronistes de Duhalde] sont en train de se dÈchiqueter dans de lamentables luttes pour le pouvoir. Certains membres de ces partis en perdition rÈussiront ý arriver jusquíaux Èlections gr’ce ý des alliances frelatÈes et ý de sordides tractations, mais ils níarriveront pas au pouvoir, car le pouvoir est en train de se construire dans une autre tranchÈe, lý o˜ jour aprËs jour et nuit aprËs nuit les gens se confrontent ý une rÈalitÈ que cette race de politiciens ne connaÓt plus depuis bien longtemps.

CíÈtait dix heures du soir, aprËs une journÈe de chaleur Èpuisante, que le train, non pas le train blanc, mais en quelque sorte son reflet, a pu dÈmarrer. Alors que la police Ètait occupÈe ý rÈprimer des vendeurs ambulants, des Èpargnants [des personnes qui ont toujours leurs dÈpÙts bloquÈs dans les banques] et des piqueteros [chÙmeurs organisÈs] dans le microcentre [centre de Buenos Aires], devant les yeux dÈconcertÈs de groupes de touristes [c'est la pÈriode d'ÈtÈ et de vacances en AmÈrique du Sud], les cartoneros et díautres personnes qui avaient apportÈ leur líaide solidaire ont achevÈ de charger le train en partance vers cette province dÈvastÈe, Tucuman. Et ils Ètaient plusieurs, les visages fatiguÈs mais heureux, ý accompagner le prÈcieux chargement pendant les 24 heures de voyage, pour remettre ces biens ý ceux qui en avaient besoin. En voyant partir le train, Miguel Carabaja, un grand noiraud, aux bras musclÈs disait, Èmu: ´On est des cartoneros, mais on y est tout de mÍme parvenus ! ª (Janvier 2003)

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