Colombie

Heures cruciales en Colombie

En Colombie - un pays marqué depuis 1948 par une situation de guerre civile, d'affrontements engagés par un gouvernement qui étaye son pouvoir sur une oligarchie terrienne, l'armée et des forces paramilitaires - le thème de la paix négociée est à l'ordre du jour depuis quelque trois ans. Certes, durant cette dernière période, à plusieurs reprises la rupture des négociations entre la principale des forces politico-militaires, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), et le gouvernement Pastrana a fait la une de la presse colombienne et parfois internationale. Toutefois, le tout récent ultimatum adressé aux FARC par Pastrana apparaît comme une crise particulièrement aiguë desdites négociations.

Des négociations biaisées

Une réunion s'était tenue à Los Pozos les 3 et 4 janvier entre les représentants du gouvernement et des FARC. Elle a abouti à une impasse. Le 8 janvier, le représentant du gouvernement Camilo Gomez appelle le président Pastrana, alors que ce dernier fêtait la réception de douze nouveaux hélicoptères de «lutte antiguérilla» offerts par les Etats-Unis. Le 9 janvier, les négociations butent à nouveau sur un désaccord. Le même jour, Camilo Gomez donne connaissance aux FARC que Pastrana donnera 48 heures à ces dernières pour se retirer de la zone d'El Caguan, zone contrôlée par les FARC et où l'armée colombienne est censée de ne pas intervenir (zone qui a une superficie équivalant à celle de la Suisse). Dès le 10 janvier, des engins blindés quittent les bases de Villa Vicencio et de Florencia en direction de la zone. Le même jour, le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU pour le «processus de paix en Colombie», James Lemoyne, lance un appel au calme. Il souligne que, selon lui, il existe de la part des FARC une volonté de paix. Ces dernières disent qu'elles attendent une décision du président Pastrana concernant les conditions de la poursuite des négociations jusqu'au 20 janvier et qu'elles n'ont jamais voulu interrompre les négociations. Elles insistent sur l'exigence: d'une interruption des survols de leurs campements par des avions militaires; d'une cessation des arrestations et «prélèvements» effectués sur les commerçants transporteurs et populations des régions limitrophes de la zone de repli (démilitarisée); d'une possibilité de visite dans cette zone de la part de citoyens non colombiens; d'un abandon des opérations d'infiltration d'agents. En outre, les FARC exigent une déclaration du gouvernement pour qu'il clarifie que, selon lui, les FARC-EPE, avec lesquelles il négocie depuis plusieurs années, ne sont pas une organisation terroriste. En effet, cette qualification peut servir «de prétexte à une intervention des Etats-Unis».

Ultimatum télévisé

Le 10 janvier à 21h30, Pastrana, dans une allocution télévisée, affirme qu'il accepte la mission de conciliation du représentant de l'ONU. Toutefois, il souligne que, si cette mission n'aboutit pas, l'ultimatum évoqué le 9 janvier, entrera en vigueur et que les FARC devraient avoir évacué la zone de repli le lundi 14 janvier à 21h30. Le vendredi 11, les négociations ont commencé avec Lemoyne.

Le 11 janvier, les FARC, dans un communiqué de presse signé par leurs principaux dirigeants, affirment qu'elles «attribuent une grande valeur aux préoccupations exprimées par la communauté internationale concernant l'avenir des négociations et plus particulièrement l'effort réalisé au nom du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, par James Lemoyne, son conseiller spécial. La journée de travail du 11 peut être qualifiée comme courageuse et constructive. Nous avons décidé d'un commun accord de prolonger la rencontre jusqu'au 12, avec la certitude de trouver des formules qui nous permettent de surmonter le moment difficile que connaît le processus de paix. Les FARC-EPE réaffirment au pays et au monde leur décision et leur engagement de continuer la recherche de solutions, par le moyen de négociations (Mesa), aux graves problèmes politiques, économiques et sociaux auxquels s'affrontent les Colombiens.»

Le samedi 12 janvier, les porte-parole des FARC-EPE, participant à la «table ronde nationale de négociations et de dialogue», publient un nouveau communiqué de presse dont le contenu est le suivant: «Au cours des 11 et 12 janvier 2002, nous avons travaillé de façon ininterrompue avec l'envoyé spécial... James Lemoyne... Au cours de ces journées de travail, et grâce à l'excellente collaboration de Lemoyne, qui a maintenu des contacts permanents avec le président Andres Pastrana Arango, nous avons élaboré pas à pas un projet de document qui cherche à rapprocher les positions du gouvernement et des FARC, afin de dépasser la paralysie du processus de dialogue et de négociations.» Puis, les représentants des FARC réaffirment leur volonté d'attendre une réponse en date du 20 janvier, comme prévu, au projet de document de négociations intitulé «Projet N° 5».

Une armée portée par les Etats-Unis

La presse colombienne souligne le renforcement des capacités militaires de l'armée. Et cela grâce à l'aide de Washington. Ainsi, la Semana du 14 janvier écrit: «Le budget pour les forces armées et la sécurité atteint déjà le record historique: plus de 3,5% du PIB.» On peut noter «une meilleure capacité aérienne: les hélicoptères de combat ont passé de 18 à 30 lors des trois dernières années et ceux de transport de troupes de 124 à 223, inclus les 32 qui viennent d'arriver pour l'armée et pour la police dans le cadre du Plan Colombie [voir à ce sujet à l'encontre N° 1, octobre 2001, «Géopolitique du Plan Colombie]... Les forces armées ont aussi amélioré la professionnalisation des soldats: elles disposent d'environ 140'000 hommes armés pour défendre l'Etat et, parmi ceux-ci, 55'000 sont des professionnels bien mieux entraînés que les bacheliers conscrits qu'ils vont remplacer.»

Il faut noter que l'armée de conscrits, quelque 87'000 jeunes, a pour fonction essentielle la surveillance des infrastructures. Les opérations contre les paysans et les forces de guérilla sont menées par des corps d'armée professionnalisés, disposant d'une aide importante d'«experts américains», et par les forces paramilitaires, dénoncées par l'ensemble des organisations de défense des droits de la personne humaine.

L'hebdomadaire Semana conclut son article du 14 janvier ainsi: «En résumé, de façon indiscutable, la capacité, le moral et la légitimité des forces armées se sont améliorés afin de pouvoir mener une guerre totale contre les FARC. Toutefois, il leur manque encore beaucoup pour assurer que par l'option militaire la guerre se termine plus rapidement que par la voie négociée. S'il n'y a pas de processus de paix, la guerre seule nécessitera un Etat plus décidé à engager un affrontement non seulement sur le terrain du combat armé, mais aussi sur le terrain financier et politique. Cette dernière bataille ne peut pas être menée par les seuls soldats mais par tout le pays.» On ne peut être plus clair sur la nature sociale et politique du conflit en Colombie. Le rôle de Washington est évident. C'est d'ailleurs avec emphase que l'ambassadrice Anne Patterson a remis les 14 derniers hélicoptères de combat Black Hawk à l'armée colombienne.

 

Entretien avec Olga Marin, membre de la commission des affaires extérieures des FARC, Mexico.

Quelle est l-origine de la décision de Pastrana de rompre le dialogue avec votre organisation?

Tout a eu lieu le 7 octobre dernier, lorsque le gouvernement a unilatéralement pris de lourdes décisions par rapport à la zone démilitarisée créée précisément afin de développer le dialogue [entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires]. Les conditions définies pour maintenir la zone démilitarisée devaient rester en vigueur jusqu-à la fin du mois de janvier 2002. Toutefois, parallèlement à cette décision, des mesures restrictives, dont certaines graves, ont été mises en place. Nous avons réclamé le rétablissement de la situation antérieure, produit d-un accord avec le gouvernement. Mais ce dernier a répondu par des provocations. La zone a été plusieurs fois survolée par des vols militaires en rase-mottes, avec le risque de provoquer un affrontement militaire.  De plus, le gouvernement a imposé des restrictions au déplacement de personnes non colombiennes qui ont l-intention d-entrer dans la zone démilitarisée. L'armée a organisé toute une série de contrôles autour de la région démilitarisée, ce qui empêche le ravitaillement normal de la population qui vit dans cette zone en biens de première nécessité. Nous avons donc demandé la levée de toutes ces mesures, ce qui a provoqué une crise que Pastrana utilise pour une rupture des négociations. 

Y a-t-il une dynamique possible afin que les négociations puissent reprendre? 

De notre côté existe une disponibilité à reprendre les tractations. Mais la condition reste l-élimination des entraves imposées par le gouvernement. Dans le cas contraire, nous considérons qu-il n-y a pas les conditions  pour renouer le dialogue. Il ne faut pas oublier qu-une des caractéristiques du gouvernement de Pastrana est celle de faire apparaître toute mesure allant dans le sens de la paix comme étant un geste éclatant, alors même qu-il ne s-agit que de l-application des points de l-accord obtenu avec nous autour de la table des négociations. Nous demandons donc le respect des conditions de base de manière à pouvoir aborder les questions plus importantes, telles que le modèle d-économie, le problème du chômage, de la santé, de l-instruction. Nous manifestons donc une attitude positive, mais le dialogue doit reprendre en considérant les positions des deux parties et non pas seulement sur la base de ce que dit le gouvernement.

Est-ce que la rupture concerne également l-autre force de la guérilla colombienne, l-Armée de libération nationale (ELN)?

Oui, mais cela s-est passé auparavant et il s-agit d-un processus de paix différent. 

Quel a été le rôle joué par les Etats-Unis dans cette phase?

Il y a beaucoup de pression sur le gouvernement colombien afin qu-il mette fin à la zone démilitarisée et au processus de paix.

Qu-est-ce que vous demandez à l'Union européenne?

Nous demandons à l-Europe et à la communauté internationale d-appuyer les négociations mais sans poser d-autres conditions et en assumant une attitude réellement neutre. Jusqu-à maintenant, ces organisations ont toujours appuyé inconditionnellement le gouvernement colombien. Les déclarations de soutien au président Pastrana sont nuisibles et elles n-aident pas le processus de paix.

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