Palestine

Les usines d'armement cachées
Amira Hass
,Ha'Aretz (quotidien israélien) , 12 décembre 2001

Il y a un laboratoire de fabrication d'armes à retardement que le Shin Bet et les ministres européens des Affaires étrangères ont oublié, lorsqu'ils ont demandé à Arafat de prendre des mesures contre le terrorisme. Dans ce laboratoire - qui dispose de centaines de succursales en Cisjordanie et à Gaza - des centaines, si pas des milliers de personnes font l'erreur de penser "Je suis prêt à mourir avec les Philistins".

Ces laboratoires sont les check-points et les bouclages des Forces de Défense Israéliennes (FDI), qui ont progressivement renforcé le siège autour de chaque ville et village palestinien, et fait paraître, en comparaison, les plans d'Avigdor Lieberman de morcellement des territoires comme un programme humain et éclairé.

Il est difficile de saisir toutes les informations qui parviennent de ces endroits assiégés. Le manque de fournitures médicales, telles que les bonbonnes d'oxygènes, est devenu désespérément routinier dans les hôpitaux. Le gaz de chauffage, le carburant, et même l'eau potable, viennent couramment à manquer. Les fournisseurs ont des difficultés à s'approvisionner en aliments frais.

La semaine dernière, interdiction a été faite aux Palestiniens d'emprunter les routes en Zone 'C' - quelque 60% de la Cisjordanie. Les écoles sont à moitié vides. Dans le camp de réfugiés de Fowar, par exemple, les enfants ne pouvaient éviter les check-points, et n'ont donc pu se rendre à l'école d'Hébron ces trois derniers jours. Les universités sont partiellement ou totalement paralysées, telle Bir Zeit, où toutes les routes conduisant vers la faculté ont été fermées en raison du couvre-feu en vigueur au nord de Ramallah. L'année scolaire est d'ores et déjà perdue, et avec elle les coûteux frais de scolarité.

Avec les check-points, les bouclages et les couvre-feux, un nombre indéterminé de gens ont perdu leur travail dans le secteur privé, ou bien ont été contraints de déménager, la moitié de leur salaire étant consacrée à payer un deuxième loyer. Chaque agriculteur qui part travailler sur ses champs risque sa vie; qu'il ait à traverser la Zone 'C', ou qu'il doive emprunter une route sécuritaire en bordure d'une colonie, il en devient automatiquement un"suspect".

Les FDI effectuent le décompte de la moindre mine, du moindre mortier palestinien, mais ne comptent pour rien toutes les grenades incapacitantes, les grenades lacrymogènes, les balles caoutchoutées et réelles dont les soldats font usage chaque jour pour faire appliquer le bouclage total. 

Les quartiers situés au nord de Ramallah ont été soumis au couvre-feu ces neuf derniers jours. Dans leurs chars, les soldats font respecter cette mesure toutes les quelques heures, en se mettant en travers de la route et en pointant leurs canons en direction des centaines de gens qui tentent de gagner le centre de la ville en passant par les collines. De temps en temps, les soldats lancent une grenade lacrymogène ou incapacitante, à d'autres moments ils tirent des balles "en caoutchouc". Parfois, ils confisquent les clés des voitures, et obligent les conducteurs à les récupérer en se rendant à l'Administration Civile. Mais l'immeuble de l'Administration Civile est situé en Zone 'C', où les Palestiniens n'ont pas le droit d'aller.

Sans caméras et sans observateurs extérieurs, c'est comme si ces choses ne s'étaient jamais passées. Les FDI peuvent assurer qu'elles ne sont au courant d'aucune fusillade. Comme ce fut le cas pour ces tirs qui ont tué Marwan Lahluh, un chauffeur de taxi d'Arraba qui avait tenté de gagner Jénine en empruntant des petites routes, et qui a été atteint en pleine poitrine d'une balle tirée depuis un bosquet où des Palestiniens affirment avoir vu une unité des FDI prendre position.

Les FDI affirment que les cas "humanitaires" sont autorisés à franchir les check-points. S'il en est ainsi, comment se fait-il que Tamer Kuzamer, un bébé malade, et sa mère, n'ont pas pu traverser le check-point de Habla pour aller consulter un médecin de Ramallah? Ses parents ont voulu faire un détour, bien plus long que la route directe, mais le bébé est mort au cours du trajet. Pourquoi deux malades cardiaques, revenant vers Gaza après avoir reçu des soins médicaux, ont-ils dû attendre pendant trois heures durant la nuit de vendredi dernier, jusqu'à ce que l'intervention d'un avocat israélien leur permette enfin de revenir dans la bande de Gaza assiégée? Et pourquoi une femme, qui venait d'accoucher 14 heures plus tôt à peine, a-t-elle dû attendre pendant des heures dans une ambulance à la sortie de Naplouse, avant de pouvoir regagner son village, distant d'à peine 10 minutes en voiture? Lorsqu'aucun journaliste ou diplomate n'est en vue, la réponse des FDI est qu'"aucune plainte n'a été déposée".

Chacun de ces exemples devrait être multiplié par les dizaines de milliers de personnes qui sont soumises quotidiennement aux mêmes préjudices, afin de commencer à comprendre le siège israélien dans sa globalité. Il faut essayer de regarder avec les yeux de tous ceux qui observent un vieillard chancelant sur ses béquilles dans la boue et la pluie pour éviter un énorme char, ou une jeune fille avec des nattes et vêtue de son uniforme scolaire, se réfugiant derrière un rocher pour s'abriter des gaz lancés par un soldat. Israël n'a qu'une seule réponse: Tout est permis dans la guerre contre le terrorisme. C'est pourquoi on oublie que les kamikazes qui se sont fait sauter près de l'hôtel de Jérusalem et dans le bus de Haïfa ont pu pénétrer en Israël en dépit des check-points, et que les kamikazes qui ont fait sauter leurs bombes dans une rue piétonnière de Jérusalem venaient d'Abou Dis, dont la sécurité est totalement sous contrôle israélien. Et c'est apparemment pourquoi il y aura toujours plus d'escalade militaire, et un renforcement accru du blocus.

 

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