Palestine


Yossi Beilin, ancien ministre de la Justice de l'Etat d'Israël(à gauche)
et Abed Rabbo, ancien attaché à l'Information de l'Autorité palestinienne

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La bulle de Genève
La préhistoire des récentes propositions

Ilan Pappe*

Le dit Pacte de Genève ou Accords de Genève a fait la une de la presse mondiale. La presse américaine ou britannique, de même que la BBC, n'a pas mentionné la présence de la Ministre des Affaires étrangères helvétiques, la social-démocrate Micheline Calmy-Rey. Par contre, on a eu droit, dans les médias internationaux, à des informations sur les relations entre cette dite «initiative de paix» et  le Département d'Etat américain, Powell entre autres. Ce qui sera utile à sa carrière future. Dès le début 2001, Javier Solana, l'homme de l'OTAN et actuel porte-parole des impérialismes européens, ainsi  que Igor Ivanov, ministre des Affaires étrangères de Russie et complice de Poutine dans la guerre contre le peuple tchétchène, avaient apporté leur soutien à ces manúuvres para-diplomatiques. Les deux acteurs centraux de ce qui deviendra l'Initiative de Genève, Yasser Abed Rabo et Yossi Beilin, se réunissent dans les locaux du quotidien palestinien Al-Qods, dans la partie arabe de Jérusalem, ou dans les locaux de la Banque mondiale, au nord de la ville!

Sur le contenu concret dudit Pacte de Genève, les commentaires furent minces. La presse helvétique apporta plus d'attention au fait que, dans les "territoires occupés", le drapeau suisse ait été brûlé, ce que le Code pénal suisse réprime sévèrement!

Mais pourquoi ce drapeau a-t-il été brûlé par des Palestiniens qui ne fréquentent pas la Rome protestant au même titre que les princes d'Arabie saoudite, du Koweit ou les bureaucrates engraissés représentant la Ligue arabe? Eux ne brûlent pas de drapeaux suisses, mais louent des Mercédès propres comme un franc suisse et des suites d'hôtel nettoyées par des employé·e·s du Portugal ou du Sri-Lanka, mais selon la méthode suisse, comme le sont leurs pétrodollars recyclés.

L'enthousiasme candide pousse des animateurs de l'Association des amis du Monde diplomatique ou d'attac international (France plus exactement) à apporter leur soutien, non-argumenté, à la «bulle de Genève». Mais comment être mus par un espoir de paix "virtuelle" qui se fait en légitimant un scandale humain: pérenniser la situation de dizaines de milliers de Palestiniens croupissant misérablement, depuis des décennies, dans des camps? La charité protestante peut se pencher sur les pauvres... jusqu'à étouffer leurs besoins réels, donc leurs droits.

Nous avons déjà publié des articles sur le Pacte de Genève sur ce site (voir les deux articles sous rubrique Nouveau, 2 novembre 2003). Cet article d'Illan Pappe renforce les arguments déjà mentionnés et, surtout, met en perspective cette opération diplomatique et d'intoxication. Les exportateurs suisses en direction des marchés arabes ont vu d'un bon úil les efforts de la diplomatie suisse et d'un fils de banquier, le professeur Alexis Keller.  Christophe Blocher, dont la firme Pawtag a des clients dans la région, a acquiescé. cau

Bien que nous vivions dans une époque d'intense et intrusive couverture médiatique, les téléspectateurs en Israël ont à peine réussi à disposer d'un aperçu des réunions qui ont produit l'Accord de Genève. Le clip que nous avons vu en novembre 2003 montrait un groupe d'écrivains israéliens célèbres et de militants pour la paix criant face à un groupe de Palestiniens peu connus et plutôt intimidés, des officiels de l'Autorité Palestinienne pour la plupart.

Abba Eban [1915-2002: diplomate israélien, longtemps auprès de l'ONU; il fut à diverses reprises ministre, en autres des Affaires étrangères, visant sans cesse à resserrer les liens avec les Etats-Unis] a dit un jour que les Palestiniens n'avaient jamais manqué une occasion de manquer une occasion et c'est cela, plus ou moins, ce que les Israéliens ont dit. Que les Palestiniens devaient se le tenir pour dit: c'était maintenant leur dernière chance et l'offre qui leur était faite était la meilleure et la plus généreuse qu'Israël ne leur ait jamais faite jusqu'ici.

C'est une scène familière. Les différents mémoires produits par les acteurs principaux des Accords d'Oslo indiquent que ce qui été dit là-bas est à peu près de la même nature, et des fuites concernant le Sommet de Camp David, en 2000, décrivent des échanges similaires entre Clinton, Barak et Arafat. En fait, le ton et l'attitude des Israéliens ont à peine changé depuis que le désespoir britannique a conduit à ce que la question de la Palestine soit transférée à l'ONU à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L'ONU était alors une organisation jeune et inexpérimentée et les gens pour lesquels elle était censée trouver une solution ne savaient pas du tout que faire. L'Agence Juive a avec joie rempli le vide en exploitant au maximum le désarroi et la passivité des Palestiniens.

En mai 1947, cette Agence livra un plan complet avec une carte au Comité Spécial de l'ONU en  Palestine (UNSCOP1) proposant la création d'un Etat Juif sur plus de 80% de la Palestine - plus ou moins la configuration actuelle d'Israël sans les Territoires Occupés. En novembre 1947, le Comité réduisit l'Etat Juif à 55% de la Palestine et transforma le plan en Résolution 181 de l'Assemblée Générale de l'ONU.

Son rejet par la Palestine ne surprit personne, les Palestiniens s'étant opposés à la partition dès 1918. Le soutien sioniste était lui couru d'avance et aux yeux des hommes politiques internationaux, c'était une base suffisamment solide pour la paix en Terre Sainte. Cette imposition de la volonté de l'une des parties sur l'autre n'ouvrait pas précisément la voie vers la réconciliation et cette résolution déclencha une violence à une échelle inégalée dans l'histoire de la Palestine moderne.

Si les Palestiniens n'étaient pas contents de la conception sioniste de la partition, alors le temps était venu pour une action unilatérale. Le leadership Juif revint à sa carte de mai 1947, en montrant clairement quelles parties de la Palestine étaient convoitées pour le futur Etat Juif. Le problème était qu'à l'intérieur de ces 80% de territoire convoités, les Juifs constituaient une minorité de 40% (660'000 Juifs et un million de Palestiniens). Mais les leaders du Yishuv [la communauté juive en Palestine] avaient anticipé cette difficulté dès le début du projet sioniste en Palestine. La solution telle qu'ils la voyaient résidait en un transfert forcé de la population indigène, afin qu'un Etat Juif pur puisse être établi. Le 10 mars 1948, la direction sioniste adopta l'abominable Plan Dalet [le célèbre plan D], qui aboutit à l'épuration ethnique des régions considérées comme devant constituer la base du futur Etat juif en Palestine.

La Palestine n'était pas divisée, elle était détruite, et la plus grande partie de sa population expulsée. Ce sont là les événements qui déclenchèrent le conflit qui depuis n'a plus cessé. L'OLP (Organisationb de Libération de la Palestine, constitué formellement en 1964] émergea à la fin des années 50 comme une incarnation de la lutte Palestinienne pour le retour, la reconstruction et la restitution. Mais les réfugiés étaient ignorés par la communauté internationale et les pouvoirs arabes de la région. Seul Nasser sembla adopter leur cause en forçant la Ligue Arabe à exprimer sa préoccupation. Mais lorsque les néfastes manúuvres de juin 1967 s'approchèrent [guerre éclaire menée du 5-10 juin 1967 sous le commandement du Général Rabin, dite Guerre des six jours], cela ne fut plus suffisant.

En juin 1967, toute la Palestine devint Israël: la nouvelle réalité géopolitique exigea un nouveau processus de paix. D'abord ce fut l'ONU qui prit l'initiative, mais celle-ci fut rapidement remplacée par les faiseurs de paix américains. Les architectes de la première heure de la Pax Americana avaient quelques idées bien à eux, mais elles furent catégoriquement rejetées par les Israéliens et ne débouchèrent sur rien. Les Américains devinrent alors les mandataires des plans de paix Israéliens. Ces derniers étaient fondés sur trois postulats: que l'épuration ethnique de 1948 ne soit pas évoquée; que les négociations ne concernent que le futur des territoires qu'Israël avait occupés en 1967, à savoir la Cisjordanie et la Bande de Gaza; et que le destin de la minorité Palestinienne en Israël ne fasse pas partie d'un accord global. Cela signifiait donc que 80% de la Palestine et plus de 50% des Palestiniens devaient être exclus du processus de paix. La formule fut acceptée inconditionnellement par les Etats-Unis et vendue comme étant la meilleure offre possible au reste du monde.

Puis pour un temps - jusqu'en 1977 - les Israéliens insistèrent sur une autre précondition. Ils voulaient se partager la Cisjordanie avec le Royaume Hachémite de Jordanie.(L' “ option Jordanienne ” , telle qu'elle fut qualifiée, plus tard, a été adoptée par l'Administration Reagan comme son propre plan de paix.) Mais lorsque le Likoud [Likoud = Rassemblement, parti de droite fondé en septembre 1973 par le général Ariel Sharon] arriva au pouvoir, en 1977, on laissa tomber cette option. Le nouveau Gouvernement n'étant pas intéressé par une forme quelconque d'accord ou de compromis. Cette option fut reprise au moment du gouvernement d'unité nationale, de 1984 à 1987, jusqu'au moment où ce furent les Jordaniens eux-mêmes qui réalisèrent que le Gouvernement Israélien n'était pas prêt à leur céder, même à eux, la Cisjordanie dans sa totalité.

Puis l'occupation Israélienne continua sans vergogne en l'absence d'un véritable processus de paix. Depuis le tout début de l'occupation, bien avant les attentats-suicide, il y eut des démolitions de maisons, des meurtres de citoyens innocents, des expulsions, des fermetures et des tracasseries généralisées. Les années 1960 virent l'augmentation constante du mouvement de colonisation. Elle conduisit non seulement à l'expropriation de la terre, mais à toutes sortes d'autres brutalités. Les Palestiniens répondirent alors par une forme radicale d'Islam politique  qui, après vingt ans de colonisation, était devenu la force avec laquelle il fallait désormais compter. Ce mouvement était plus audacieux dans sa résistance à l'occupation que tout ce qui avait précédé. Et il manifestait aussi une dureté aussi bien à l'égard de forces rivales palestiniennes qu'à l'égard de la population en général. Personne ne montra alors plus d'intérêt pour un effort diplomatique visant à résoudre le conflit que le Gouvernement du Likoud ne l'avait fait précédemment. Et la frustration s'intensifia dans les territoires occupés jusqu'à ce que, en décembre 1987[Première Intifada], la population locale se soulève contre les occupants.

Après un certain temps, la violence prit fin et une nouvelle période de recherche de paix s'ouvrit, très semblable aux précédentes. Du côté Israélien, l'équipe s'était élargie et incluait maintenant des universitaires aux côtés des politiciens. Une fois de plus, c'était une tentative Israélienne de rechercher l'approbation américaine. Et une fois de plus, les Américains essayèrent d'avancer quelques idées de leur propre cru: le processus de Madrid de 1991 fut en partie une tentative Américaine de justifier la première Guerre du Golfe. Il y avait là des idées avec lesquelles les Palestiniens pouvaient être d'accord. Mais c'était une affaire longue et lourde à porter et, dans l'intervalle, une nouvelle initiative Israélienne fut développée.

L'initiative comprenait une composante nouvelle. Ainsi, pour la première fois, les Israéliens cherchèrent des partenaires Palestiniens pour les aider à imposer leur plan de paix en Palestine. Ils s'adressèrent alors au sommet, c'est-à-dire aux dirigeants de l'OLP à Tunis [la direction de l'OLP après avoir quitté le Liban avait trouvé "refuge" en Tunisie].

Ces derniers furent attirés dans le processus grâce à la promesse Israélienne, maintenue plus tard dans l'Article 5, clause 3, de l'Accord d'Oslo, qu'après cinq ans de soumission aux besoins de sécurité des Israéliens, les principales revendications des Palestiniens seraient mises sur la table des négociations en vue d'un accord final.

Pendant ce temps, les Palestiniens seraient autorisés à jouer à l'indépendance. On leur offrit la possibilité de former une Autorité Palestinienne, décorée à l'insigne de la souveraineté, qui pourrait rester intacte aussi longtemps qu'elle prendrait des mesures draconiennes à l'encontre de tout mouvement de résistance contre les Israéliens. Pour cette raison, l'Autorité Palestinienne fit usage de cinq organisations de services secrets qui rajoutèrent les leurs aux violations des droits humains et civils commises par les occupants israéliens et celles commises par l'administration locale. La quasi autonomie de la Palestine eut peu d'influence sur l'occupation. Dans certaines régions, celle-ci fut directement renforcée, dans d'autres indirectement. Plus de colons Juifs arrivèrent. Et les tracasseries continuèrent partout. Quand l'opposition Palestinienne répliqua par les attaques-suicide, les Israéliens enrichirent leur répertoire avec la punition collective de telle façon que le soutien aux attentats-suicides s'élargit immédiatement.

Six ans après la signature des Accords d'Oslo, le «camp de la paix» revint une fois de plus au pouvoir en Israël, avec Ehud Barak à sa tête. Mais, une année plus tard, celui-ci devait déjà faire face à une défaite électorale, ayant été trop ambitieux dans presque tous les domaines.

La paix avec les Palestiniens semblait alors être la seule voie de salut. Les Palestiniens s'attendaient à ce que la promesse faite à Oslo constitue la base des nouvelles négociations. A leurs yeux, s'ils avaient été d'accord d'attendre cinq ans, il était maintenant temps de discuter le problème de Jérusalem, le sort des réfugiés et le futur des colonies.

Ce furent les Israéliens qui, une fois de plus, conçurent le plan. Ils y inclurent encore plus d'universitaires et d'experts «professionnels». La direction  palestinienne - qui, elle, était divisée - fut incapable de venir avec des contre-propositions sans aide extérieure. Elle chercha conseil auprès de d'instances aussi incongrues que l'Institut Adam Smith [haut lieu de la pensée néo-libéral où Adam Smith et accolé à Hayek] à Londres.

Sans surprise, seul le plan israélien se trouva alors sur la table de négociation au sommet de Camp David, en été 2000. Ce plan, endossé par les Américains, offrait le retrait de presque toute la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, laissant aux Palestiniens à peu près 15% de la Palestine d'origine, sous forme de petits cantonsenclavés etentrecoupés par des autoroutes, des colonies, des camps militaires et des murs. Ne figurait dans ce plan ni capitale à Jérusalem, ni solution au problème des réfugiés. Une utilisation totalement abusive des concepts d'Etat et d'indépendance y était faite. Même le fragile Arafat, qui jusqu'alors semblait se contenter des Salata (les bénéfices du pouvoir), puisqu'il n'avait jamais exercé de Sulta(le pouvoir effectif), ne put signer un document qui se fichait de toute exigence palestinienne. Immédiatement, il fut dépeint comme un belliciste.

Des manifestants non-armés exprimèrent leur consternation en automne 2000 et l'Armée Israélienne tira sur eux. La riposte Palestinienne ne fut pas longue à venir: la résistance était maintenant militarisée. S'ensuivirent les trois années de la seconde Intifada, puis «l'effort de paix» reprit une fois encore. Avec toujours la  même formule: une initiative Israélienne, au service du public Israélien et des besoins israéliens, présentée comme  compromis honnête de la part des Américains.

Trois initiatives apparurent en 2003. La première a déjà gagné le soutien américain: "la feuille de route". A la fin de cette route, 10% de la Palestine sera divisée en deux immenses camps de prisonniers - l'un à Gaza et l'autre en Cisjordanie - sans aucune solution au problème des réfugiés et avec le contrôle Israélien total sur Jérusalem. Les initiateursse cherchent encore un chef Palestinien qui leur convienne. Ayant perdu Mahmoud Abbas, ils mettent leurs espoirs en Ahmed Qoreï.

La deuxième initiative est la proposition Ayyalon-Nusseibeh, basée sur un retrait total par Israël des Territoires Occupés (exception faite du grand Jérusalem, qui constitue environ un tiers de la Cisjordanie), en échange de la promesse palestinienne de renoncer au droit au retour pour les réfugiés. Je soupçonne que Sari Nusseibeh, le président de l'Université al-Qods et ancien représentant de l'Autorité Palestinienne à Jérusalem, soit en train de répéter un stratagème qu'il a utilisé lors de la première Intifada, lorsqu'il suggéra l'annexion «de jure» des Territoires Occupés par Israël, de façon à prouver aux Israéliens qu'Israël ne pourrait par inclure la Cisjordanie et Gaza dans ses frontières en continuant à être un Etat Juif et démocratique. Il espère maintenant démasquer la non-volonté d'Israël de démanteler les colonies. Le plan Ayalon-Nussaibeh n'a pas réussi jusqu'à maintenant à impressionner les Israéliens. Toutefois, il a déprimé les communautés de réfugiés et je me demande si cela en valait bien la peine. Ami Ayyalon, à la tête du Shin Bet [service de sécurité israélien, contre-espionnage, contre-terrorisme] de 1996 à 2000, vit lui dans l'ancien village de Ijzim, d'où la population Palestinienne fut expulsée en 1948.

Et maintenant nous avons une troisième initiative avec la bulle de Genève:  une production impressionnante aussi bien en tant que document que comme cérémonie de style Hollywoodien. Elle ne deviendra probablement jamais réalité, mais elle mérite qu'on s'y arrête un instant. Ses caractéristiques de base sont décrites par David Grossman[écrivain israélien né en 1954, auteur de plusieurs romans à succès - Le sourire de l'agneau, L'enfant zigzag, Les exilés de la terre promise- et de livres-enquête comme Le vent jaune: un écrivain israélien enquête dans les territoires occupéset Chronique d'une paix différée] dans l'introduction à la version en hébreu.

Pour la première fois, on y trouve la totale reconnaissance par les Palestiniens du droit du peuple Juif à posséder un Etat en Israël et la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d'Israël. Le document offre des solutions pratiques et détaillées au problème des réfugiés, problème qui a conduit à l'échec de tous les efforts entrepris jusqu'ici. Figure également dans le document une promesse selon laquelle la majorité des Juifs vivant au-delà de la Ligne Verte [établie en 1967] resteront chez eux et deviendront part de l'Etat d'Israël. Il y a également un engagement de la part des Palestiniens à démilitariser l'Etat palestinien et à ne permettre à aucune troupe de stationner sur leur territoire.

Ce qui frappe, non seulement dans cette préface, mais dans l'ensemble du document, c'est le fait que, alors que le droit au retour des réfugiés est présenté comme un obstacle qu'il faut écarter si l'on veut parvenir à la paix et à la réconciliation, le caractère Juif d'Israël quant à lui - c'est-à-dire le caractère Juif de l'Etat originel avec les blocs annexés des colonies établies dans le Territoires Occupés et le Grand Jérusalem - ne constitue pas un obstacle.

Au contraire, ce qui manque, toujours selon cette logique, c'est la reconnaissance par les Palestiniens du nouveau Grand Israël. Et qu'est-il offert pour encourager les Palestiniens à reconnaître l'Etat construit sur la terre d'où ils ont été nettoyés ethniquement en 1948 et sur celle qui leur a été prise en 1967 ? Quelle est l'offre généreuse que, tout au long de la campagne, les colombes israéliennes ont bruyamment poussé leurs homologues à faire? Un mini-Etat, construit sur 15% de ce qui avait autrefois été la Palestine, avec une capitale près de Jérusalem et pas d'armée. En lisant cela de plus près, on y voit que l'autorité et le pouvoir investis dans l'Etat susmentionné n'ont pas grand-chose à voir avec une quelconque notion d'Etat que l'on pourrait trouver dans la réalité mondiale ou dans des ouvrages de sciences politiques.

Pire encore que cela, le projet de Genève laissera les réfugiés en exil. Des notes en bas de page disent que les réfugiés palestiniens pourront choisir, soit de retourner vers ce qu'il restera de leur pays d'autrefois, soit de rester dans leurs camps. Comme ceux-ci choisiront probablement d'attendre jusqu'à ce que la communauté internationale honore son engagement à permettre leur retour inconditionnel, garanti par la Résolution 194 [ de l'ONU, en date du 11 décembre 1948, demande le droit au retour pour les réfugiés,  ils resteront des réfugiés alors que leurs compatriotes en Israël continueront à être des citoyens de seconde classe dans les 85 % restants de la Palestine.

Dans ce projet, en outre, il n'y a pas de reconnaissance de la cause de ce conflit: le nettoyage ethnique de 1948. Il n'y a pas de processus de vérité et de réconciliation qui rende Israël responsable pour les actes commis en 1948, ou par la suite. Dans ces circonstances, ni les Palestiniens dans leur ensemble, ni le monde Arabe ne se sentiront en mesure d'accepter un Etat Juif.

Dans une célébration à Tel Aviv, les architectes des Accords de Genève ont passé et repassé une chanson populaire intitulée “«Et Tel Aviv sera alors Genève».. Mais Tel Aviv n'est pas Genève: cette ville est construite sur les ruines de six villages Palestiniens détruits en 1948 . Elle ne devrait d'ailleurs pas être Genève; elle devrait être Alexandrie ou Beyrouth, afin que les Juifs qui ont envahi le monde Arabe par la force puissent au moins faire preuve de la volonté de faire partie intégrante du Moyen-Orient, plutôt que de rester à l'intérieur de celui-ci un Etat étranger et aliéné. (18 décembre 2003)

*Ilan Pape est un historien critique israélien. Cet article a été publié dans la London Review of Books. Ilan Pappe a écrit de nombreux ouvrages, parmi lesquels Eric Hazan des Editions La Fabrique (Paris) a fait paraître: La guerre de 1948 en Palestine, aux Origines du Conflit Israélo-Arabe, 2000.


1.L'UNSCOP (United Nations special Committee on Palestine) est fondé en avril 1947, lorsque le gouvernement britannique présente le "problème de la Palestine" aux Nations Unies. Les onze membres de ce comité d'enquête, qui travaille quelque deux mois sur place, ne parviennent pas à dégager un accord sur une solution. Ils publient des rapports majoritaires et minoritaires. Le point de vue majoritaire, qui n'a cessé de réduire la surface du territoire "attribué aux Palestiniens", recommande le partage de la Palestine en deux États, l'un juif et l'autre arabe. Il conseille aussi que Jérusalem devienne une ville internationale.

C'est ce rapport qui est présenté a l'Assemblée générale de l'ONU le 29 novembre 1947, et qui est adopté comme Résolution 181. Trente-trois pays votent pour ce plan, treize s'y opposent et dix s'abstiennent. Les États Unis et l'Union Soviétique soutiennent la résolution, tandis que l'Angleterre s'abstient, promettant seulement d'évacuer ses troupes jusqu'en août 1948. En fait, les Anglais partiront trois mois plus tôt, le 14 mai 1948. réd.

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