Palestine


Image et réalité: le rôle des Etats-Unis au Moyen-Orient

Hanane Ashrawi

Cet article de Hanane Ashrawi traduit la vision d'une partie de personnalités de l'Autorité palestinienne ou de son entourage sur le rôle effectif et le rôle possible non seulement des administrations démocrate et républicaine, mais sur la politique de la classe dominante des Etats-Unis. Un article à lire à la lumière des développements présents. -Réd.

28 décembre 2001 - La courte vue et l'unique prise en compte des intérêts à court terme manifestées par les responsables de la politique américaine, n'ont eu, à aucun moment de l'Histoire un effet aussi dévastateur sur les réalités du monde Arabe et sur le Moyen-Orient, et par extension sur les intérêts nationaux et le statut de l'Amérique. Sans revenir aux origines des gaffes américaines répétées dans la région, il est temps de mettre en évidence les dangereuses implications de l'actuelle politique américaine, et sa capacité à générer une forte instabilité et un conflit. La faute la plus aveuglante est avant tout liée à la totale soumission des prises de décisions américaines, aux priorités et règles du gouvernement israélien - un gouvernement qui réussit à être le plus extrémiste, le plus idéologique, le plus dur, le plus militariste et irresponsable depuis la création de l'état d'Israël (lire à ce propos l'article de Georgie Anne Geyer: " Faltering U.S policy in the Middle East ", Washington Times,20.12. 2001).

Que ce soit le résultat de leur crédulité, de leurs penchants inhérents (stratégiques), ou qu'il s'agisse d'éviter volontairement toute confrontation avec la direction de la communauté juive ainsi qu'avec les lobbies pro-israéliens et les financiers des campagnes électorales, autant le pouvoir exécutif américain que le pouvoir législatif paraissent résolus à persévérer dans cette attitude, ce qui menace non seulement de ravager la région mais revient aussi à abandonner tout espoir de sauver l'image, l'influence et les intérêts des Etats-Unis dans cette partie du monde. Plutôt que d'envoyer des charlatans et fabricants d'images "hollywoodiennes", il incombe à l'administration US de réexaminer son vocabulaire et ses actes (aussi bien ses silences et son inaction) lorsqu'ils ont affaire aux Palestiniens, aux Israéliens et au Monde Arabe.

L'opinion publique du Monde Arabe, grossièrement ignorée par les administrations américaines successives, perçoit les Etats-Unis en fonction de son rôle et de l'impact de celui-ci dans les questions fondamentales qui touchent à la région - l'expression la plus visible, la plus émouvante et la plus contraignante étant la question de la Palestine.

Après 50 années de dépossession et de déplacement, après 30 années d'occupation militaire, après une dizaine d'années d'implication américaine dans le " processus de paix ", les Palestiniens apparaissent plus que jamais comme les victimes, avec chaque jour des pertes de vies humaines, la perte de leurs droits, de leurs terres, et même de la plus élémentaire considération humaine. A travers toutes les occasions, les Etats-Unis sont apparus comme l'allié le plus fidèle d'Israël, lui fournissant des milliards de dollars (un total de 92 à la date d'aujourd'hui) , lui fournissant un armement sophistiqué (utilisé pour bombarder, assassiner, et tuer chaque jour des Palestiniens), et ceci avec une couverture politique qui tient de l'aveuglement (24 veto à ce jour au Conseil de Sécurité de l'ONU).

Restant aveugle face aux activités israéliennes de colonisation, illégales et extrêmement provocatrices, les Etats-Unis ont aussi " sponsorisé " un processus de paix qui a eu pour effet de donner à Israël toute liberté pour acquérir plus de terre palestinienne et mener des " actions unilatérales " en toute impunité (particulièrement dans l'annexion illégale de Jérusalem-Est occupé).

Avec chaque accord renégocié, modifié, ou même nié dans les faits, les protecteurs américains ont excusé toutes les violations et abus de la part d'Israël, tout en exerçant une intolérable pression sur le côté le plus faible, c'est-à-dire le côté palestinien, afin qu'il fasse preuve de " flexibilité " et de sérieux dans ses intentions.

Un processus de paix aussi " dissuasif " est devenu un exercice abstrait de politique, sans légalité, sans substance ou relation avec les comportements sur le terrain. Ignorant délibérément l'augmentation de la souffrance des Palestiniens et l'escalade de la cruauté de l'occupation israélienne, les Etats-Unis ont démontré une inquiétante insensibilité face aux victimes et une totale collusion avec les occupants, amenant en définitive à la tragique rupture du 28 Septembre, connu sous le nom de seconde Intifada.

Le fait que tous les signes étaient en place, que tous les symptômes en étaient visibles, a été nié par le " sponsor " totalement inconscient, lequel n'a pas su prendre en considération la plus élémentaire composante humaine de son " processus politique ".

Ceci a été l'aspect le plus évident du reproche permanent fait aux Etats-Unis d'adopter un système de deux poids-deux mesures, de nier l'humanité des Palestiniens, et leur doute ou leur refus quant à l'application de la loi internationale et de la légalité à la situation des Palestiniens.

L'unique expression américaine de regret, de peine ou d'offense face à la perte de vies humaines se manifeste lorsque les victimes sont israéliennes, alors que des milliers de Palestiniens sont blessés ou assassinés par l'occupant israélien avec une totale impunité et un total manque d'humanité.

Par-dessus tout, le processus négocié a ignoré la possibilité d'appliquer les résolutions de nations Unies, l'asymétrie du rapport de forces qui requérait une protection pour les Palestiniens et l'obligation de rendre des comptes pour les Israéliens (au moins par rapport au respect de la Quatrième Convention de Genève et la loi internationale dans le domaine humanitaire), et un système effectif de médiation et d'arbitrage afin de résoudre les litiges de façon décisive et objective.

Prenant en plus en compte le pouvoir et l'influence disproportionnés et d'Israël dans sa zone de domination, la politique des Etats-Unis est devenue l'otage des pressions énormes et de l'influence de la direction d'un groupe spécial d'intérêt - le lobby pro-israélien et ses institutions aux Etats-Unis.

Avec une attitude aussi biaisée et aussi unilatérale dans les politiques mises en œuvre dans la région et dans la poursuite du processus de paix, les Etats-Unis ont exclu tout autre partenaire, y compris les Nations Unies, l'Europe, la majorité des pays arabes (sans oublier leurs propres alliés), et quiconque d'autre aurait montré des velléités de s'investir dans la construction de la paix ou aurait pu contester le total unilatéralisme des Américains - même pour son propre compte.

Par conséquent, Israël finit par multiplier les coups, non seulement comme pouvoir occupant exerçant sa force contre les Palestiniens, mais aussi comme inspirateur de la politique américaine (parfois directement par le biais de son lobby américain et les institutions qui y sont liées) et finalement de celle du monde en entier.

Le dernier " triomphe " en date est l'adoption par les représentants de l'Europe et des Nations Unies de l'essentiel du vocabulaire politique et des paramètres de l'alliance américano-israélienne pour définir leurs rôles et activités dans la région. Israël devint le guichetier du processus de paix, et tous attendaient en ligne la permission de jouer un rôle et d'exprimer leur bonne volonté d'en payer le prix.

Le résultat logique fut un processus de paix bâtard, des accords sans obligation, sans possibilité d'application sur le terrain et sans légitimité, en confortant la persécution des Palestiniens.

Maintenant que tous ces défauts ont produit leurs effets, amenant la rupture tragique et l'Intifada de Septembre 2000, il est temps d'apprendre des erreurs du passé.

Le monde qui succède au 11 Septembre a marqué une fin à l'isolationnisme américain et à ses interventions sélectives sans conséquences. La question de la " responsabilité du pouvoir " est devenue plus contraignante. Cependant, le danger inhérent à ce concept est son interprétation exclusive dans le cadre militaire ou en intervention négative, en s'arrogeant uniquement à soi-même le droit de redéfinir l'ami et l'adversaire, l'allié et l'ennemi, en concordance avec des critères subjectifs temporaires et subjectifs.

C'est là que réside la différence entre " responsabilité " et " arrogance du pouvoir ". L'impératif moral [incombant aux Etats-Unis - N.d.T] tient dans une intervention positive, constructive et pacifique se focalisant sur une sécurité humaine plutôt que militaire.

Dans le contexte palestino-israélien, cela requiert une initiative de paix " interventionniste " rapide et effective pour remplacer la dynamique meurtrière d'aujourd'hui et proposer aux parties en présence une alternative politique.

Avant tout, ceci devrait se traduire par une " séparation " des parties en levant le siège et les blocages des territoires palestiniens par les Israéliens, et par un coup d'arrêt aux brutales agressions israéliennes contre les Palestiniens.

Plutôt que d'utiliser le qualificatif de " terroriste " et de répéter le leitmotiv " arrêter la violence ", les Etats-Unis sont appelés, plus que jamais, à faire la preuve de leur objectivité et à établir une aussi claire séparation avec le langage, la politique, la brutalité, l'extrémisme et les violations de l'occupation israélienne.

Israël a la plus grande part de responsabilité dans le discrédit qui touche les Etats-Unis et dans la dégradation de leur image et de leur réputation, non seulement dans la région mais aussi dans le monde entier. Une courageuse prise de distance (ainsi qu'une attitude critique) devient essentielle si les Etats-Unis prétendent s'en prendre aux causes en adoptant une stratégie responsable et à long terme. Maintenir les Palestiniens dans un état de soumission, ou délégitimer leurs dirigeants ou nier leur humanité servira uniquement à attiser les flammes et à discréditer encore plus les Etats-Unis.

Ramener la confiance et l'espoir implique que les Etats-Unis mettent en jeu tout leur prestige et tout leur crédit au profit d'une offensive politique en faveur de la paix.

Sharon doit comprendre qu'il n'a pas la propriété de l'agenda, mais que les peuples de la région sont en possession de leur propre futur avec une alternative légitime que seuls les Etats-Unis peuvent mettre en œuvre pour mettre fin à l'offensive guerrière israélienne.

Une claire mise en œuvre des objectifs doit suivre le discours de Powell (19 Novembre 2001): mettre fin à l'occupation, ramener Israël aux frontières du 4 Juin 1967, supprimer les colonies, établir un Etat Palestinien indépendant et viable, et trouver une solution équitable et juste au problème des réfugiés - toutes ces solutions devant se baser sur les résolutions de l'ONU et le principe de " la terre contre la paix ".

Le " plan de route " doit inclure l'application immédiate de toutes les recommandations des plans Mitchell et Tenet, et sans préconditions ni obligation d'une orientation étapiste. Des négociations sans préalables doivent être aussi entamées immédiatement avec une pleine participation et les garanties d'une troisième partie, incluant les Etats-Unis, l'Europe, les Nations Unies, des pays Arabes, la Russie, la Norvège... parmi d'autres.

Les mécanismes d'une intervention et d'un arbitrage équitables doivent être mis en place avec le consentement préalable des parties pour en garantir l'application.

Sur le terrain, des agents internationaux doivent créer les conditions de cessez-le-feu et de tranquillité nécessaires à la conduite des pourparlers.

Simultanément doit débuter la reconstruction de tout ce qui a été détruit par Israël, en même temps que les Palestiniens entameront leur processus de construction d'une nation, lequel garantira une authentique démocratie avec le plein respect du rôle de la loi et le plein respect des droits de l'homme, et disposant d'institutions compétentes et rendant compte.

Clairement, il n'y a pas la nécessité de réinventer la roue. Tous les éléments permettant d'arriver à la paix ont été identifiés et sont accessibles. Le vrai besoin est dans l'engagement politique des Etats-Unis et de la communauté internationale afin de mettre le processus en marche.

Ceci implique nécessairement de tenir tête à Israël et de libérer la politique internationale du militarisme, de l'avidité, de l'obstination, de l'arrogance et des abus du gouvernement Sharon.

Ceci serait déjà en soi une bonne chose, avec une valeur intrinsèque. La réalisation de la paix serait du point de vue de son impact sans mesure, sur la Palestine et sur Israël, ainsi que sur l'image et la crédibilité des Etats-Unis.

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