Etats-Unis

Plus de 75000 salarié·e·s de supermarchés sont en grève en Californie
contre la «wal-martisation» de l'emploi

Depuis le 11 octobre, plus de 75000 employé·e·s de trois grandes chaînes de super-marchés sont en grève en Californie du Sud. Leur action est organisée par l'United Food & commercial workers (UFCW, le Syndicat des travailleurs de l'alimentation et du commerce). C'est une riposte à une offensive brutale de ces trois entreprises contre les salaires et contre la couverture maladie des employé·e·e·s.

La grève a démarré le 11 octobre en Californie du Sud dans les super-marchés de l'enseigne Vons, qui appartiennent au groupe Safeway, la troisième plus importante chaîne de super-marchés aux Etats-Unis. Deux autres chaînes, Albertson's et Kroger's Ralphs, ont immédiatement fait corps avec Safeway et ont lock-outé tous les membres de l'UFCW. Plus de 850 super-marchés sont directement concernés par cette lutte sociale.

Profits solides, attaque brutale

Ces géants du commerce ne sont pas des entreprises en difficulté. Prenons Safeway. Cette chaîne compte 1702 magasins aux Etats-Unis et au Canada, dont 326 en Californie du Sud, avec l'enseigne Vons, directement concernés par la grève. Durant les 36 premières semaines de 2003, le groupe a réalisé un chiffre d'affaires de 23,06 milliards de dollars et un bénéfice net de 526,1 millions de dollars.

Cela n'a pas empêché Safeway et les deux autres groupes de lancer une attaque frontale contre les conditions de travail de ses employé·e·s. Trois cibles sont visées:

- La couverture maladie des employé·e·s. Aux Etats-Unis, l'assurance maladie n'est pas obligatoire. Les salarié·e·s qui en ont une en bénéficient le plus souvent par le biais de leur entreprise. Les trois chaînes commerciales veulent massivement transférer le financement de cette couverture sur le dos des salarié·e·s. Selon le syndicat, il en découlera des charges supplémentaires de plusieurs milliers de dollars par an et par famille.

- Les salaires. Safeway et ses compères veulent bloquer les salaires durant deux ans et engager les nouveaux employés à des conditions nettement inférieures à celles actuellement en vigueur. Le salaire maximum de ces derniers serait inférieur de 2,80 dollars à celui des «anciens».

- L'organisation syndicale. Les trois chaînes veulent pouvoir ouvrir des magasins non couverts par le contrat, si le taux de syndicalisation est inférieur à 25 %.

Le modèle «Wal-Mart»

Un événement a accéléré cette offensive qui vise à liquider des droits conquis depuis des décennies par les syndicats: en février 2004, Wal-Mart va ouvrir le premier de ses 40 super-centres commerciaux en Californie du Sud.

Wal-Mart, c'est le géant de la distribution aux Etats-Unis et à l'échelle planétaire. Un chiffre d'affaires annuel de 245 milliards et un bénéfice net de 8 milliards de dollars en 2002, 1,4 million de salarié·e·s, 4750 magasins qui sont fréquentés chaque semaine par 138 millions de consommateurs·trices. En 2002, 82 % des ménages américains ont fait au moins un achat dans un magasin Wal-Mart. Entre 1982 et 2001, la fortune estimée de la famille Walton, propriétaire de Wal-Mart, est passée de 6,6 à 91,8 (!) milliards de dollars, dépassant largement les 54 milliards de celle de Bill Gates (Microsoft).

Wal-Mart utilise cette puissance extraordinaire notamment dans deux directions, afin de maintenir des prix bas (14 % en moyenne de moins que les autres commerces) tout en s'assurant de très confortables marges bénéficiaires.

Premièrement, une pression extraordinaire sur les fournisseurs auxquels Wal-Mart peut souvent, compte tenu de ses volumes d'achat, dicter ses conditions. Wal-Mart a ainsi importé en 2002 pour 12 milliards de produits fabriqués en Chine, ce qui représente un dixième des importations américaines depuis la Chine.

Deuxièmement, Wal-Mart mène une politique antisyndicale féroce et impose des conditions de travail extrêmement dégradées. Wal-Mart a été condamné à plus de soixante reprises pour des actions antisyndicales caractérisées: aucun syndicat n'a réussi à ce jour à prendre pied dans le groupe. En octobre, des interventions de la police ont mis en évidence le fait que Wal-Mart employait, directement ou indirectement, des travailleurs sans papiers: 250 ont été arrêtés dans 61 magasins. L'un d'entre eux, menacé d'expulsion des Etats-Unis et qui a déposé plainte, a travaillé durant 3 ans dans des services de nettoyage, 7 nuits et soixante heures par semaine, pour un salaire horaire de 6 dollars. Les coûts salariaux de Wal-Mart sont inférieurs de 20 % à 30 % à ceux de ses concurrents. Le salaire annuel, pour un plein temps, est d'environ 14000 dollars par an chez Wal-Mart, contre 18000 dollars dans les trois chaînes concernées par l'actuelle grève. Ces salaires de Wal-Mart sont inférieurs au seuil officiel de pauvreté, fixé à 15060 dollars pour une famille de trois personnes ! De plus Wal-Mart dépense 40 % de moins que la moyenne des entreprises américaines pour la couverture maladie, en recourant à divers artifices. Par exemple, les employés à temps partiel doivent attendre deux ans avant d'en bénéficier, ceux à plein temps six mois ; de nombreux traitements ne sont pas couverts. Selon l'UFCW, si deux tiers des employé·e·s de Wal-Mart pourraient formellement avoir droit à la couverture maladie du groupe, moins de la moitié en profitent effectivement, les autres ne pouvant tout simplement pas payer les cotisations.

La conséquence de ces conditions de travail scandaleuses - mais reflétant la réalité d'un marché du travail américain ravagé par deux décennies d'offensives patronales - est un turn-over impressionnant: Wal-Mart s'attend à ce que 44 % de son personnel démissionne en 2003 et qu'il doive engager durant cette même année 572000 personnes simplement pour rester à niveau.

Couverture maladie menacée

Mais cette grève est aussi un des 90 conflits de travail qui ont eu lieu cette année aux Etats-Unis et ayant pour enjeu la couverture maladie assurée par les entreprises.

En effet, le patronat des Etats-Unis a, à l'occasion de la récession des années 2000, lancé une vaste offensive contre ce salaire indirect, décisif pour les travailleurs et travailleuses. Résultat: en 2002, 2,4 millions d'employé·e·s ont perdu toute couverture maladie, la plus forte augmentation en dix ans. Cela porte le total des Américains sans couverture maladie à 43,6 millions (dont 8,5 millions d'enfants), soit 15,2 % de la population des Etats-Unis.

Selon le Bureau du recensement, le recul de la couverture maladie assuré par les employeurs est la principale cause de cette évolution: 1,3 million d'employé·e·s l'ont perdu en 2002. Ce sont 19,9 millions de travailleurs à plein temps qui sont sans couverture maladie. Les personnes avec des salaires moyens (entre 25000 et 49999 dollars par an) sont les plus frappés par cette régression.

Simultanément, des groupes économiques très puissants comme les géants de l'automobile (GM, Ford, DaimlerChrysler,...) ou General Electric (GE) ont imposé une participation accrue des salarié·e·s au financement de leur couverture maladie.

Ces quelques repères permettent de saisir la signification de cette grève pour tous les salarié·e·s des Etats-Unis. Elles éclairent aussi la réalité effective du marché du travail aux Etats-Unis, alors que la presse tartine, une nouvelle fois, sur la «reprise américaine» et ses prétendus miracles.

Documentation:
www.ufcw.org
 ;
www.union-network.org/commerce
 ;
Business Week
du 6 octobre et 13 novembre 2003,
New York Times, 15 novembre 2003,

Financial Fimes, 20 novembre 2003
,
Kevin Phillips, Wealth and Democracy. A Political History of the American Rich, Broadway Books, 2002.

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