Espagne

Le 20 juin, une grève générale en Espagne
contre la réforme de la couverture contre le chômage

«Emploi et protection sociale sont tes droits. Qu'ils ne te les volent pas !»

«Emploi et protection sociale sont tes droits. Qu'ils ne te les volent pas !». C'est sous ce mot d'ordre que les deux principales centrales syndicales espagnoles, l'UGT (Union générale des travailleurs) et les CC.OO (Commissions ouvrières) appellent à une grève générale dans tout l'Etat espagnol le 20 juin prochain. Un décret-loi du gouvernement dégradant gravement la situation des personnes au chômage et facilitant les licenciements est à l'origine de cette mobilisation. Une bataille sociale très importante au moment où, en Suisse, un référendum est en cours contre la réforme de l'assurance chômage.

De toute évidence, le gouvernement conservateur de José-Manuel Aznar est à l'offensive et il n'a pas peur des provocations. Le 16 avril, une grève générale paralysait l'Italie, pour dénoncer le projet du gouvernement Berlusconi de s'attaquer à l'article 18 du Statut des travailleurs offrant certaines protections contre les licenciements (cf. à l'encontre N° 7). Le lendemain, le gouvernement espagnol rendait publiques ses «Mesures de réforme de la protection contre le chômage et de la loi fondamentale de l'emploi». Qui contiennent une attaque en règle contre les droits des chômeurs·euses et un nouvel affaiblissement de la protection contre les licenciements.

Au pas de charge

Le gouvernement a essayé de diviser les confédérations syndicales - en les invitant à des négociations séparées - et de leur faire avaliser cette nouvelle réforme de la politique de l'emploi. Face à leur refus, le gouvernement a alors approuvé ces mesures sous forme d'un décret-loi, daté du 24 mai, et entrant en vigueur immédiatement, le 27 mai !

Face aux réactions et à l'annonce d'une grève générale, le gouvernement a décidé de convoquer le Parlement, pour qu'il se prononce, selon une procédure d'urgence toujours. Ce dernier siégera, le 13 juin, une semaine avant la grève générale. Aucun changement substantiel n'est à attendre d'un Parlement où le gouvernement compte sur une majorité.

Le but de la manúuvre est de décrédibiliser la grève générale, en donnant à la décision gouvernementale une caution parlementaire et en cherchant à creuser les divisions entre les syndicats et le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol). Ce dernier, au gouvernement entre 1982 et 1996, avait violemment attaqué les droits des salarié·e·s, au nom de la «flexibilité du marché du travail». Cela a notamment amené les syndicats à appeler en 1994 à une grève générale, qui fut cependant défaite.

Démarche autoritaire

Les raisons des syndicats de s'opposer à ces mesures sont nombreuses.

La première est le fait que le gouvernement a imposé ces changements au travers d'une procédure d'urgence, celle du décret-loi, qui court-circuite tout débat démocratique, y compris le débat parlementaire.

La constitution espagnole (art. 86.2) prévoit qu'une telle procédure n'est possible qu'en cas de «nécessité extraordinaire et urgente». Il n'en est évidemment rien. Les réformes proposées sont des changements de structures fondamentales. De plus, la situation financière de l'institution chargée de l'indemnisation du chômage, l'Inem (Institut national de l'emploi), est très saine. Elle dispose actuellement d'un surplus de 3 milliards d'euros. Enfin, la situation de l'emploi ne s'est pas dégradée brusquement en Espagne.

En fait, la procédure choisie par le gouvernement Aznar est révélatrice du caractère autoritaire d'une politique de flexibilisation de l'emploi, qui vise immanquablement à exproprier les salarié·e·s, en emploi ou au chômage, d'un certain nombre de leurs droits.

Du droit à la contre-prestation

Cette procédure en urgence, antidémocratique, est d'autant plus scandaleuse que le but du gouvernement Aznar est tout simplement de changer radicalement la nature des prestations de chômage. Jusqu'à maintenant, le fait de toucher des indemnités constituait un droit positif pour les salarié·e·s, par conséquent exigible, d'autant plus qu'il était fondé sur le fait d'avoir cotisé préalablement.

Désormais, les indemnités de chômage sont ce que les syndicats appellent une «concession administrative». Leur allocation est conditionnée à des conditions: que la personne sans emploi signe un «engagement à une activité» et qu'elle accepte les «emplois convenables» qui lui sont proposés. Bref, le versement des indemnités de chômage n'est plus un droit mais il est lié à des contre-prestations de la part de la personne sans emploi.

Est ainsi repris le modèle mis au point par l'OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) qui, au nom d'une politique «active» contre le chômage, a pour but d'exproprier les chômeurs du droit à une indemnité, et de les rendre ainsi plus «flexibles» face aux «exigences du marché du travail».

On se souvient que la Suisse a joué un rôle pionnier dans la mise en úuvre de cette subversion conservatrice de l'assurance chômage - le passage du welfare au workfare - avec la révision de 1995 de l'assurance chômage. L'Union syndicale suisse n'avait, à l'époque, pas tarit d'éloges à propos de ce «changement de philosophie»...

Les instruments de la flexibilité

Pour imposer ce changement, le gouvernement Aznar a mis en place trois instruments:

• Chaque personne sans emploi devra désormais signer un «engagement à une activité». Il s'y engage à accepter un «emploi convenable» qui lui serait proposé, à réaliser les activités nécessaires pour «améliorer son employabilité» et à entreprendre toutes les actions personnelles en son pouvoir pour rechercher un emploi. Sans cette signature, la personne sans emploi n'aura pas droit aux indemnités de chômage.

• La notion de «travail convenable» est redéfinie. Trois critères sont retenus.

Profession: durant la première année de chômage, sera considéré comme convenable un emploi dans un domaine correspondant à la profession habituelle du travailleur - une activité durant six mois dans un domaine suffit à le désigner comme «habituel» ! - ou «toute autre profession correspondant aux aptitudes physiques et de formation du travailleur». Après une année au chômage, «toute profession qui, selon le Service public de l'emploi, est considérée comme devant pouvoir être exercée par le travailleur» sera considéré comme «convenable». En résumé, n'importe quel boulot...

Salaire: il devra être équivalent au salaire conventionnel de la branche où l'activité est exercée, quel que soit le rapport entre ce salaire et les indemnités de chômage auxquelles le / la salarié·e concerné·e a droit.

Lieu de travail: il pourra se situer dans un rayon de 30 kilomètres du lieu de domicile. Les déplacements pourront s'élever jusqu'à deux heures par jour et occasionner des dépenses correspondant, au maximum, à 20 % du salaire mensuel net.

• Un nouveau système de sanctions est mis en place. Les motifs de sanction sont vastes: L'adoption «manifeste de comportements visant à empêcher que se matérialise un engagement ou que s'améliore l'employabilité» en sera un, par exemple. La gravité des sanctions en dit long sur les objectifs du gouvernement. En cas de faute grave, la première sanction est une suspension des indemnités de 3 mois ; à la troisième, le droit aux indemnités est perdu. La première sanction pour une faute légère n'est, elle, «que» de 1 mois de suspension. Ce qui, à coup sûr, est très «léger» pour quelqu'un qui n'a que ses indemnités de chômage pour vivre.

Le gouvernement cherche à dissimuler la sévérité de ce dispositif. Avant cette réforme, explique-t-il, un salarié refusant un «emploi convenable» perdait directement son droit aux indemnités. Il oublie cependant de préciser que, sous l'ancien régime, cette sanction n'intervenait que si un salarié refusait un emploi que lui-même considérait comme convenable, alors qu'avec la nouvelle loi les sanctions tomberont pour le refus d'emplois considérés comme convenable par le Service de l'emploi. Une petite différence qui n'est pas un détail.

Multiplier les obstacles

Par ailleurs, le décret-loi gouvernemental multiplie les obstacles pour avoir droit aux indemnités de chômage. Globalement, les syndicats estiment que la réforme permettra au gouvernement d'économiser quelque 880 millions d'euros d'indemnités de chômage.

• Les indemnités de licenciement seront désormais considérées comme un revenu et interviendront dans l'établissement du droit aux indemnités.

• Les salarié·e·s engagés avec des contrats temporaires n'auront droit aux indemnités de chômage que lorsque l'entreprise qui les employait aura démontré qu'elle a versé les contributions correspondant à leur droit aux vacances et que ces salariés auront fait la preuve qu'ils ont bel et bien pris ces vacances.

• Les salarié·e·s avec des contrats «fixes discontinus» - engagées par un employeur, leur travail effectif ne couvre pas toute l'année et peut être irrégulier - et qui ont des périodes régulières de travail (par exemple, les récoltes à la campagne, la saison touristique dans l'hôtellerie, etc.) seront désormais considérés comme engagé·e·s à temps partiel. Ils·elles n'auront par conséquent plus droit aux indemnités de chômage: ils·elles n'ont qu'à chercher un autre boulot pour compléter ce temps partiel. Selon les syndicats, plus de 200000 salarié·e·s, avec souvent des salaires très bas, sont concerné·e·s.

• Les Espagnol·e·s ayant émigré et rentrant au pays n'auront droit aux indemnités de chômage qu'à des conditions draconiennes: avoir travailler à l'étranger au moins 6 ans et dans un pays qui n'est pas membre de l'Union européenne ou qui n'a pas de convention avec l'Espagne. Précédemment, six mois d'activité professionnelle dans n'importe quel pays permettait aux émigrés de retour de toucher le chômage.

• Les personnes au chômage souhaitant s'établir à leur compte ou s'associer à des coopératives ne pourront plus toucher leurs indemnités sous forme de capital.

Journaliers agricoles encore plus précarisés

• En Andalousie et en Estramadure, deux régions d'Espagne avec des taux de chômage très élevés et des domaines agricoles de grande ampleur faisant appel à une main-d'úuvre très précarisée, les journaliers agricoles bénéficiaient de la couverture d'un régime spécial, le Plan de l'emploi rural (PER). Actuellement, 300000 personnes sont concernées. Le gouvernement Aznaz a décidé de supprimer ce dispositif: les actuels bénéficiaires continueront à y avoir droit, mais il n'y aura plus de nouvelle incorporation, de jeunes notamment, et les personnes qui le quitteraient ne pourront plus y être réintégrées.

Le PER est censé être remplacé par un nouveau régime couvrant toutes les régions de l'Espagne, où travaillent 200000 autres journaliers agricoles. Pour avoir droit à ces prestations, il faudra cependant avoir travaillé l'équivalent d'une année durant une période de six ans, ce qui, selon les syndicats, est une condition très difficile à remplir.

Quand on sait la crise sociale dans ces régions agricoles, le recours massif des employeurs à une main-d'úuvre sans-papiers et complètement précarisée venant du Maroc ou de l'Europe de l'Est, il n'est pas difficile d'imaginer l'impact social qu'aura ce changement.

Licenciements: un cadeau au patronat

Le gouvernement a également profité de ce changement de loi pour supprimer, par la bande, une règle contribuant à faire une distinction entre licenciement abusif ou pas, et donc à protéger les salarié·e·s. Précédemment, lorsqu'un salarié·e était licencié et qu'il contestait ce licenciement, il avait droit à toucher un «salaire courant» (salario de tramitacion). Le gouvernement a éliminé ce système: même les salarié·e·s recourant contre leur licenciement toucheront des indemnités pour perte d'emploi dès le premier jour. Or, légalement, pour toucher ces indemnités, il faut être au chômage. Ce que n'est pas, d'un point de vue juridique, une personne faisant appel à la justice contre son licenciement.

Les syndicats dénoncent donc cette mesure comme facilitant «la décision de l'employeur de mettre fin unilatéralement au contrat de travail, même si le licenciement ne respecte pas les règles prévues par la loi et est sans justes motifs. Cela a pour effet d'estomper la différence entre licenciement abusif ou pas.»

Discréditer les chômeurs

Pour légitimer ces mesures, qui sont autant d'expropriations des droits des salarié·e·s, avec ou sans emploi, le gouvernement Aznar a lancé une vaste campagne visant à discréditer les chômeuses et les chômeurs. Ils et elles auraient, selon lui, refusé l'année passée 400000 emplois proposés par les services de placement. Bref, les chômeurs seraient trop bien lotis, ils manqueraient d'«incitation» à travailler et «abuseraient» de la couverture contre le chômage: un thème que l'on connaît bien en Suisse également.

Les syndicats ont répondu. En 2001, seuls 1830 chômeurs·euses ont été sanctionné·e· pour avoir refusé une offre d'emploi. Sur un total de 1140000 chômeurs ayant droit aux prestations, cela représente un taux de 0,16 %.

Remettre en cause le droit de grève

Pour entraver la mobilisation syndicale, le gouvernement Aznar cherche également à remettre en cause le droit de grève, au nom du «service minimum». Dans les transports, la santé, etc. le gouvernement prétend imposer un service minimum à un niveau élevé (40 % pour les transports urbains, par exemple). Une manière d'atténuer au maximum l'impact visible de la grève et de remettre en cause l'exercice même de ce droit. Les confédérations syndicales ont refusé: elles proposent des services minimums correspondant au niveau d'activité d'un dimanche. Là également, le bras de fer ne fait que commencer.

Nous reviendrons après le 20 juin sur le bilan de cette lutte sociale. (7 juin 2002)


Informez-vous sur Internet !

Quelques sites pour s'informer sur la grève générale en Espagne:

www.ugt.es

www.ccoo.es

• www.elpais.es

www.elmundo.es


Leçons d'Espagne

La grève générale qui se prépare en Espagne éclaire vivement plusieurs facettes de la situation sociale et politique en Europe.

• En découvrant le décret-loi du gouvernement Aznar, on croit lire un projet du Conseil fédéral... ou une présentation du PARE mis en place en France, par le gouvernement «socialiste» Jospin, à l'instigation du Medef, l'association du patronat français. Rien détonnant: en une décennie, sur tout le continent, les patronats et les gouvernements - quelle que soit leur couleur politique - ont repris les mêmes politiques en matière d'emploi, mises au point par les offices au service du capital, comme l'OCDE. Le but est partout le même: «flexibiliser le travail», c'est-à-dire liquider les droits des salarié·e·s pour que les employeurs puissent mettre sans restriction les travailleurs en concurrence entre eux. Pour cela, la menace du chômage est décisive. Il faut donc fragiliser la situation des personnes sans emploi.

• Les dominant·e·s mènent, depuis plus d'une décennie, ce plan avec une détermination qui n'a pas faibli... et qui «honore», en quelque sorte, leur sens de classe. L'embellie économique de 1997 à 2001 n'y a rien changé. L'Union européenne - donc les gouvernements des 15 pays membres - a même donné un nouvel élan à cette politique lors des sommets de Lisbonne (2000) et de Barcelone (2002). C'est dans ce cadre que s'inscrit explicitement l'action du gouvernement Aznar. Il n'y a pas la moindre mollesse à attendre de ce côté-là. Seule une résistance déterminée et de longue haleine a une chance de mettre un coup de frein à ces contre-réformes.

• Du côté des salarié·e·s et des organisations syndicales, une double évolution est sensible et s'exprime dans la multiplication des luttes sociales de ce printemps. Après des années de sacrifices, les salarié·e·s font le bilan: on leur en demande toujours plus au nom de la compétitivité, sans qu'ils bénéficient en retour du moindre avantage. Ce constat et le ras-le-bol face à une situation continûment dégradée aboutissent à une conclusion: il faut réagir et réaffirmer que l'on a des droits. De leur côté, les directions syndicales, qui, comme en Espagne ou en Italie, avaient poussé très loin au cours des années 90 leur sens du compromis, et de la compromission, constatent que cela n'a fait qu'augmenter l'appétit patronal et la détermination des gouvernements de le satisfaire: elles doivent réagir si elles ne veulent pas perdre tout crédit et toute base. (JFM)


Le chômage en Espagne

L'Espagne (40 millions d'habitant·e·s et une population active de 17 millions) est le pays de l'Union européenne (UE) avec le taux de chômage le plus important. En 1994, il s'élevait à 23,9 %, contre 10,5 % en moyenne au sein de l'UE. Il a depuis lors fortement reculé, mais il reste le plus élevé des 15: 13 % en 2001 (UE: 7,6 %).

• Une part significative des personnes enregistrées comme chômeuses n'ont droit à aucune prestation. En mars 2002, on comptait 1211300 bénéficiaires de prestations pour 1649046 chômeurs·euses officiellement enregistré·e·s (73,5 %). Ce chiffre cumule d'ailleurs les bénéficiaires de prestations de chômage proprement dites et celui des personnes touchant des «subsides de chômage», qui sont en fait une assistance (377500 + 213500 journaliers agricoles). Les syndicats évaluent qu'en fait seuls 6 chômeurs sur 10 sont indemnisés.

• Il faut avoir cotisé l'équivalent d'une année au cours des six dernières années pour avoir droit aux prestations. Leur durée varie entre 120 et 720 jours, en fonction de la durée de cotisation. Leur montant est de 70 % du salaire de référence durant les 180 premiers jours, puis de 60 %.


Flexibilisation du marché du travail: attaques répétées depuis une décennie

• Depuis une décennie, la «lutte contre le chômage» est l'argument invoqué par les gouvernements espagnols pour détruire progressivement les droits protégeant les salarié·e·s en matière d'emplo. Les exigences patronales visant à accroître la précarité des salarié·e·s ont ainsi été largement satisfaites.

• Le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez a joué un rôle décisif pour faire éclater le dispositif de protection des droits des salarié·e·s. Fin 1993, il a imposé une nouvelle loi impliquant notamment: 1) d'assouplir les règles en matière de licenciement; 2) d'autoriser les entreprises à dépasser la limite légale de 9 heures de travail par jour; 3) d'autoriser les entreprises à transférer des salarié·e·s à d'autres postes de travail ou vers d'autres sites de production; 4) d'autoriser les entreprises ayant des «difficultés économiques» de ne pas appliquer les contrats collectifs de travail; 5) de créer un nouveau contrat d'apprentissage rendant l'engagement de jeunes plus avantageux pour les entreprises; 6) de rompre le monopole public dans le placement des personnes sans emplois et d'ouvrir ainsi largement le marché du travail aux agences temporaires.

Les deux centrales syndicales, l'UGT et les CC.OO, bien que non opposées à une «réforme du marché du travail» et prêtes à des très larges concessions, n'ont pu que s'opposer à un paquet aussi brutal. Elles ont appelé à une grève générale le 27 janvier 1994. Le gouvernement «socialiste» a tout fait pour briser cette mobilisation syndicale, notamment en imposant des «services minimums» importants. Surtout, il n'a pas reculé, malgré l'importance de la mobilisation populaire. Il a ainsi fortement affaibli l'organisation syndicale des travailleurs, approfondi la désillusion des salarié·e·s et préparé la victoire électorale, en 1996, de la droite conservatrice emmenée par Aznar.

• En 1997, syndicats et associations patronales ont conclu, sous les auspices bienveillants du gouvernement Aznar, un «accord sur la stabilité de l'emploi»*.

La pièce clé de cet accord consiste en la création d'un contrat de travail de durée indéterminée (CDI) au rabais. Pour comprendre l'enjeu, il faut savoir que le patronat espagnol, pour imposer la flexibilité et la précarité, a eu pour politique d'étendre à une échelle inégalée les contrats de travail de durée déterminée (CDD) n'offrant, par définition, aucune protection contre l'interruption du rapport de travail. Un tiers des salarié·e·s en Espagne sont engagés en CDD. C'est une forme de précarité généralisée qui a un impact énorme sur les conditions de travail: en 2000, 7% des salarié·e·s espagnols ont été victimes d'accidents de travail, contre 4% en moyenne au sein de l'UE.

La réforme de 1997, sous prétexte de faciliter la transformation des CDD en CDI, crée un CDI au rabais pour: 1) les jeunes de moins de 30 ans, 2) les chômeurs de longue durée; 3) les salarié·e·s de plus de 45 ans. Pour eux, un CDI ne donnera droit, en cas de licenciement, qu'à une indemnité de départ que de 33 jours par année de travail, contre 45 jours normalement (avec une durée maximale réduite de trois ans et demi à deux ans). En d'autres termes, le coût du licenciement a été abaissé pour les employeurs. Depuis lors, la proportion de CDD n'a pas diminué de manière significative pour autant.

L'acoord de 1997 établissait aussi une réglementation du travail à temps partiel, contestée par le patronat, donnant un certain nombre de droits aux salarié·e·s, afin de limiter l'utilisation de type d'horaires comme instrument de flexibilisation: pas de temps partiel dépassant 77% de la durée d'un plein temps; limitation des heures complémentaires (supplémentaires); au bout de deux ans, intégration à l'horaire normal de 30% des heures complémentaires; obligation pour le contrat à temps partiel de préciser la distribution des heures de travail.

• Renforcé par une nouvelle victoire électorale en 2000, qui lui assure même, cette fois-ci, une majorité absolue au Parlement, le gouvernement Aznar est revenu à la charge en 2001 avec une nouvelle réforme de l'emploi, introduite par décret-loi (déjà!) le 2 mars 2001. Il a poussé à cette occasion nettement l'avantage en faveur du patronat: 1) le champ d'application des CDI aux rabais est étendue: désormais, en fait seuls les hommes entre 30 et 45 ans bénéficient encore de l'ancien régime; 2) toutes les dispositions protégeant les salarié·e·s à temps partiel ont été supprimées. Le bilan de la politique syndicale de concessions sans cesse renouvelées est un fiasco. Si l'UGT parle, à ce moment-là déjà, de grève générale, les CC.OO refusent. Le gouvernement Aznar peut donc imposer ses mesures sans résistance notoire. Et c'est encouragé par ce succès qu'il a lancé sa nouvelle série d'attaques en 2002.

* Cf. Carole Tuchszirer, «Espagne, une réforme du marché du travail ambiguë et bien peu consensuelle», in Chronique internationale de l'IRES N° 70, mai 2001.

 

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