Venezuela

Encore une fois: non au moindre mal

Carolina Broner

La suspension de la grève que le patronat et certains secteurs syndicaux liés à la CVT (Centrale vénézuélienne des travailleurs; organisation liée aux secteurs bourgeois) menaient depuis le 2 décembre 2002 met en évidence la faiblesse des opposants au gouvernement constitutionnel du président Hugo Chavez Frias. Malgré les préjudices économiques entraînés par des mois de tiraillements et de sabotages, le gouvernement bolivarien est sorti renforcé et la participation populaire augmente dans les rues, avec comme fer de lance la défense de la Constitution (avec la dimension de réforme agraire), du pétrole comme propriété publique et de l'éducation publique et gratuite.

Le processus vénézuélien a des caractéristiques tellement particulières qu'il vaut la peine de s'arrêter à ses divers niveaux. On y voit un patronat en grève, alors que des travailleurs organisés s'opposent aux sabotages dans la PDVSA (Société pétrolière du Venezuela) et des ménagères se mobilisent contre les médias.

On y voit également des recteurs qui refusent d'ouvrir les portes des universités, alors que des parents et des étudiants investissent ces dernières pour défendre le droit à l'éducation. Des cercles bolivariens fonctionnent comme des comités d'entreprise, des manifestations se déroulent dans une rue et des contre-manifestations dans une autre rue voisine. Il y a des blessés, des dénonciations, des pillages.

Et, dans le contexte de toutes ces mobilisations, l'opposition de droite s'affaiblit et ses actions désespérées poussent les bolivariens (partisans du changement) à descendre dans la rue, non seulement les partisans de toujours, mais encore ceux qui ont fait la révolution d'avril et ceux qui les ont rejoints depuis décembre.

Au-delà de ces mobilisations, il y a aussi le contexte international qui fait pression pour une solution rapide au conflit vénézuélien face à la guerre imminente avec l'Irak.  Et il y a enfin le contexte latino-américain qui prend une teinte nettement anti-impérialiste avec les victoires de Lula au Brésil, de Lucio Gutierrez en Equateur et les prises de position d'Evo Morales en Bolivie.

À la mi-janvier, alors même que les grands médias annonçaient triomphalement une grève qui devait sonner le glas du régime de Chavez, aussi bien les dirigeants de la Coordination Démocratique qu'Hugo Chavez lui-même ont menacé de se retirer de la table de négociations présidée par César Gaviria (ancien président de Colombie) en tant que représentant de l'OEA (Organisation des Etats Américains). Il existe des enregistrements vidéos où l'on voit le syndicaliste Carlos Ortega (dirigeant de la CTV et associé aux golpistes de Fedecamaras - la chambre patronale) affirmant, durant son voyage à Washington, qu'il ne négocierait pas avec un «dictateur assassin comme Chavez». Ce sont ces propos qui ont poussé le président constitutionnel à le menacer.

Dans le même ordre d'idées, lors de l'ascension à la présidence de l'Équatorien Lucio Gutierrez, on a annoncé la création d'un groupe de «pays amis du Venezuela», comprenant entre autres le Brésil, les Etats-Unis et l'Espagne. C'est ainsi qu'apparaît dans les relations internationales une nouvelle instance, clairement motivée par l'importance du pétrole vénézuélien et le contrôle du prix du brut devant la guerre contre l'Irak.

Sur le plan intérieur, la situation est celle d'une très grande agitation, et les mobilisations et les affrontements tendent à accroître rapidement les niveaux de conscience. Des ménagères se sont organisées en réseau pour dénoncer le rôle et l'insidieuse activité des médias en faveur d'un coup. Cette initiative des ménagères a eu un tel écho, qu'à la suite de nombreuses marches et cacerolazos aux portes des entreprises, il a été décidé d'organiser une journée nationale en faveur de la loi dite de Responsabilité Sociale des Médias.

En outre, divers secteurs de professionnels et de commerçants se sont regroupés sous le nom «Classe moyenne en positif», et, depuis quelques semaines, ils participent intensément aux activités des bolivariens.

Un autre point nodal est la défense de l'éducation publique et gratuite garantie par l'article 103 de la Constitution. Cette lutte a mis clairement en évidence - pour ceux qui acceptaient de la voir - la brutale discrimination – raciale et de classe ­– régnant dans les milieux universitaires. Les autorités ont dû se confronter avec un secteur important des enseignants d'une part, et des étudiants de l'autre, sur la question de savoir si oui ou non les cours devaient continuer pendant la grève lancée en décembre. Cette confrontation a débouché sur un résultat nettement positif. En effet, elle a permis non seulement de regrouper les enseignants - historiquement éparpillés en plus d'une dizaine d'associations - mais également d'unir les travailleurs et les étudiants. Ces événements ont par ailleurs provoqué la mobilisation de beaucoup de femmes et d'hommes qui restaient encore dans un état d'apparente passivité.

Quelque chose d'analogue s'est produit avec les entreprises pétrolières. Les cercles bolivariens - et en particulier ceux réunissant des travailleurs d'une même entreprise - ont organisé un système de garde permanent dans les rues pour éviter qu'il y ait des sabotages dans les raffineries et les dépôts.

Les conséquences économiques de ces affrontements, avec coups, contrecoups, grèves et sabotages, sont pour le moins préoccupant. Le solde politique de cette tension est par contre indubitablement porteur d'espoir (4 février 2003)

 

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