Répression anti-syndicale à Genève
 
 

L’instruction est close

P. Gilardi

C’est après plus de six mois « d’instruction » que le parquet de Genève a décidé de nous renvoyer devant un tribunal. Nous ? Cinq militants syndicaux, à savoir l’ancien président de notre syndicat, Eric Decarro, deux de nos secrétaires, Ariane Bailat et Rémy Pagani, un ancien chauffeur de bus, Jean-Michel Creton et l’auteur de ces lignes. Inculpés des délits d’entrave et d’instigation à l’entrave d’un service d’intérêt général, nous pourrions être condamnés à une peine allant jusqu’à trois ans de prison.

Les faits qui nous valent tant d’attention de la part de la « Justice » remontent au 14 mai de l’année passée. C’était, ce jour là, un jour de grève de toute la fonction publique genevoise.

Par la faute d’une bicyclette

Dans ce cadre, un certain nombre de militants -parmi lesquels nous étions- avaient établi des piquets de grève devant les dépôts des Transports publics genevois (TPG) dans le but d’alerter les collègues de cette régie, publique mais autonome (c’est-à-dire bénéficiant d’un statut spécial) du fait que les mesures budgétaires discutées au Grand Conseil, notamment les blocages des salaires et des effectifs, allaient aussi les toucher malgré l’autonomie de la régie.

Alors que l’écrasante majorité des employés TPG présents sur les lieux arboraient un badge de solidarité avec la fonction publique, la direction de l’entreprise décidait de ne pas sortir les véhicules des dépôts pour ne pas les confronter aux piquets de grève. Si bien que, à part un bus arrêté devant une bicyclette et quelques véhicules sortis de l’un des dépôts sans que nous les ayons entravés en quoi que ce soit, la ville a été privée de transports en commun jusqu’à huit heures du matin.

Suite à une injonction des partis bourgeois –un communiqué de presse vengeur appelant les TPG à déposer plainte pénale contre nous- plainte était déposée. C’est par ailleurs sur requête écrite de l’avocat des TPG –« je… vous sais gré de bien vouloir convoquer Messieurs Decarro et Gilardi en qualité d’inculpés » (lettre du 23 juin 2004 de Me Peyrot au juge d’instruction Esposito)- qu’une partie d’entre nous se trouve aujourd’hui traduite en justice. Confiée au même juge d’instruction qui a prononcé un non lieu contre le policier qui avait blessé avec une arme interdite une syndicaliste de Comedia, l’instruction aboutit à ce que souhaitaient les partis bourgeois: nous traduire devant un tribunal.

La décision du juge est absurde. Soit il s’en tenait à l’état actuel de l’instruction qui ne peut en aucun cas aboutir à notre culpabilité dans les délits d’entrave et d’instigation à l’entrave puisque aucun véhicule n’a été entravé ; il devait alors classer l’affaire. Soit alors, il accédait à la requête de notre avocat d’entendre comme témoins une dizaine de collègues ayant participé à l’action du 14 mai ; il devait alors décider de poursuivre l’instruction.

Au contraire, et alors que la seule certitude résultant de six mois d’instruction est qu’un bus s’est arrêté devant une bicyclette posée sur la chaussée, c’est pour des actes que nous n’avons pas pu commettre –le blocage de bus et trams devenus …fantômes- que nous sommes traduits devant le tribunal.

Au-delà du 14 mai

Pourtant, la justice genevoise est bien loin d’être tombée sur la tête.  La décision du juge d’instruction est particulièrement lucide: elle participe d’une logique que nous dénonçons depuis un certain temps, celle qui consiste à sanctionner sur le plan pénal l’activité syndicale. A ce titre, le procès, revêt une importance particulière: de son issue dépendra la marge d’action du mouvement syndical dans le choix de ses moyens de lutte. C’est d’ailleurs la Tribune de Genève (25.2.05) qui définit l’enjeu. En commentant le rôle joué par R. Pagani dans l’action syndicale déclenchée la veille à l’aéroport par notre syndicat, l’éditorialiste et rédacteur en chef adjoint du journal d’Edipresse termine par ces mots « … le grand justicier de la gauche genevoise inaugure une nouvelle forme de lutte, le syndicalisme Greenpeace. Comme l’organisation écologiste, il a le sens du spectaculaire et flirte avec les limites de la légalité. Le prochain verdict dans l’affaire des TPG dira s’il les a dépassées ». Voilà qui a le mérite de la clarté.

En d’autres termes, c’est un procès qui se doit de condamner les méthodes syndicales, c’est à dire réduire les droits des salarié.e.s au profit de ceux des propriétaires. Il s’agit de créer un précédent qui pourra, à  l’avenir, légitimer l’intervention des forces de l’ordre contre les mouvements syndicaux. En effet, si le procès venait à décider l’illégalité de certaines méthodes syndicales, le recours à la police contre les actions deviendrait plus aisé.

Cela conforterait le procureur général, le très contesté (par la magistrature) radical Daniel Zapelli, dans sa volonté de redéfinir les modalités d’intervention des forces de l’ordre dans les conflits sociaux. Jusqu’à maintenant en effet, une directive commune des anciens respectivement procureur général et chef de la gendarmerie, Bertossa et Beer, datant de 1996 intimait à la police « retenue et neutralité » lors d’interventions dans les conflits du travail. Ce sont cette retenue et cette neutralité de la police que le communiqué de presse du 14 mai des partis bourgeois et l’avocat des TPG ont stigmatisées. Ce sont cette retenue et cette neutralité qui pourraient venir à disparaître en fonction de l’issue du procès.

Fantasme ?

Ce renforcement des droits des propriétaires n’est pas une crainte abstraite: l’intervention de la police bâloise contre les piquets lors de la grève de fin 2003 chez Allpack en est la preuve récente. C’est l’exemple de ce qui pourrait arriver à Genève dans un avenir proche afin de faire plier les résistances qui pourraient s’organiser aussi bien dans le secteur public que dans l’industrie privée.

En ce sens aussi, au-delà de l’absurdité d’un procès pour des délits qui n’ont pas pu être perpétrés, c’est l’ensemble du dispositif de défense des salariés qui est visé. Ce sont les droits de tous qui sont niés ; au même titre que le droit des représentants du personnel des TPG dont la demande d’inscription de l’affaire à l’ordre-du-jour du conseil d’administration afin de décider d’un retrait de la plainte n’a jamais été satisfaite par la direction…

Bafoués dans ce dernier cas, limités et réduits, les droits syndicaux sont la mesure des possibilités à disposition des salarié.e.s pour faire valoir leurs points de vue, pour défendre leurs intérêts. En ce sens, le procès voulu par les bourgeois de Genève est bel et bien, au-delà de nos personnes et des risques que nous encourons, celui des droits syndicaux.

C’est pourquoi la solidarité des sections du ssp ainsi que celle des autres fédérations et organisations syndicales n’est pas un simple acte de soutien: c’est la marge d’action du syndicat qu’on défend à travers elle. Car sa limitation n’est pas un fantasme, c’est une réalité.

 

A vos plumes: Ecrivez au procureur general de Geneve !

Depuis septembre 2004 s’est constitué à Genève un comité de soutien aux inculpés. Formé de représentants du SSP, du SIT, de la Communauté Genevoise d’action syndicale, du Cartel intersyndical du personnel de l’Etat, des partis de l’Alliance de gauche, du PS, du MPS et de militants, il a organisé le soutien notamment par de petites manifestations qui ont accompagné les inculpés à chaque audience chez le juge d’instruction. Il appelle aujourd’hui toutes les forces politiques et syndicales ainsi que le monde associatif à écrire au procureur général de la République et Canton de Genève, Daniel Zapelli, Place du Bourg-de-Four, 1204 GENEVE pour exiger le classement de la procédure contre les cinq syndicalistes (avec copie à la presse genevoise et au ssp-vpod: sspge@vtxnet.ch ) Le MPS invite tous les militant·e·s à susciter des messages en ce sens dans les structures dans lesquelles ils·elles sont actifs.

Voir aussi: Casser le syndicat et le statut, pour mieux casser le service public ! (novembre 2004)