«Libre circulation»
 
 


Cet article paru dans la «grand' presse» met en évidence certaines difficultés dans la mise en place des «mesures d'accompagnement». Et encore ne s'agit-il que de l'étape de l'intégration dans la loi des dispositions soumises au vote. La phase suivante, celle de l'application pratique, va voir s'ouvrir encore plus béant le fossé entre les déclarations d'avant votation et la réalité.

Des nuages sur le dispositif antidumping salarial

Fabio Lo Verso *

Comment Berne compte-t -elle mettre en œuvre les «mesures d’accompagnement» à la libre circulation? Une consultation a été lancée. Le temps presse et la bisbille persiste sur les faux-indépendants.

Le paquet aura-t-il été solidement ficelé? Les tant claironnées «mesures d'accompagnement» à la libre circulation, adoptées le 25 septembre, doivent encore être intégrées dans la loi. Berne a ouvert, hier, une consultation express (lire ci-contre). L'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier.

Le délai est court, mais le travail a suffisamment été prémâché «pour qu'il ne soit pas chamboulé à la dernière minute», assure le syndicaliste Serge Gaillard, membre du groupe d'experts ayant élaboré la loi. Des dizaines de séances ont servi à bétonner tant bien que mal le dossier.

Le dispositif antidumping issu de ce cénacle a pesé dans le débat sur la libre circulation. Sa traduction dans une loi fédérale risque néanmoins d'en atténuer les aspects les plus incisifs. Exemple: théoriquement, les indépendants devront apporter la preuve de leur statut, lorsqu'ils entreprennent un travail en Suisse. Cela comble une lacune, ayant jusqu'ici permis à nombre de travailleurs temporaires étrangers de se déclarer, faussement, indépendants.

Quant à savoir comment la preuve doit être apportée, «l'appréciation» est laissée aux organes de contrôle. Du coup, l'inscription (en tant qu'indépendant) dans un registre professionnel ne serait plus contraignante. Un contrat passé avec le destinataire de prestation pourrait suffire. Ou le fait de disposer de son propre matériel, d'un véhicule à son nom, etc.

Personne ne nie qu'un travailleur temporaire assez astucieux aurait, finalement, peu de peine à se faire passer pour un indépendant. L'entreprise qui l'emploie économiserait les contributions sociales. On ne refermera pas, aussi facilement qu'on l'a affirmé, la faille des faux-indépendants.

Chercher la parade

Une «compensation» a été proposée par les syndicats: obliger les entreprises temporaires à alimenter les fonds de préretraite dans le secteur du bâtiment (le plus touché par le phénomène des pseudo-indépendants). Et ce, dès le «premier jour» de travail d'un employé temporaire. Les patrons ont avancé une contre-proposition: ils se disent prêts à cotiser mais seulement «à partir du troisième mois» de travail. Ce point reste hautement litigieux.

On se demande si les parties - employeurs et syndicats - réussiront à s'entendre dans les vingt jours de réflexion que Berne leur a accordés. Au Secrétariat d'Etat à l'économie (seco), qui organise la consultation, on est confiant.

«Impensable d'arriver à la date butoir du 1er janvier 2006 sans un document finalisé», prévient Rita Baldegger, porte-parole du seco. «Les mesures d'accompagnement renforcées doivent entrer en vigueur en même temps que l'ouverture aux nouveaux Etats européens».

Acculés par le peu de temps à leur disposition, les acteurs ont une marge de manœuvre presque nulle. D'ici à la fin de l'année, les cantons doivent avoir embauché les 150 inspecteurs du travail promis par Berne, pour dénicher les abus. Quelque 80 ont déjà un contrat.

Environ 24 nouveaux postes seront pourvus dans quelques semaines. Si les cantons internes sont à la traîne dans le recrutement de ces contrôleurs, les cantons de frontières ont pris les devants. A Genève, les douze inspecteurs prévus ont d'ores et déjà été engagés.

Huit semaines pour conclure

Le tempo est infernal. En huit semaines, la consultation devra être bouclée. Au plus tard début décembre, le Conseil fédéral s'attend à recevoir le document final sur sa table, pour y donner son aval. Une décision est attendue le 9 décembre. Les «mesures d'accompagnement renforcées», en vue de l'ouverture aux dix nouveaux pays de l'UE, trouveront ensuite place dans différentes ordonnances fédérales. Révisées, elles entreront toutes en vigueur, comme prévu, le 1er janvier 2006.

Reste que ce délai très court n'autorise aucune marge de manœuvre. Vingt jours ont été accordés aux acteurs concernés pour prendre position. A peine le temps de lire le projet de loi élaboré par un groupe d'experts composé de représentants des partenaires sociaux (employeurs et syndicats), des cantons et divers offices fédéraux. Il est vrai que ce document a été le fruit de longues négociations. Constamment révisé au gré de l'évolution des discussions, il reflète un compromis presque sans précédent entre les patrons et les défenseurs des travailleurs. Mais certains points posent encore problème.

Pour faire vite, et pour éviter que la machine ne soit freinée, aucune réponse écrite n'est demandée après les vingt jours de réflexion. Le 10 novembre, les parties concercées seront invitées à une «conférence», qui aura lieu à Berne et tiendra lieu de consultation. Deux semaines plus tard, un rapport sur les conclusions de ce débat sera présenté au Conseil fédéral.
(flov)

* Article paru dans la Tribune de Genève du 20 octobre 2005, et en version abrégée dans 24 heures du même jour