Nestlé-Colombie
 
 

Assassinat d’un syndicaliste

Claude Dupontier *

Menacé de mort depuis qu’il militait dans une filiale de Nestlé, Luciano Romero a été tué.

Le corps du Colombien Luciano Romero a été retrouvé dimanche matin, poings liés, le corps criblé de coups de poignard. Le syndicaliste avait été aperçu pour la dernière fois la veille, dans un quartier de la ville de Valledupar, dans le nord-est du pays. Le meurtre, à peine évoqué dans la presse locale, a grossi le triste record mondial de 2 000 militants assassinés depuis 1992 en Colombie, dans une impunité presque totale.

À la tête de 156 autres ex-employés, Romero poursuivait en justice pour licenciement abusif Cicolac, filiale locale de Nestlé pour laquelle il avait travaillé près de vingt ans. « Son meurtre visait à instaurer la terreur, dénonce à Bogota Javier Correa, président de son syndicat, Sinaltrainal. Par peur, les militants de Valledupar ont déjà annulé une manifestation contre Nestlé. »

Pour l’instant, les autorités n’ont désigné aucun responsable matériel. Mais tout semble accuser les paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), milices anti-guérilla d’extrême droite qui contrôlent la ville. Financés depuis leur création, dans les années quatre-vingt, par de grands propriétaires et des entreprises, ils ont été les principaux bourreaux du syndicalisme colombien, avec la bienveillance de l’État. Aujourd’hui, malgré des négociations avec le pouvoir, qui ont abouti à la démobilisation de la moitié de leurs 20 000 combattants, les AUC maintiennent leur emprise sur de vastes régions du pays.

Ces dix dernières années, Romero avait dénoncé le meurtre de plusieurs de ses compagnons par ces miliciens. Son syndicat avait même obtenu, dans une situation semblable, l’ouverture aux États-Unis d’un procès contre Coca-Cola, accusé d’avoir eu recours aux AUC pour assassiner des syndicalistes.

Dans le cas de Romero, « il n’y a pas d’indice assez fort » pour impliquer directement Nestlé, reconnaît Javier Correa. « Mais il a reçu des menaces à partir du moment où il a commencé à militer dans leur filiale. » Les intimidations avaient poussé le syndicaliste, qui devait témoigner fin octobre à Berne dans une audience publique sur la politique mondiale de Nestlé, à fuir le pays à plusieurs reprises. Après un dernier exil en Espagne, l’an dernier, il avait choisi de rentrer à Valledupar.

Le gouvernement du président Alvaro Uribe s’est vanté d’avoir réduit les homicides de syndicalistes, après un pic en 2001. Mais ces résultats, maquillés par un tour de passe-passe statistique (les enseignants syndiqués, principales victimes, font l’objet d’un comptage à part), ne rassurent aucun militant colombien. Les menaces de mort ont explosé, les arrestations arbitraires de militants se multiplient et le pouvoir déclare de plus en plus souvent les grèves illégales. Pour Javier Correa, ces mécanismes, ajoutés aux assassinats comme celui de Romero, trahissent « une politique globale de persécution ».

* Article paru dans l'édition du 15 septembre 2005 de l'Humanité