Nestlé-St.-Menet
 
 

Adieu Nestlé, bonjour Net Cacao

Christophe Deroubaix [1]

Au terme de vingt et un mois de mobilisation des salariés, la multinationale cède, ce matin, après cinquante-quatre ans de présence à Saint-Menet, l’activité chocolat au repreneur.

Séquence nostalgie. Dans le local du comité d’établissement de Nestlé de Saint-Menet, les pages se tournent. Celles d’albums déterrés des archives par on ne sait qui. Sur les photos : les cadres dirigeants visitant la toute nouvelle usine, une ouvrière, « charlotte » sur la tête. « 31 juillet-1er août 1953 », est-il gravé sur la couverture de cuir. « C’était un an après l’ouverture », précise une « doyenne ». « T’es sûre ? » « Ben, comment je suis sûre, mon père, maçon, il l’a montée, cette usine. » À côté d’elle, deux « bébés Nestlé » devenus de grands et solides syndicalistes se remémorent le temps des colonies de vacances du côté de Pontarlier ou Hendaye. Un autre rappelle que le Ricoré, « l’ami du petit déjeuner », est né à Marseille. Lundi, trois collègues ont été surpris, les bras croisés, la mine pensive, contemplant l’unité de production des tablettes de chocolat : « Elle est belle, quand même, notre usine. »

Ce mardi 31 janvier 2006 a marqué la fin d’une époque : celle de Nestlé à Saint-Menet. Mais, grâce à la mobilisation des salariés, du Groupement de défense de l’emploi à Nestlé-Saint-Menet et dans la vallée de l’Huveaune et à celle de nombreux responsables politiques, l’histoire ne s’arrête pas là. Dès ce matin, Net Cacao reprend le flambeau. Et, en avril, la chocolaterie - redémarrera, avec 180 salariés. D’ici là, les 427 Nestlé auront reçu des propositions de reclassements internes au groupe, puis, pour ceux qui n’y trouveront pas leur bonheur, leur lettre de licenciement. Les nombreuses améliorations du « plan social » d’origine arrachées par les représentants du personnel, permettent aux syndicats de se rapprocher de leur objectif : « Pas un chômeur de plus dans le département. » Cent cinq salariés pourront bénéficier des mesures de départ en préretraite. D’autres souhaitent mener à bien un projet personnel. Aujourd’hui, une quarantaine de salariés demeurent dans l’incertitude. « Nous resterons vigilants sur leur avenir », préviennent les syndicats.

Symboliquement, c’est devant l’usine que l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône avait décidé d’organiser son rassemblement dans le cadre de la journée d’action interprofessionnelle. « Qu’en serait-il de l’usine Nestlé, de ses salariés, de la vie de leurs familles s’ils n’avaient pas relevé le gant de s’opposer à la multinationale en refusant l’inacceptable dans une vallée où l’industrie a payé un lourd tribut de casse ? » La question est de Mireille Chessa, la secrétaire générale. La réponse, tout le monde la connaît puisque Nestlé l’avait rendue publique le 12 mai 2004 : rien, fermeture.

« Cette lutte a permis aux salariés de Nestlé de se prouver leur force, se félicite Patrick Candela, secrétaire du syndicat CGT du site. Nous n’avons pas pu aller au bout de notre projet alternatif, avec ses 350 emplois. Mais une activité industrielle va continuer sur ce site, avec 180 emplois. Le meilleur plan social, c’est le maintien de l’emploi. » À l’initiative de l’intersyndicale et du Groupement de défense de l’emploi, une « fête de la victoire » aura lieu vendredi soir.

 

L’adieu à Nestlé

Marc Leras [2]

Les salariés et ceux qui les ont soutenus pendant presque deux ans se sont réunis dans l’enceinte de l’usine pour fêter la victoire.

De l’émotion et tant de souvenirs ! Vendredi, les Nestlé se réunissaient une dernière fois dans l’enceinte de l’usine de Saint-Menet, dans la vallée de l’Huveaune à Marseille, au terme de vingt et un mois de luttes et de procédures qui ont fait plier l’une des plus importantes multinationales mondiales.

Jusqu’au bout, du 5 mai 2004, date de l’annonce de fermeture du site, jusqu’à la signature de l’accord de fin de conflit, le 2 février, les représentants du personnel ont dû déjouer les manoeuvres dilatoires de la direction de Nestlé France, pour obtenir qu’un avenir industriel se dessine dans cette partie de la ville. Net Cacao, qui allie les sociétés Sucden et Chenal et Associés, s’est engagée à reprendre 130 salariés, sur les 427 du site, un chiffre qui pourrait monter à 300 à l’horizon 2010. Pour les autres, ce sera la préretraite à 54 ans ou le reclassement dans d’autres usines de Nestlé. Il n’y aura aucun licenciement.

C’est pour fêter cette victoire, rendue un peu amère par l’abandon de la filière café, que les salariés et ceux qui les sont soutenus pendant ces presque deux ans se sont réunis autour d’un dernier verre. Mais la fête était également l’occasion de revenir sur les tactiques employées par l’intersyndicale de Nestlé.

« Nous ne sommes pas des spécialistes et aucun conflit ne ressemble à un autre, mais notre méthode peut être une source d’inspiration », commente Joël Budanic, élu CGT au CCE. « Nous avons tout d’abord refusé de nous plier aux diktats de la direction, et l’expérience nous montre que nous avons bien fait de ne pas sombrer dans le syndicalisme d’accompagnement. Nous ne sommes pas partis dans une grève illimitée qui nous aurait affamés en deux mois, mais nous avons alerté la population, les associations et les élus sur ce scandale, occupé l’usine quand il le fallait, défendu notre projet de reprise et surtout utilisé la justice comme un service public. Cela nous a permis de montrer du doigt une multinationale hors la loi. »

La lutte des Nestlé est en effet devenue emblématique. Marie-George Buffet, par téléphone, a d’ailleurs tenu à féliciter les salariés. « Vous avez fait reculer une multinationale et votre lutte est une référence », a souligné la secrétaire nationale du PCF.

« Le dimanche où j’ai appris votre victoire, des larmes me sont montées aux yeux », confirme Hans-Jürgen Hinzer, représentant le syndicat NGG de Nestlé Allemagne. « Enfants qui êtes ici, vous pouvez être fiers de vos parents. »

Annonçant que les Nestlé seront présents dans les manifestations contre les CPE et à Strasbourg pour refuser la directive Bolkestein, Patrick Candella a remercié l’assistance, dont de nombreux élus de gauche, de son soutien permanent dans ce « combat pour l’emploi, la liberté, la dignité, ce refus des délocalisations, de la casse industrielle et du déclin ». Il a appelé la population à rester vigilante sur le devenir des 20 hectares de terrain qui ne seront pas repris par Net Cacao, dont la production devrait démarrer dès avril avant de monter en puissance cet été.

« Il va y avoir d’autres batailles à mener », confirme Jean-Marc Coppola, secrétaire fédéral du PCF des Bouches-du-Rhône. « Maintenir le site productif était une première étape. »

1. Paru dans L'Humanité du 1er février 2006
2. Paru dans L'Humanité du 7 février 2006