Nestlé Saint-Menet
 
 

Face aux repreneurs

Jean-Marie Battini *

Les échéances se rapprochent pour les salariés de l’usine Nestlé de Saint-Menet (café et chocolat) dans les Bouches-du-Rhône. On ne connaît toujours pas le repreneur.

Après plus de 17 mois de lutte, une occupation active, une victoire juridique obligeant la multinationale à reprendre la production ; après avoir obligé leur direction à lever partiellement son veto à la possibilité d’une reprise d’activité, les salariés de l’usine Nestlé de Saint-Menet (Bouches-du-Rhône) vont vivre des journées déterminantes. Le comité technique de reprise, qui se réunit à huis clos, dans un lieu gardé secret pour éviter que les salariés ne s’y invitent, arrive au bout de ses travaux, et la chambre de commerce et d’industrie (CCI), chargée de suivre l’affaire, doit rendre sa copie mercredi 26 octobre. La date prévue était le 18 octobre, mais un délai avait été accordé à la demande d’un des candidats repreneurs qui, depuis, s’est retiré. Restent en lice deux candidats. L’un d’eux a un projet considéré comme solide, et se déclare prêt à reprendre l’activité « café », pour peu que Nestlé lève son veto. Le second n’a pas finalisé son plan d’accompagnement (accord de sous-traitance temporaire avec Nestlé, pour aider à la reprise), et dit avoir manqué de temps pour parfaire son projet. Lui aussi considère indissociables les secteurs « chocolat » et « café ». La position des deux candidats prouve bien la validité du projet élaboré par les syndicats, impliquant la reprise des deux secteurs. De plus, la reprise du seul « chocolat » ne permettrait de sauver que 130 à 180 emplois sur les 427 actuels. Se basant sur le seul créneau « café en grains et moulu », la CCI reprend les arguments de Nestlé, selon lesquels l’activité ne serait pas viable. Or le plan de reprise élaboré par les experts mandatés par les syndicats envisage un secteur « café soluble » qui, lui, serait rentable, et qui pourrait être repris sans avoir recours aux brevets que Nestlé refuse de céder à un éventuel concurrent. Pour cette raison, les syndicats contestent la prétendue impartialité de la CCI, et ils ont demandé qu’elle soit dessaisie du dossier, car tout prouve que Nestlé dicte ses conditions (choix exclusif du repreneur, mise à l’écart des syndicats, refus de la reprise du secteur « café »). Après 17 mois de lutte, les salariés s’interrogent. Faut-il accepter une cessation d’activité ? Faut-il ou non continuer la lutte ? Toujours en lien avec l’ensemble des salariés de la boîte, la CGT a diffusé un tract mettant en parallèle les conséquences liées au choix du plan « social » et celles liées à la recherche d’un repreneur. Une assemblée générale du personnel devait se réunir, lundi 24 octobre, pour chercher à élever le niveau de la lutte. Un rassemblement (avec grève) sera organisé le 26 octobre devant la préfecture, et d’autres actions pourraient être décidées, selon les résultats de la réunion. Même si la fatigue commence à peser après un si long conflit, la CGT continue à être à l’offensive et elle délègue régulièrement des représentants aux réunions du Groupement de défense, afin de l’associer aux actions de popularisation de la lutte. La LCR ne ménagera pas ses forces dans ce combat.

* Rouge 2131

Quel choix face au diktat de Nestlé ?

Christophe Deroubaix **

Malgré la crédibilité du repreneur, Net Cacao, la multinationale veut maintenir son projet de cessation d’activité. La balle est désormais dans le camp de Dominique de Villepin.

«La direction de Nestlé souligne que la continuité de l’activité chocolatière s’inscrirait dans le projet de revitalisation des 27 hectares du site présenté par Nestlé dans le cadre de son projet de cessation d’activité.» Extrait de Nestlé Info nº 28 daté du 27 octobre. Décryptage : au lendemain de la dernière table ronde où Net Cacao a été déclaré seul repreneur crédible, la multinationale, dans sa lettre interne d’information, dessinait la ligne jaune qu’elle ne veut pas voir dépassée. À savoir : le repreneur ne peut intervenir que dans le cadre des propres projets de cessation d’activité de Nestlé. Depuis l’annonce en mai 2004 de la fermeture programmée du site de Saint-Menet, les organisations syndicales critiquent ce «diktat» du numéro 1 mondial de l’agroalimentaire. Elles avaient marqué un point lors de la table ronde du 5 septembre qui lançait le processus de recherche d’un repreneur puisque le premier ministre avait jugé «inacceptable» que Nestlé oppose son veto à la poursuite de l’activité.

On se souvient de la suite avec l’élaboration d’un cahier des charges par la chambre de commerce et d’industrie, portant, selon la CGT, «l’empreinte de Nestlé», puisque le café en était exclu. Finalement, onze candidatures ont été enregistrées alors que Nestlé prétendait depuis des mois qu’aucun repreneur ne pointerait le bout du nez. Et mercredi dernier, Net Cacao, une société créée pour l’occasion par les groupes Chenal et Associés et Sucre et denrées, était retenu, bien que sortant des clous du cahier des charges. Net Cacao prévoit une production de chocolat de 30 000 tonnes annuelles, dont Nestlé serait acheteur, avec pour objectif 100 000 tonnes d’ici trois ou quatre ans. 180 emplois (réservés aux salariés actuels du site) seraient ainsi maintenus dans un premier temps, et l’augmentation de la pro-duction pourrait nécessiter 300 emplois d’ici 2010. «C’est une avancée considérable. Ce que nous avions dit depuis des mois s’est avéré juste. L’usine est compétitive», se félicite Patrick Candela, secrétaire du syndicat CGT du site.

Ce matin, dans le cadre d’une nouvelle réunion à la préfecture, Net Cacao doit préciser son plan de reprise. « Nous attendons des précisions sur le plan économique et des garanties sociales », explique Patrick Candela. À condition que le repreneur ait les coudées franches. Ce que Nestlé refuse. «À chaque fois que nous réussissons à avancer, Nestlé met de nouvelles conditions, regrette le syndicaliste. Désormais, la multinationale n’entend céder que 7 des 27 hectares du site avec des conditions financières alors qu’elle avait promis, le 5 septembre, une cession de ces actifs non stratégiques pour l’euro symbolique. Et elle parle de cessation d’activité là où elle s’était engagée à une cession.» Voilà quelques engagements non tenus qui laissent, pour l’instant, le gouvernement de marbre. D’où cette mise en garde de Patrick Candela : «Nous condamnons, d’avance, tout responsable politique qui s’inscrirait dans la stratégie de Nestlé.» Ces mêmes responsables politiques auxquels Peter Brabeck, directeur général de Nestlé, recommande de «se tourner vers l’avenir plutôt que de s’arc-bouter à défendre les acquis du passé». La balle est dans le camp de Dominique de Villepin.

** L'Humanité du 2 novembre 2005