Suisse

Werner Messmer et Vacso Pedrina, co-président d'UNIA

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Le patronat attaque les contrats

Lucio Finzi *

Il ne se passe pas un jour sans que le patronat annonce de nouveaux éléments de son offensive contre les conditions salariales et de travail des salarié·e·s du secteur privé comme public. Les lignes directrices de cette offensive sont multiples. Nous avons déjà parlé à diverses reprises des contre-réformes mises en œuvre et de celles qui sont en train de l’être dans le domaine des assurances sociales. Se manifestent de plus les premières conséquences concrètes du long processus de réorganisation du marché du travail conduit grâce à la libéralisation accrue de l’organisation de ce marché, liée entre autres à l’introduction de la libre circulation sans mesures d’accompagnement réelles et efficaces. En outre avance une lente mais inexorable politique d’affaiblissement de ce qui reste – et ce n’est pas beaucoup – de la réglementation collective des conditions de travail et de salaire, c’est-à-dire les conventions collectives de travail (CCT). Au cours des derniers jours, le patronat de la construction et la direction des CFF ont sonné la charge. Patronat privé comme patronat public relancent leur attaque contre «le partenaire social», mais ne manquent pas, simultanément, de menacer d’abandonner la politique contractuelle si leurs conditions ne sont pas acceptées. Dans les deux cas, évidemment, il s’agit de conditions qui concernent les questions matérielles réglées par les CCT, même si la bataille est conduite avec des arguments et des logiques différents.

Paix du travail ou pas de CCT

Ceux qui semblent avoir tiré les conclusions les plus clairvoyantes de la naissance d’Unia sont les patrons du secteur principal de la construction, représentés par la Société Suisse des Entrepreneurs (SSE). Au-delà du nuage de fumée propre à la propagande, des discours et des coups de bluff médiatiques, le patronat est capable de comprendre les rapports de force réels: ceux qui se nouent sur les lieux de production et de travail.

La vision du patronat de la construction apparaît dès lors assez claire: il est nécessaire qu’Unia accepte de bon gré de se plier à la logique de la paix du travail et abandonne toutes les tentatives velléitaires d’ériger des barrières contre les propositions de démantèlement qui seront faites par la SSE. En substance, si l’on va à l’essentiel et que l’on ne s’en tient pas aux formules plus ou moins ambiguës, voilà le contenu du discours tenu par la direction de la SSE au cours d’une conférence de presse faite le 29 mars et dirigée par le président de la SSE et conseiller national radical Werner Messmer (voir ci-dessous).

Le patronat sait parfaitement quelle est l’évolution des rapports de force à l’intérieur d’Unia, résultat de la fusion consolidée entre le SIB (Syndicat de l’industrie et du bâtiment) et de la FTMH (Syndicat de l’industrie, de la construction et des services). De manière décisive et définitive s’est renforcée la composante d’Unia orientée dorénavant ouvertement en direction d’une version moderne et forte de la paix du travail, celle qualifiée de «partenariat social». C’est de ces développements au sein d’Unia que le patronat veut dorénavant tirer profit, et particulièrement celui représenté par la SSE qui, dans le passé, avait, partiellement, souffert de la présence au sein du SIB d’un secteur syndical qui avait défendu une conception conflictuelle de l’action syndicale. Il le fait en mettant Unia sur la défensive, en l’obligeant à «se défendre», lui faisant déclarer sa loyauté et sa fidélité à la politique de paix du travail.

La réponse ne s’est pas fait longtemps attendre. Certes, la direction d’Unia a mis en question les affirmations patronales et a répété sa disposition – toute théorique – à recourir à l’arme de la grève. Mais, en substance, elle a répété son option en faveur d’une orientation de partenariat social. De nouveaux pas en arrière – après l’événement malheureux de la fin de la grève de Swissmetal – aboutissent à des choix traditionnels de politique syndicale qui marquent la trajectoire de la construction d’Unia. Une trajectoire qui était censée laisser ouvert – au cours d’une seconde période – le débat sur les options syndicales de fond.  Un débat qui, en réalité, n’a jamais été conduit et qui s’est réglé dans les pires des conditions.

L’offensive des CFF

Dans le secteur privé si l’on se prépare à accentuer l’offensive sur les conditions de travail tout en demandant au syndicat de «jurer fidélité» (sans hésitation) à la paix du travail, dans le secteur public on y va de façon plus expéditive, même si désormais il serait plus correct de parler de secteur ex-public étant donné la nature et la politique des CFF.

Dans ce secteur, il n’existe aucune hésitation: le mouvement syndical a été historiquement la colonne vertébrale de la paix du travail et de la concertation sociale dans ce pays. Et la direction du syndicat des cheminots (SEV) a fourni la preuve, au cours de ces dernières années, de sa capacité à accepter, de fait sans aucune riposte, des processus de restructuration dont la brutalité et l’ampleur n’ont rien à envier à tout ce qui se passe en Europe. Les CFF ont pu ainsi tranquillement, sans aucune secousse à l’intérieur de l’entreprise, supprimer plus de 10'000 postes de travail au cours des dix dernières années. Ils ont pu suite à la suppression du statut de fonctionnaire – combattue avec une détermination plus que limitée de la part des directions syndicale – bénéficier de l’introduction de CCT qui ont créé le cadre favorable à une péjoration des conditions de travail et de salaire de tout le personnel des CFF et des sociétés contrôlées par les CFF, comme, par exemple, CFF Cargo SA. Et cette politique acceptée de façon pacifique par les directions syndicales a encouragé la direction des CFF, les années passant, à ce qu’elle porte coup sur coup contre les salarié·e·s de l’entreprise. Il suffit de faire référence, pour ne prendre que le dernier exemple, à l’immobilisme total de la direction du SEV face au dernier projet de restructuration du secteur cargo, malgré le fait que de diverses parts – nous pensons entre autres aux travailleurs des ateliers des CFF de Bellinzone – apparaissaient des initiatives et indications de la possibilité d’engager une activité décidée pour s’opposer à la direction des CFF.

CCT à la mer

Et maintenant un grand coup est frappé: l’annonce a été faite de la dénonciation de la CCT du personnel des CFF et de CFF Cargo pour la fin de l’année.

Dans une longue lettre envoyée à tous les employé·e·s des CFF et de l’entreprise CFF Cargo, les deux dirigeants de cette entreprise – tous deux membres éminents du Parti socialiste, Benedikt Weibel et Daniel Nordmann – ont annoncé sans trop de diplomatie ce qu’ils voulaient faire. Et ils expliquent, toujours avec beaucoup de clarté, les raisons de leur initiative: «Nous devons améliorer notre compétitivité dans tous les secteurs et nous ne pouvons pas accepter que pour les CFF soient appliquées des conditions plus mauvaises que celles en vigueur dans des entreprises analogues.» Naturellement, et cela n’est évidemment pas une finesse linguistique, le terme «plus mauvaises», ici, doit être compris du point de vue des intérêts de l’entreprise. Du point de vue des travailleurs, cette phrase signifie ceci: nous ne pouvons pas accepter que vous, employés des CFF, soyez traités mieux que d’autres employés des entreprises de transport qui sont nos concurrents. Dès lors, il est nécessaire de péjorer les conditions de travail et de salaire des employés des CFF en les adaptant aux «conditions identiques de travail qui s’appliquent dans des endroits analogues. Concrètement: pour les secteurs de la production, nous voulons des règlements analogues à ceux en vigueur aux BLS (BLS Lötschbergbahn AG) qui ont été introduites avec l’accord des syndicats.

On en arrive donc au point fondamental: adapter vers le bas les conditions de travail et de salaire du personnel des CFF. Adapter vers le bas, c’est ce qui s’appelle dumping salarial et social. Dès lors, il vient immédiatement à l’esprit une question: face à ces réalités, comment peuvent réagir ceux qui, il y a encore quelques mois à l’occasion de la votation sur la libre circulation (le 25 septembre 2005), juraient et juraient encore qu’il n’y aurait pas de dumping salarial ? Combien de vois avons-nous entendu des syndicalistes et des patrons (de manière assourdissante par exemple dans le secteur de la construction) dire et répéter que grâce à la libre circulation et aux mesures d’accompagnement il n’y aurait pas de dumping salarial en Suisse ?

Une politique syndicale sans perspective

Si l’attaque patronale est d’une dureté sans précédent au cours des dernières années, la riposte des directions syndicales est piteuse (et nous ne pouvons pas trouver un autre qualificatif). Ces directions non seulement ne pensent pas, même pas un instant, à la nécessité de répondre concrètement. Par exemple, avec une de ces belles mises en scène faites à l’intention des médias dont elles sont si capables. Au moins, cela aurait démontré qu’elles font quelque chose. Mais elles ne trouvent rien de mieux que répéter leur attachement au partenariat social, à la paix du travail. Et ces directions ne cessent de répéter leur espoir que le patronat réexamine ses positions, qu’il revienne autour de la table des négociations et qu’il continue la politique de concertation. En un mot, il s’agit de faire courbette sur toute la ligne. Autrement dit, cela signifie: ne vous faites pas de souci, vous n’avez rien à craindre, nous ne changerons pas de politique.

Le patronat n’avait aucun doute à ce sujet. Il a un sens de la réalité et des rapports de force beaucoup plus clair que toutes les directions syndicales actives aujourd’hui en Suisse. Mais, certainement, cela lui fera plaisir d’entendre qu’existe la disponibilité à accepter que des pas en arrière soient accomplis pour ce qui regarde les conditions de travail et le salaire des travailleurs de la construction et des CFF (et, n’ayons aucun doute, dans d’autres secteurs il en ira de même).

Ces directions sont prêtes à passer des accords très mauvais qui seront présentés comme le énième «moindre mal», comme des «compromis honorables», résultats d’une situation dans laquelle «on ne pouvait pas obtenir plus». C’est-à-dire une situation dans laquelle on a cherché à ne rien faire du tout. (trad. A l’encontre)

* Article paru dans le bimensuel du MPS en langue italienne Solidarietà, en date du 6 avril 2006.


Conférence de presse de la SSE du 29.3.2006
Bases de l'exposé du CN Werner Messmer, président central de la SSE

Le partenariat social à la croisEe des chemins

1. Le modèle suisse du partenariat social doté de la paix du travail en tant que pilier central a fait de notre pays une place économique attrayante. Dans ce cadre, les entreprises helvétiques sont devenues des partenaires contractuels appréciés. Les maîtres d'ouvrage suisses et étrangers s'en sont remis à la fiabilité suisse proverbiale. Ces avantages liés au site ont contribué pour une part essentielle au standard de vie élevé dans notre pays.

2La conclusion de conventions collectives de travail (CCT) est en principe souhaitée dans de nombreuses branches, également dans le secteur principal de la construction. Les CCT remplacent dans bon nombre de cas le contrat individuel de travail, elles allègent à de milliers de PME l'application des dispositions légales, dont le volume ne cesse de s'accroître. Elles renforcent la sécurité juridique pour employeurs et travailleurs, puis créent en quelque sorte le principe de lutte à armes égales dans la concurrence en vue de l'obtention de mandats.

3Les CCT spécifiques aux branches tiennent compte des particularités d'un secteur économique. Il est possible de les adapter rapidement et facilement aux conditions modifiées, pour autant que les partenaires contractuels tombent tous d'accord.

4Eu égard à leurs interventions énergiques et à leur attitude fortement combattive, les syndicats relativisent intentionnellement la paix du travail depuis quelques mois. Ils sapent le climat de confiance par leurs informations erronées et leurs déclarations induisant en erreur. Ils prétendent avoir le droit de faire la grève, alors que cela n'est aucunement autorisé dans la Convention et de toute façon exclu dans les CCT.

5Les syndicats tentent d'imposer leurs revendications par des mesures de lutte ou en menaçant d'y recourir. Ils vont même jusqu'à s'immiscer dans les décisions stratégiques des entreprises.

6En recourant à ces moyens illégaux et se mêlant des décisions d'entreprises, les syndicats mettent en jeu le partenariat social traditionnel et contraignent les employeurs à revoir sérieusement leur attitude. Le partenariat social est donc non seulement fortement compromis, mais semble être arrivé à un véritable tournant.

7Le comportement des syndicats témoigne d'un comportement irresponsable, car il nuit à ses membres en mettant en péril les emplois et l'existence des entreprises. La propension croissante des syndicats à déclencher des grèves entrave la place économique suisse, diminuant par là les chances de croissance future. Cela débouche sur la suppression de la paix du travail qui en représente un important pilier.

8La "paix absolue du travail" constitue le point-clé du partenariat social (et le demeurera à l'avenir) selon le modèle suisse qui s'est avéré efficace. Cependant, elle requiert des procédures claires pour éliminer les divergences d'opinions et régler les conflits. Celles-ci ont pour but d'empêcher l'aggravation de différends, susceptibles de déboucher sur une grève, en forçant les parties à se réunir à une table ronde pour négocier. C'est ce qui permet d'aplanir la voie pour trouver des solutions adéquates, tenant compte de la diversité des intérêts

9Pour la SSE, il est clair que l'Unia peut interpréter différemment qu'elle-même certains articles de CCT. Elle n'entend nullement interdire à cette dernière de clarifier et de publier ses interprétations. Mais la SSE ne saurait tolérer que l'Unia exerce une pression massive sur certaines entreprises. Soit en leur dictant des décisions, leur fixant des délais et en les menaçant de recourir à des actions et à des grèves si elles ne répondent pas à leurs exigences.

10Le partenariat social ne représente pas un acte généralisé de "fraternisation". Il ne tente pas de simuler des harmonies là où les intérêts des partenaires sont opposés. Mais qui dit partenariat social, dit s'en tenir aux règles du jeu, de même que communiquer de manière franche et honnête.

11La SSE entend éviter toute aggravation de conflit. Elle aspire à un partenariat social à la fois authentique et fiable. Si ce partenariat perd de son assise par des menaces et diffamations, la SSE n'y est plus intéressée, voire envisage un abandon. Car une telle situation débouche sur des conflits épuisant les forces et dont on ne voit pas la fin.

12Remarques sur le comportement de l'Unia.

13Résumé:
Celui qui à l'instar du CN Paul Rechsteiner, président de l'Union syndicale suisse (USS), déclare dans la presse que les grèves seront à l'avenir inévitables pour le progrès social, met délibérément en jeu
- la vitalité des entreprises
 - la compétitivité des entreprises
 - la place économique suisse
 - les emplois directement et indirectement concernés.

Au cas où l'Unia ne devait pas mettre un terme immédiat à sa nouvelle stratégie intimidatrice, voire de chantage, la SSE ne la considérera et ne la reconnaîtra plus comme partenaire social fiable. Dans de telles conditions, cette dernière ne peut envisager des négociations conduisant au but fixé. Si tel était le cas, elle pourrait être contrainte à résilier la CCT avec l'Unia à la première date possible et rechercher des alternatives.

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