Répression
 
 

L’oligarchie contre les droits

Dans la crise économique, sociale et environnementale d’ampleur qui frappe le capitalisme international se pose la question de la défense des droits démocratiques. Pourquoi ?

Parce que toute l’histoire indique que, dans un contexte de crise multiforme, les dominants visent à imposer autoritairement leurs solutions: reporter sur les salarié·e·s «les frais de leur crise».

Par exemple:

• diminuer les allocations de chômage et rendre leur obtention encore plus difficile pour les jeunes qui sortent de formation; • repousser l’âge donnant droit à la retraite (65 ans pour les femmes) et demain 67 ans pour tous; • baisser les rentes des personnes à la retraite; • accroître la pression au travail, au moment où d’autres sont mis au chômage partiel ou licenciés; • comprimer les salaires en ne payant plus les heures supplémentaires ou en les payant à 100% et non plus à 125%; • réduire les travailleurs et travailleuses sans papiers au statut d’une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci par des entreprises de sous-traitants devant obéir aux donneurs d’ordre (les Implenia et Losinger dans la construction); • multiplier les stages non payés pour les jeunes qui cherchent un emploi; • accroître la part des impôts payée par les salarié·e·s, alors que le capital et les très grandes fortunes sont, de fait, exonérés; il reviendra donc, avant tout, aux salarié·e·s de payer la facture du sauvetage de l’UBS (qui ne paiera pas d’impôts à cause des «pertes») et de l’oligarchie qui l’a dirigée et la dirige encore; • élargir les secteurs soumis à la privatisation afin d’offrir des débouchés rentables à quelques grands groupes privés: dans le domaine des transports, de la poste, de l’éducation ou de la santé»; etc.

Cet ordre du Capital – qui répond aux exigences de restauration de la rentabilité (du profit) – doit être imposé «dans l’ordre». Dès lors, les individus ou les collectifs qui contestent cette dictature économique et sociale tendent à être criminalisés.

La répression touche, en priorité pour l’heure, celles et ceux qui disposent de droits quasi nuls: les sans-papiers… Ils font du coffrage et du ferraillage dans la construction; ils travaillent dans la restauration pour des salaires de misère; ils nettoient les bureaux et les appartements, etc. Mais, ils sont, sans cesse, placés sous la menace du renvoi, comme un salarié sous celle du licenciement. Faire accepter la «chasse aux sans-papiers» est un pas pour rendre acceptable, par certains, le licenciement d’un·e syndiqué·e qui se risque à  mettre en question le diktat d’un employeur.

Quand les participants·e·s à une manifestation laissent s’exprimer leur colère compréhensible contre des injustices de tout genre, «l’ordre » doit être rétabli. Et cela se fera en faisant appel aux forces qui portent ce nom.

Par contre, si des banquiers exproprient (volent) des petits épargnants (salariés) ou des caisses de pension censées assurer des rentes aux salarié·e·s, il ne leur est imposé aucune «mise à l’ordre».

On retrouve la vieille ritournelle du «qui vole un œuf, vole un bœuf». Elle est collée aux manifestants qui traduisent leur courroux contre l’iniquité et l’arbitraire. Par contre, le principe « du faible au fort, c’est voler; du fort au faible, c'est seulement s'approprier le bien d'autrui» est réservé pour les banquiers et assureurs.

Un système qui nie les droits sociaux et économiques

Cela dit une question de fond se pose: en quoi ce système économique, social et politique – que les médias nomment à nouveau capitaliste – ne peut que limiter les droits sociaux et économiques ? Et pour ce faire, il n’hésite pas à porter atteinte à des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, d’organisation et de manifestation... Ceux qui contreviennent à cette conception et aux lois édictées pour l’appliquer commencent à être traités comme de la chiourme – comme des condamnés au bagne – gardée par des policiers. Cette pratique est généralisée face aux «clandestins reconduits à la frontière», «renvoyés dans leur pays» ou «enfermés dans des centres de rétention» aux frontières de l’Europe de Schengen, à laquelle le gouvernement suisse participe.

Ce n’est pas une logorrhée, un flux de mots sur les «résistances sociales» – qui actuellement sont très faibles en Suisse – qui permet de trouver une réponse à la question posée.

L’existence des droits politiques (droit de vote, droit de référendum et d’initiative, droit à s’organiser syndicalement, etc.) a parfois été le résultat de revendications et de luttes en Suisse.

Mais ces droits sont partiels et limités. Il suffit de penser aux droits de vote et d’éligibilité des immigré·e·s. Il suffit de penser aux droits syndicaux – pas protégés – sur le lieu de travail. Ensuite, ces droits peuvent être supprimés ou suspendus. Enfin, la «justice» (un tribunal) peut leur donner une interprétation les réduisant à peu de chose. Concrètement: le droit de grève est contesté, l’action de solidarité avec des grévistes condamnée, l’occupation d’une école ou d’une entreprise interdite, le droit de distribuer un tract devant un grand magasin ou une usine empêché.

Pourtant, l’essentiel ne réside pas là. Les droits politiques dans ce système sont vidés de tout impact sur les décisions économiques, protégées par un Mur de Berlin qui entoure la grande propriété privée industrielle et financière d’une oligarchie qui avance comme des concombres masqués.

La façon d’utiliser la capacité physique et intellectuelle de travail (la force de travail) relève aussi du «bon droit» du patronat pendant le temps de travail légal et conventionnel. Voilà une autre limite sérieuse aux «droits des salarié·e·s».

La surveillance et les surveilleurs

Dans la concurrence entre capitalistes à l’échelle internationale et nationale, l’objectif de ces derniers consiste à «réduire les coûts de production», pour gagner la «guerre de la compétitivité».

Concrètement cela implique: de «serrer» les salaires; de faire produire plus dans le même temps; d’allonger le temps effectif de travail; de licencier des salarié·e·s  jugés «pas nécessaires» pour cette guerre; d’engager des intérimaires et de les renvoyer d’un jour à l’autre; d’imposer le travail «à temps partiel» à certains et des heures supplémentaires à d’autres (dans la même entreprise).

Cette façon de traiter les salarié·e·s (qu’on nomme «collaborateurs» ou «collaboratrices») nécessite d’accroître la surveillance.

De plus en plus d’activités sont «enregistrées» grâce à des systèmes électroniques. Les salarié·e·s, très souvent, doivent remplir eux-mêmes des questionnaires ou des bilans d’activités. Le temps consacré à chaque opération est mesuré et enregistré: celui pour donner un soin dans un hôpital; celui pour distribuer un paquet à la Poste; celui pour faire une soudure dans une usine. La surveillance, par caméra, à l’entrée des magasins double celle faite sur les caissières. Dès lors, la surveillance d’une manifestation de 1er Mai – fichage, films, photographie – prolonge cette surveillance envahissante.

La répression contre des manifestants fait écho aux licenciements de délégués syndicaux, de salarié·e·s qui refusent de plier l’échine devant les exigences du patronat ou d’obéir aux ordres, illégitimes, d’une firme de «location d’intérimaires».

Cette surveillance généralisée se retrouve dans le domaine de l’assurance-maladie, du chômage, de l’aide sociale, de l’assurance invalidité, du contrôle des habitants et des «sans-papiers».

Surveillance veut dire personnes qui surveillent et qui sanctionnent si un·e salarié·e·s n’accepte pas que «le règlement c’est le règlement».

Rompre avec le double langage

La nécessité de battre en brèche ces limitations drastiques des droits des salarié·e·s exige, d’abord, de faire la démonstration qu’une répression contre des manifestants – comme lors du 1er Mai – s’inscrit dans la logique du pouvoir de ce système.

La défense des droits démocratiques doit rassembler le front politique et associatif le plus large. Et cela sur des revendications très concrètes. Par exemple, il faut refuser de manière unanime que la police et le pouvoir politique puissent décider qui peut ou non participer à une manifestation.

Les mesures adoptées par le pouvoir cantonal et municipal du canton de Vaud illustrent cela: pourront manifester ceux et celles qui sont vêtus d’une certaine façon et seront interdits de manifester ceux et celles qui ne porteront pas les habits recommandés. Le pouvoir choisit, à l’avance, qui a le droit de manifester ou pas.

Pour s’opposer à cette politique, il faut aussi refuser de collaborer à la mise en place politique de «chef de la police de gauche». Il donne légitimité à la répression voulue et applaudie par la droite. C’est malheureusement le cas à Lausanne où la liste électorale «A gauche toute» (POP uni à solidaritéS) a accepté qu’une de ses figures prenne la fonction de chef politique de la police.

Défendre les droits démocratiques implique de rompre avec cette politique et d’exiger le départ de Marc Vuilleumier de cette fonction de «patron de la police» et de l’exécutif qui le soutient. Sans quoi, le lien ne pourra être établi entre la difficile lutte pour l’extension effective des droits sociaux et économiques et la défense du droit démocratique élémentaire de manifester. En ce domaine, le double langage comme l’ambiguïté politique aboutiront à accroître encore plus confusion et division.

(9 juin 2009)

 
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