Prise de position de à l'encontre

La diminution du temps de travail: ce n'est pas cela !

Le 2 mars, NON à l'initiative de l'USS
«pour l'annualisation du temps de travail» !

Le 2 mars prochain, les citoyennes et citoyens devront se prononcer sur l'initiative de l'Union syndicale suisse (USS) officiellement dénommée «pour une durée du travail réduite». Pour ne pas succomber à la publicité mensongère», l'USS aurait dû appeler son initiative «Pour l'annualisation du temps de travail et une flexibilité encore accrue».

Cette votation est en effet l'occasion d'une double tromperie:

• Les dirigeants de l'USS, soutenus par les ténors de ladite «gauche» (PSS, Verts, etc.), font croire que leur initiative pourrait contribuer à la diminution – qui est pourtant un besoin réel ! – du temps de travail. Ils savent qu'il n'en est rien. La seule conséquence effective de cette initiative est d'apporter la caution de l'USS à l'annualisation des horaires... revendiquée par le patronat.

• Le patronat et les partis de droite, de leur côté, prétendent qu'une diminution généralisée du temps de travail se solderait inévitablement par... une augmentation du chômage. Leur raisonnement est simple: «Nos profits sont sacrés ; les salarié·e·s doivent donc accepter de travailler au rythme de nous dictons ; sinon, nous irons ailleurs.» En d'autres termes: «Salarié·e·s de tous les pays, laissez-nous vous extorquer une part de plus en plus grande de la richesse que vous produisez... et nous pourrons battre nos concurrents !» Le patronat reproduit ce slogan dans chaque pays.

Il est possible de sortir de ce piège. Il faut dire NON à l'initiative de l'USS «pour l'annualisation du temps de travail et une flexibilité encore accrue». Et relancer le combat pour que, face à ceux qui commandent aux êtres humains et aux machines, les salarié·e·s reconstruisent une opposition, une résistance, un contre-pouvoir – sur les lieux de travail comme dans la société – leur permettant de reconquérir une maîtrise sur leur temps et leurs rythmes de travail, sur leurs horaires, etc. Donc aussi sur leurs temps de vie ! C'est à cette condition que nous serons à nouveau en mesure de lutter ensemble et de manière crédible pour une forte diminution du temps de travail. C'est ce que nous proposons.

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L'initiative «pour une durée du travail réduite» est en fait une initiative «pour l'annualisation du temps de travail»

Les dirigeants de l'USS font de la publicité mensongère !

L'initiative de l'Union syndicale suisse (USS) est présentée par les dirigeants de cette dernière comme le «deal de ce siècle» (Jean-Claude Rennwald, vice-président de l'USS, conseiller national PS, La Liberté, 14.01.2002).

Mais pour qui ?

Le «deal du siècle» ou..l'arnaque du siècle ?

Pour le comprendre, il faut comprendre le pseudo-échange autour duquel l'initiative est construite:

• D'un côté, l'initiative de l'USS propose d'inscrire dans la Constitution l'annualisationdu temps de travail, en remplacement des règles actuelles qui fixent une durée hebdomadaire. C'est, de l'avis même des responsables de l'USS, la partie qui «revient» aux patrons.

• De l'autre côté, l'initiative propose de ramener la durée légale du travail à 1872 heures par année, c'est-à-dire 36 heures hebdomadaires en moyenne. C'est la partie qui est censée revenir aux salarié·e·s.

Les dirigeants de l'USS présentent cela comme un «donnant-donnant» équilibré. C'est une arnaque. Voici pourquoi.

Annualisation: le rêve patronal

L'annualisation permet aux employeurs de faire fluctuer les horaires strictement en fonction de leurs intérêts. Le carnet de commande est bourré et il faut «vite» livrer un client ? En avant pour des heures supplémentaires et pour les samedis au boulot avec des compensations-bidons. La période est plus calme: on ordonne de «rester à la maison». L'annualisation, c'est en quelque sorte le «travail sur appel» pour tout le monde. Un travail sur appel que L'USS dit, depuis des années, vouloir combattre.

Bien entendu, les heures supplémentaires ne datent pas d'aujourd'hui. Ni la flexibilité, imposée à «nos chères collaboratrices et chers collaborateurs». Mais l'annualisation permet d'aller beaucoup plus loin.

1°) Il n'y a plus de plancher.Avec l'horaire hebdomadaire, un patron est tenu d'employer chaque semaine ses salarié·e·s au minimum pour le nombre d'heures prévues par le contrat, 40 par exemple. Et de les payer pour ces heures. S'il y a peu de travail, cela ne change rien à l'affaire. Pour les salarié·e·s, ce sont des périodes où ils et elles peuvent souffler un peu, réaliser des travaux moins urgents (d'entretien par exemple), remettre à jour des connaissances, etc. L'annualisation a pour but de liquider ces respirations.

2°) Conséquence: c'est la course permanente, le stress continu.C'est la chasse aux temps morts. Soit on est renvoyé chez soi ; soit il faut «y aller» à plus de cent à l'heure. L'employeur approche ainsi de son rêve: chaque minute de présence doit être productive au maximum. Ainsi, la différence s'agrandit entre la richesse produite et les salaires touchés, ce qui augmente les profits.

Chacun·e connaît les conséquences de cette «mise sous tension» permanente: usure physique et nerveuse, fatigue jusqu'à l'épuisement.

En plus, on vit de plus en plus avec l'angoisse de commettre une faute professionnelle, par manque de temps.

3°) C'est magique: les heures supplémentaires se multiplient... mais n'existent plus.De l'autre côté, c'est la multiplication des heures sup. pour tenir les délais ou faire face aux périodes de bourre (les fêtes de fin d'années dans les grands magasins, par exemple). A ce sujet, l'initiative de l'USS est très généreuse... avec les patrons. Elle permet des semaines de 48 heures, c'est-à-dire 12 heures supplémentaires hebdomadaires. Ou une heure supplémentaire du lundi au vendredi plus le samedi toute la journée.

Mais il y a plus fort: grâce à l'annualisation, ces heures supplémentaires disparaissent immédiatement, comme dans un tour de passe-passe. En effet, puisque la durée du temps de travail se mesure désormais sur toute une année, ces heures sup. deviennent des «heures de compensation» pour les périodes où l'on a été renvoyé·e d'autorité à la maison. Les travailleuses et travailleurs qui, de temps à autre, ne disaient pas non à du travail supplémentaire pour arrondir leurs fins de mois en sont pour leurs frais.

Ils continueront à être obligés de passer des soirées ou des samedis matins au boulot, au détriment de leur famille ou de leurs loisirs. Mais, cette fois-ci, sans encaisser un centime.

4°) «On ne sait plus où on en est.» En effet, le résultat final de l'annualisation, c'est que les salarié·e·s perdent tout contrôle sur leurs horaires de travail: quand on travaille, quand on est en congé ; si l'on a des heures «en avance» ou «en retard» ; etc.

L'annualisation leur vole aussi la régularité, donc la possibilité d'organiser leur temps. Elle rend ainsi plus difficile le fait d'avoir une maîtrise sur son temps de vie hors travail, de savoir suffisamment à l'avance quand on est libre pour organiser des loisirs, participer à des activités associatives, rencontrer des amis, partager des moments avec leur famille. Bref, l'annualisation empoisonne la vie.

L'USS à la rescousse... du patronat

Ces constats ne sont pas nouveaux. Ils sont à l'origine de l'opposition très répandue des salarié·e·s à l'annualisation du temps de travail. Par exemple, les travailleurs de la construction en ont «ras-le-bol» des «heures variables», la forme d'annualisation imposée par les entrepreneurs: ils revendiquent la suppression de ce système depuis des années.

Or, avec son initiative, l'USS proclame haut et fort son soutien à l'annualisation des horaires. Les employeurs s'empareront de cet argument et en feront un moyen de pression contre toutes celles et tous ceux qui osent encore résister à leurs exigences.

"Pile je gagne ; face tu perds"

Mais, rétorquent les (ir) responsables de l'USS, cette présentation n'est pas «équilibrée»: elle ne tient pas compte de l'autre volet du «deal», la diminution du temps de travail.

Eh bien, parlons-en ! L'initiative prévoit effectivement une durée annuelle du travail de 1872 heures (36 par semaine en moyenne). Il y a cependant un «petit» problème. Personne, à commencer par les plus hauts dirigeants de l'USS, ne croit que cette revendication a la moindre chance d'aboutir avec l'initiative de l'USS. L'USS avait déjà eu grand peine à réunir les signatures. Depuis lors, elle n'a absolument rien fait pour que les salarié·e·s s'approprient la revendication d'une diminution du temps de travail et s'engagent pour la défendre. La défaite est donc programmée.

Que va-t-il alors se passer ? Pour le savoir, il suffit de se souvenir de ce qui s'est déjà produit une fois. En 1998, la FTMH avait elle aussi proposé, pour le renouvellement de la Convention collective de travail (CCT) de l'industrie des machines, d'«échanger» l'annualisation du temps de travail contre la semaine de 36 heures. Sans développer la moindre mobilisation à ce sujet, comme c'est le cas aujourd'hui à l'occasion de cette initiative. Dès lors, les patrons ont stout simplement pris l'annualisation... et maintenu la semaine de travail à 40 heures.

L'initiative de l'USS est la copie conforme de la proposition de la FTMH. Elle subira exactement le même sort.

Réduction des salaires, mais hausse des rythmes de travail !

L'initiative de l'USS est bourrée de pièges. Deux exemples.

• L'initiative prévoit une transition de 8 ans (!) pour passer aux 36 heures. C'est exactement ce qu'il ne faut pas faire. Un long délai laisse toute latitude aux employeurs pour réorganiser la production et intensifier le travail. Résultat ? Les salarié·e·s finissent par regretter la diminution du temps de travail. Comme aux CFF: depuis l'introduction des 39 heures, les cheminots sont confrontés à des rythmes insupportables et ont, en moyenne, 16 jours de congés en retard. De plus, la création d'emplois est quasi-nulle: la diminution du temps de travail est absorbée par l'augmentation de la productivité (production par heure et par salarié·e).

• L'initiative apporte sa caution à une baisse des salaires.Les personnes touchant un salaire supérieur à 1,5 fois le salaire moyen – environ 7600 fr. par mois – sont exclues de la garantie de salaire prévue par l'USS. Qui est concerné ? Uniquement des super-cadres ? Pas du tout !

Presqu'un cinquième des salarié·e·s serait touché. Par exemple, la moitié des hommes travaillant à plein-temps comme enseignants ou employés de banque. Sans oublier qu'avec des baisses frappant autant de personnes, c'est toute la pyramide salariale qui serait tirée vers le bas. L'USS apporte donc de l'eau au moulin de la campagne patronale pour abaisser les salaires.

Se réapproprier la maîtrise de son temps !

Aujourd'hui, avec la flexibilité, les salarié·e·s font une brutale expérience. Le sacro-saint pouvoir lié à la grande propriété privée (usines, grands magasins, banques, assurances...) ne donne pas seulement la possibilité à une infime minorité d'accaparer une part croissante de la richesse sociale et de creuser les inégalités. Elle donne à ces possédants le pouvoir d'exproprier les salarié·e·s de leur temps et de sa maîtrise. De cette manière, cette caste s'arroge également le droit de façonner les rythmes qui organisent la vie en société (les moments de travail et ceux de repos ; le temps consacré au travail et celui réservé aux loisirs et aux activités sociales, etc.). Son modèle est celui de la société américaine, où tout «fonctionne» 24h sur 24, 7 jours sur 7. C'est-à-dire, pour les salarié·e·s, où il n'existe plus un seul instant à l'abri des injonctions des grands managers et de leurs «délégués» sur le lieu de travail.

Ce pouvoir exorbitant d'une minorité très réduite n'est pas acceptable. Il faut le refuser pour demain pouvoir s'y opposer. Les salarié·e·s doivent tendre à se réapproprier la maîtrise de leur temps. C'est une exigence démocratiquefondamentale qui justifie, si cela est nécessaire, que l'on exproprie ces expropriateurs.

Ce combat commence sur des questions très quotidiennes. Quelle crédibilité accorder à une revendication comme la diminution du temps de travail si l'on constate, par exemple, que les organisations syndicales renoncent à faire respecter un droit aussi élémentaire: avoir une pause payée ?

Reconquérir des droits collectifs

Un salarié·e, seul·e, n'a guère de moyens de résister aux prétentions croissantes de son employeur, justifiées au nom de la compétitivité. En clair: au nom de la course aux profits.

Or, un des effets de l'annualisation du temps de travail est justement de diviser le collectif de travail. Chacun·e a son horaire particulier ; chacun·e devientun «cas particulier».

Cette évolution est souvent présentée comme offrant un surcroît de liberté. C'est en réalité la liberté de répéter l'expérience du pot de terre contre le pot de terre, chaque fois qu'il s'agit de discuter de ses horaires avec son employeur.

• Pour stopper cette péjoration des conditions de travail, les salarié·e·s ont besoin de reconquérir des droits collectifs réglant le temps de travail. Seuls de tels droits peuvent mettre des limites aux exigences patronales. Ils doivent garantir, par exemple: • des pauses régulières et payées ; • des horaires, quotidiens et hebdomadaires, réguliers et connus bien à l'avance ; • une nette distinction entre les 5 journées de la semaine, où l'on peut travailler, et les soirées, les nuits et les week-ends où il est interdit de travailler, sauf pour des besoins sociaux reconnus (santé, par exemple) ; • une limitation très stricte des heures supplémentaires ; • le droit de choisir sa période de vacances, en accord avec ses collègues ; • des rythmes de travail sur lesquels les salarié·e·s ont leur mot à dire et qui sont supportables sur la durée.

• C'est l'existence de tels droits qui permet d'exiger des compensations effectives, à la hauteur de la contrainte subie, pour les inévitables exceptions (le travail 24 heures sur 24 dans un hôpital, par exemple).

• C'est à l'abri de ces protections que chaque personne peut faire des choix individuels sur l'organisation de son temps. Les droits collectifs sont la condition de l'autonomie individuelle.

• C'est aussi à partir de tels droits qu'il est possible d'engager un débat démocratique sur les rythmes souhaités pour régler la vie en société. Par exemple: quels services voulons-nous voir disponibles 7 jours sur 7 ? Pour répondre à quels besoins ? A quelles conditions ?

Reconstruire un «contre-pouvoir» face aux employeurs

En matière de temps de travail, les intérêts des salarié·e·s et ceux des employeurs sont irrémédiablement opposés. Ce que gagne l'un, l'autre le perd.

Ce ne sont pas des «interpellations» parlementaires ou seulement des initiatives – les moyens d'«action» favoris de ladite «gauche» et de l'USS – qui permettront de recréer une capacité de faire valoir ses besoins et son point de vue ; et ainsi de faire reculer les employeurs.

Sur les «petites» choses, comme les rythmes insupportables, comme sur les «grandes», comme une baisse du temps de travail, la démocratie ne doit pas s'arrêter au seuil du lieu de travail.

Ce dont les salarié·e·s ont besoin, c'est d'un contre-pouvoir. Celui-ci ne peut avoir que deux sources: 1°) une défense sans concession des droits des salarié·e·s, droits que tout syndicat doit refuser de sacrifier aux prétendues exigences de la compétitivité ; 2°) la constitution autour de cet objectif de nouveaux collectifs et de nouveaux mouvements, consacrant toutes leurs énergies à développer diverses actions des femmes et des hommes pour leurs droits. Cela exige de retisser des liens de solidarité sur le lieu de travail pour faire reculer la crainte et renforcer la confiance en soi.

Un combat européen: diminuer le temps de travail

Sur de telles bases, il sera possible de relancer le combat, indispensable, pour une forte diminution du temps de travail.

En Suisse, la durée du travail est aujourd'hui une des plus élevées d'Europe. En moyenne, chaque semaine, un·e salarié·e de l'industrie travaille en Suisse 5 heuresde plus que ses collègues en Allemagne. Depuis une décennie, la durée effective du temps de travail a souvent même augmenté (heures supplémentaires).

Simultanément, la capacité de la société à produire des biens et des services n'a pas cessé de croître. Mais ce sont les actionnaires et les employeurs qui ont accaparé les fruits de cette augmentation de la productivité du travail.

Cela doit changer. Cette richesse sociale, qui est le fruit d'une coopération productive entre travailleurs manuels et travailleurs intellectuels, doit revenir au plus grand nombre et contribuer à améliorer leur qualité de vie.

C'est à cela que peut contribuer une diminution du temps de travail forte, rapide, généralisée, sans baisse de salaires et qui ne soit pas ruinée par l'annualisation du temps de travail.

Aujourd'hui, les multinationales et leurs représentants politiques coordonnent de plus en plus leur action, à l'échelle européenne au moins. Ils jouent en permanence de la possibilité de déplacer leurs activités d'un pays à un autre pour imposer leurs bons vouloirs.

Pour faire contre-poids, nous devons nous atteler à construire une mobilisation sociale d'ampleur à l'échelle européenne. L'exigence de la semaine de 32 heures, apparue dans un nombre croissant de pays, peut être une des revendications autour desquelles se constitue un tel mouvement international. Tout comme, il y a plus d'un siècle, le mouvement ouvrier s'est formé notamment dans un long combat intransigeant pour la journée de travail de 8 heures.

(février 2002)

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