Salaires

Bas les masques !

Les salaires mirobolants des super-cadres font à nouveau la «une» des médias. L'année passée, c'étaient les patrons «socialistes» de La Poste et des CFF qui étaient épinglés. Cette année c'est Mario Corti, qui a enterré Swissair, et Gilbert Duchoud, président du Conseil d'administration de la Banque cantonale vaudoise (BCV), qui font scandale.

Des esprits bien intentionnés orientent le débat vers la question de la «transparence dans la rémunération des dirigeants des grandes entreprises» (Le Temps, 3 février 2002). C'est une diversion. En réalité, le coin de voile levé sur les traitements de ces Messieurs met à jour la tromperie qui se cache derrière le discours officiel justifiant la liquidation des droits collectifs des salarié·e·s. Exemples.

• Le salaire d'embauche de Mario Corti est de 2,5 millions de francs par année, c'est-à-dire 208000 francs par mois. Les dizaines de milliers de vendeuses, d'ouvrières du textile ou du cartonnage, d'employé·e·s d'hôtel ou de restaurant qui touchent dans ce pays tout juste 3000 fr. brut par mois doivent consacrer, elles, au moins cinq années et demie de leur vie, à plus de 40 heures par semaine, pour gagner l'équivalent de la «paie» mensuelle de Corti. Si elles ne sont pas licenciées entre temps.

• Le rédacteur en chef du Temps, Eric Hoesli, qui sait encore mieux reconnaître ses nouveaux maîtres que débusquer les fautes d'orthographe, s'est fendu d'un éditorial pour défendre ces «salaires justifiés»… par les «règles du marché» (Le Temps, 3 février 2002). Il «oublie» une question: qu'est-ce qui justifie que la répartition des ressources au sein de la société soit régie par des «règles» produisant de telles injustices, et d'autres, bien pires encore ?

• Eric Hoesli, en verve comme s'il plaidait sa propre cause, explique les hauts salaires par le fait que «l'espérance de vie» des tops managers serait très courte: leur «rémunération doit en tenir compte sous forme d'une capitalisation du risque». En d'autres termes, le risque de perdre son emploi " et de retrouver rapidement un autre fauteuil doré " mériterait compensation. Sans blague.

Mais qu'en est-il alors pour les centaines de milliers de «simples» ouvriers·ères et employé·e·s pour qui l'insécurité est une donnée permanente ? Qui ont fait l'expérience des charrettes de licenciements, du chômage, voire d'arriver «en fin de droit» (sans les réserves que peut constituer un individu se mettant plus de 200 tickets par mois dans les fouilles) ? Rien. Pire: la politique officielle du patronat et des autorités, fidèlement relayée dans nombre de médias, est d'accentuer les pressions sur ces hommes et ces femmes pour qu'ils / elles acceptent des salaires encore plus bas, des conditions de travail encore plus pénibles et plus précaires. Ce serait en effet la condition pour qu'ils / elles puissent sortir " par le bas ! " de la «trappe» du chômage. C'est le sens des nouvelles coupes dans les prestations de l'assurance chômage.

• La sécurité, c'est «archaïque» ; les statuts «protégés», ce n'est pas «moderne» ; il faut être «flexible», «prendre des risques». Combien de fois n'avons-nous pas entendu ces recommandations adressées… au «bon peuple». Mais «en haut» ?

Corti «décidément très fort» a tout simplement signé un contrat lui garantissant son salaire 5 ans (!) à l'avance: 12,5 millions de francs. Une sorte de super- «plan social» inclus dans le contrat d'embauche… Quant au modeste G. Duchoud, il se contente du droit d'être avisé 12 mois avant une éventuelle rupture de contrat, sans quoi il encaissera une indemnité équivalente à une année de salaire, c'est-à-dire 800000 francs (Le Matin dimanche, 3.2.2002).

Par contre, les trois mois «au mieux » de délai de congé d'un «simple» salarié seraient déjà une «rigidité insupportable», justifiant la multiplication des statuts précaires et le développement de l'intérim. Quant aux plans sociaux, on peut en parler avec les salarié·e·s et les pré-retraité·e·s de Swissair...

Ces exemples de double morale «faites comme je dis, pas comme je fais !» aident à démasquer le discours économique et social dominant. Ils peuvent être des points d'appuis pour renforcer une bataille de longue haleine visant à relégitimer et à reconstruire des droits collectifs protégeant les intérêts des salarié·e·s.

(février 2002)

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