Pascal Couchepin a lancé l'assaut contre les rentes et l'âge de la retraite
 
 

Cessons de battre en retraite

J.-F. Marquis

Ce qui s'annonçait depuis de nombreuses semaines est en train de se concrétiser: l'offensive contre le droit à la retraite prend une ampleur nouvelle. Pascal Couchepin mène la charge pour le compte du patronat helvétique. Les salarié·e·s et leurs syndicats ont besoin d'une riposte d'ensemble et tenant la distance.

Interpréter le remue-ménage actuel à propos de l'AVS et des retraites comme un nouvel épisode du «théâtre politique», toujours un peu plus agité en année électorale, serait une grave erreur. L'enjeu est beaucoup plus important. C'est d'ailleurs ce qui explique que la bataille des retraites est engagée par les classes dirigeantes, simultanément, dans de nombreux pays d'Europe.

Le salaire social dans le collimateur

Dans les années 80 et 90, les contre-réformes néo-libérales avaient notamment un objectif important: démolir les droits protégeant les salarié·e·s à leur travail, augmenter massivement leur précarité, diviser les collectifs de travailleuses et de travailleurs pour les empêcher de répondre ensemble à ces attaques.

Dans ce but, les coups ont fusé de toutes parts: généralisation de la flexibilité horaire, chômage massif et multiplication des statuts précaires, dégradation des prestations assurées aux personnes sans emploi pour les contraindre à retourner vite sur le marché du travail, destruction des mécanismes protégeant le pouvoir d'achat (adaptation automatique des salaires au renchérissement, par exemple), individualisation des salaires (salaire au mérite, primes, etc.), pressions pour marginaliser les syndicats et vider les protections collectives (normes légales ou conventionnelles) de leur contenu, etc.

Cette offensive antisociale a marqué de nombreux points, en Suisse en particulier.

Ce qui se met en place aujourd'hui, c'est une attaque de même ampleur contre un autre pilier fondamental des droits des salarié·e·s: le salaire social, en particulier le salaire social différé que constituent les retraites.

Couchepin aux commandes

C'est pour mener cette attaque que Pascal Couchepin a pris, avec la bénédiction de l'Union patronale suisse (UPS), la tête du Département fédéral intérieur, et donc des assurances sociales.

Aujourd'hui, les salarié·e·s sont confrontés à une multitude de propositions: 11e révision de l'AVS, projets pour la 12e révision de l'AVS, révision de la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP), mesures d'urgence pour améliorer la situation financière des caisses de pension, mesures d'urgences touchant les rentes AVS (suspension de l'indice mixte) prises dans le cadre d'un nouveau programme d'austérité concocté par Kaspar Villiger, projets du Conseil fédéral d'abaisser, une nouvelle fois, le taux d'intérêt minimum du 2e pilier, etc.

Cette avalanche est faite pour donner le tournis et pour créer un sentiment d'impuissance et de fatalité. Il ne faut pas s'y laisser prendre et revenir aux enjeux essentiels.

Reporter sans fin l'âge de la retraite

La 10e révision de l'AVS a inauguré le mouvement au milieu des années 90 sous l'égide de Ruth Dreifuss, en élevant l'âge de la retraite des femmes à 64 ans. La 11e révision veut le porter à 65 ans. Pascal Couchepin a proclamé un horizon pour la 12e révision: 67 ans pour femmes et hommes en 2025. Les lobbies patronaux multiplient les études pour justifier le fait de tout simplement gommer un âge de la retraite servant de référence pour toutes et tous.

La question de l'âge de la retraite ne peut pas être séparée de celle concernant la manière dont le travail a évolué ces dernières années. Les réflexions du sociologue français Xavier Gaullier sont éclairantes: «Sitôt atteint l'âge de 50 ans, de nombreux salariés ont envie de partir. Ce ne sont pas les nouvelles technologies qui les démotivent, mais la dégradation des conditions de travail. Le stress va croissant avec l'autonomisation des tâches, la pression à la performance, la peur du chômage... Tout cela engendre une souffrance croissante au travail» (Le Monde, 13 mai 2003).

Durant les années 90, les retraites anticipées se sont multipliées. Une raison essentielle: elles sont devenues un instrument normal de gestion patronale de la force de travail. Elever l'âge de la retraite ne va pas mettre fin à ces pratiques. Cela va par contre accroître la précarité des salarié·e·s plus âgé·e·s et augmenter leur angoisse face à l'avenir, s'ajoutant à la pénibilité croissante du travail. De plus, cela aura pour effet qu'un nombre croissant de personnes partiront en retraite avec des rentes réduites, puisqu'elles n'auront pas pu cotiser durant toutes les années prévues, faute d'avoir du travail.

Actuellement, les retraites anticipées sont prises en priorité par ceux qui disposent de revenus élevés et / ou d'une caisse de pension très solide. Une année avant l'âge officiel de la retraite, 54 % des personnes ayant un revenu annuel brut de plus de 104000 fr. sont en retraite anticipée, contre 22 % de celles ayant un revenu compris entre 25601 et 63900 fr. et 10 % de celles dont le revenu est inférieur à 25600 fr (Rapport de synthèse du Programme de recherche sur l'avenir à long terme de la prévoyance vieillesse, 2003, p. 10). L'élévation de l'âge de la retraite ne pourra qu'accroître ces inégalités sociales, d'autant plus choquantes qu'il est établi que, compte tenu de la pénibilité du travail des conditions de vie en général, l'espérance de vie en bonne santé est d'autant plus réduite que le revenu est bas.

Des rentes fragilisées

La 11e révision de l'AVS prévoit que les rentes ne seront adaptées à l'indice mixte (qui correspond à la moyenne de l'indice des prix à la consommation et de l'indice des salaires) que tous les trois ans, au lieu de tous les deux ans aujourd'hui. Il en découlera une lente érosion du pouvoir d'achat des rentes AVS.

Pascal Couchepin et Kaspar Villiger veulent accélérer ce mouvement. Couchepin propose de supprimer l'indice mixte à l'occasion de la 12e révision de l'AVS. Et Villiger veut, afin de faire des économies, suspendre l'indice mixte, sans doute... jusqu'à la 12e révision. Le pouvoir d'achat des rentes AVS entamerait alors une vraie plongée.

Or, en même temps, ce sont les rentes servies par le 2e pilier qui sont menacées par la baisse du taux de conversion de 7,2 % à 6,8 % (le taux de conversion établit qu'un avoir vieillesse de 100000 fr. donne droit à une rente annuelle de 7200 fr. actuellement) et l'écroulement du taux d'intérêt minimum, que le Conseil fédéral voudra probablement, en septembre, abaisser à 2 % (il était le double une année auparavant).

Evidemment, l'attaque contre l'âge de la retraite et celle contre les rentes ont des effets combinés. Plus le niveau des rentes est incertain et insuffisant, plus la pression sera grande pour continuer à travailler à un grand âge, y compris dans des conditions de grande précarité. C'est à une telle évolution à laquelle on assiste déjà aujourd'hui aux Etats-Unis.

Une riposte à la hauteur des enjeux

C'est donc un véritable démantèlement du droit à la retraite qui se met ainsi en place. Si elle veut avoir la moindre chance de succès, la réaction doit être à la hauteur de cet enjeu. Cela exige de combiner des ripostes à court terme et des propositions d'ensemble pour un autre système de retraite, garantissant à toutes et à tous le droit de prendre sa retraite à un âgé fixé, suffisamment précoce (62 ans par exemple), et avec des rentes suffisantes.

- La 11e révision de l'AVS est totalement inacceptable. Il faut annoncer dès maintenant un référendum. Ce combat peut rencontrer un très large écho.

- Il en va de même de la suspension de l'indice mixte voulue par Villiger. L'accepter ouvrirait la voie à Couchepin qui veut tout simplement le supprimer. Il ne doit pas y avoir de pseudo-négociations à ce sujet. Là également le référendum s'impose.

- Il faut donner une nouvelle dimension aux protestations contre ce démantèlement des retraites, comme contre l'assainissement des caisses de pension sur le dos des assurés, et au profit des compagnies d'assurances (leurs cours sont montés en Bourse à l'annonce d'une probable baisse du taux d'intérêt minimum, Finanz und Wirtschaft, 24 mai 2003). Une mobilisation massive des salarié·e·s doit être organisée pour cet automne, combinant manifestation de masse à Berne et arrêts de travail. La question des retraites est le sujet sur lequel une eurogrève pourrait être possible.

- Le débat au sein du mouvement syndical sur le système de retraite à opposer aux plans des classes dirigeantes doit prendre une nouvelle dimension: il doit s'accélérer et devenir public, pour permettre à l'ensemble syndiqués, et plus largement des salarié·e·s, d'y réfléchir, et d'y intervenir. Doit être posée la nécessité de sortir des trois piliers et de fonder la couverture des retraites sur une assurance s'inspirant de l'AVS, mais avec des rentes massivement augmentées.

(12 juin 2003)