La révision de la loi fédérale sur l'assurance chômage est sur le point d'aboutir
Coupables de chômage
Le Parlement est en train de mettre la dernière main au projet de nouvelle révision de l'assurance chômage. Les Chambres pourraient adopter le texte définitif en mars prochain. Après le débat au Conseil national, qui a adopté une version «moins dure» que celle du Conseil des Etats, le conseiller national socialiste Jean-Claude Rennwald, vice-président de l'Union syndicale suisse (USS), qualifiait le texte approuvé comme étant «à l'extrême limite de l'acceptable»1. Vraiment?
Dario Lopreno*
* Dario Lopreno est enseignant et membre du Syndicat des services publics (SSP) à Genève.
Abréviations utilisées
AA assurance accident
AC assurance chômage
AI assurance invalidité
LACI Loi sur l'assurance chômage et l'indemnité en cas d'insolvabilité
OMC Organisation mondiale du commerce
ORP Offices régionaux de placement
MMT Mesures du marché du travail
Seco Secrétariat fédéral à l'économie (fait partie du Département fédéral de l'économie)
UE Union européenne
Chômeurs (moyenne annuelle) et dettes de l'assurance chômage
Année: Chômeurs: Dettes
(mrds de fr.)
1990 18133 -
1992 92308 -
1994 171038 6.4
1996 168630 6.2
1998 139660 8.8
2000 71987 5.7
2002 65000 0.9
(prévisions)
Sources: Message fédéral concernant la révision de la loi sur l'assurance chômage et statistiques du Seco
«Coupable de quoi? Coupable de chômage!» Nous pouvons en effet, sans caricaturer, résumer par ces mots le contenu de la nouvelle loi sur l'assurance chômage (LACI) 2 qui est en train de sortir du four du Parlement et du Conseil fédéral3. Les jeux sont entièrement faits; il n'y a plus que des détails administratifs à régler.
La déferlante de la contre-réforme
Cette révision intervient après une longue décennie d'atteintes sans précédent aux conditions de travail et de salaire des employés, des ouvriers et des petits indépendants de Suisse4. Cela accentue encore sa gravité. Pour mémoire, rappelons quelques temps forts:
#8226; le durcissement de la loi sur le chômage de 1995 et de la loi sur le travail de 1998;
#8226; les augmentations répétées des primes d'assurance maladie;
#8226; la liquidation du statut de fonctionnaire fédéral, remplacé par la loi sur le personnel fédéral de 2000;
#8226; l'introduction systématique de l'annualisation du temps de travail dans les conventions collectives de travail tout au long des années 90 et l'élimination des mécanismes de négociation collective nationale ou régionale des salaires;
#8226; le recul global des salaires des travailleurs·euses au cours des années 90 et son corollaire, une considérable surévaluation des salaires des hauts cadres;
#8226; les diverses baisses d'impôt accordées aux patrons, aux actionnaires et aux acteurs des transactions financières;
#8226; le remplacement progressif de l'impôt fédéral direct (relatif au revenu) au profit de la TVA, impôt indirect touchant proportionnellement davantage les bas que les hauts revenus;
#8226; les limitations des dépenses sociales dérivant des mesures d'économies, notamment de la «Table ronde» tenue avec la bénédiction du Parti socialiste et des syndicats en 1998 et du «frein à l'endettement» de 2001;
#8226; le racket des caisses fédérales pour couvrir les artisans de la faillite de Swissair et les milliers de personnes qui ont ainsi perdu leur emploi;
#8226; les pressions répétées sur les prestations d'assistance sociale dans nombre de cantons;
#8226; la réduction du statut des requérants d'asile à une situation condamnant à la misère économique et sociale.
Les points forts de la nouvelle révision
Nous ne reviendrons pas ici sur les statistiques du chômage. Elles sont disponibles sur le site du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco). Dans le numéro 3 de à l'encontre, l'évolution du chômage en Suisse a déjà été abordée5.
A l'heure actuelle, l'assurance chômage assure tout revenu mensuel entre 500 fr. minimum et 8900 fr. maximum, sur la base du «gain assuré» 6. Elle verse des indemnités correspondant à 70% du revenu assuré. Les chômeurs et chômeuses ayant au moins un enfant à charge ou étant au bénéfice d'une rente invalidité, accident ou de l'assurance militaire touchent, eux, des indemnités se montant à 80% du gain assuré. Outre les angoisses, les vexations et les embûches administratives, tout commence pour une personne au chômage par un délai d'attente de cinq jours non payés, avant que l'assurance chômage ne commence à verser les indemnités.
Le projet de révision dont débat le Parlement, et qui devrait entrer en vigueur à fin 2003, prévoit notamment7:
#8226; la réduction des cotisations de l'assurance chômage (AC) de 3% à 2% du salaire pour les revenus inférieurs à 106800 fr. et de 2% à 1% du salaire pour les revenus situés entre 106800 et 267000 fr.;
#8226; l'augmentation de 6 à 12 mois de la période minimale de cotisation ouvrant les droits aux indemnités;
#8226; la diminution de la durée maximale d'indemnisation, de 520 jours (2 ans en jours ouvrables) à 400 jours (1 an et demi en jours ouvrables), sauf pour les travailleurs âgés de plus de 55 ans, les allocataires de rentes invalidité (AI) et de l'assurance accidents (AA), s'ils ont cotisé au moins 18 mois;
#8226; l'augmentation de la participation fixe de la Confédération et des cantons aux frais des Offices régionaux de placement (ORP) et des Mesures de marché du travail (MMT), respectivement de 246 à 300 millions de fr. et de 75 à 100 millions de fr. Mais, en contrepartie, la couverture des besoins excédentaires ne se fera plus que moyennant des prêts hors budget de la Confédération, portant intérêts aux conditions usuelles du marché;
#8226; la possibilité pour le Conseil fédéral, en cas de situation très grave en matière d'emploi, de prendre des mesures d'exception.
Il y a dans ce projet de révision également deux très petits «sucres»:
#8226; la prise en charge par l'AC d'un tiers des primes de l'assurance accidents non professionnels obligatoire (actuellement tout est à charge du chômeur);
#8226; le versement de 40 indemnités journalières supplémentaires (soit 8 semaines en jours ouvrables) aux femmes ayant accouché, pouvant s'ajouter aux 44 jours d'indemnités maladie ou accident avant l'accouchement. Cette mesure a évidemment été refusée par l'UDC et par l'Union patronale suisse.
Accroître la pression
Les objectifs déclarés de ces mesures sont, entre autres, d'accroître la «transparence et cohérence» de la loi, ainsi que son «efficacité» et de «maintenir le niveau des prestations» 8. En outre, il s'agit de «tenir compte des accords bilatéraux» avec l'Union européenne (UE) 9 qui, pourtant, au moment de la campagne de votation, avaient été présentés par les mêmes autorités fédérales comme ne pouvant pas porter atteinte auxdits «acquis sociaux».
Les objectifs non déclarés de ces mesures sont d'isoler les chômeurs en leur faisant porter le plus possible le poids (coût) de leur propre chômage, et en remettant en cause le droit intangible aux indemnités et les mécanismes de solidarité propres à de véritables assurances sociales. Les décisions sont au moins claires et «cohérentes», comme l'affirme le Seco. Il s'agit d'accroître au maximum la pression sur les chômeurs, afin qu'ils deviennent l'objet le plus maléable de la contrainte à la vente de la force de travail. Ce qui les obligera à accepter la flexibilité des salaires et des conditions de travail. En français, cela signifie: accepter, en cas de chutedans le chômage, un travail moins bien rémunéré, avec de moins bonnes conditions de travail, des tâches moins qualifiées voire moins responsabilisées; le tout sans rechigner.
Ainsi, la spirale des salaires vers le bas va, d'une manière générale, s'accélérer. Car il ne faut pas oublier que pour un chômeur officiellement recensé deux à quatre personnes passent réellement au chômage sur une période de deux ans. Cela signifie que les pressions sur les chômeurs s'exercent en réalité sur un nombre total de personnes bien plus grand que les chiffres mensuels du chômage ne le laissent penser.
Dans le cadre de la redistribution des richesses en faveur des privilégiés – c'est un des sens de la contre-réforme néolibérale –, cette pression sur les salaires est jugée indispensable par les employeurs et actionnaires de Suisse; cela particulièrement à la veille de l'intégration européenne (qu'elle prenne la forme d'une intégration par les bilatérales ou de l'entrée politique dans l'UE) et des nouvelles négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). C'est ce que les «livres blancs» du patronat de 1991 et de 1995 nommaient l'insertion de la Suisse dans «la concurrence internationale»et le «courage de se mettre sur la ligne de départ» 10.
Le Parti socialiste et l'USS ont négocié autour du tapis vert (ou peut-être d'une autre couleur) du Conseil fédéral, des commissions parlementaires et du Parlement ce détestable train de mesures. Officiellement, ils ont refusé sur le principe toute dégradation. Pratiquement, ils ont demandé tel et tel aménagement au cas où tel ou tel durcissement obtenait la majorité des Chambres. Une pratique dont ils sont coutumiers et qui aboutit chaque fois à repousser toujours plus loin «l'extrême limite de l'acceptable», c'est-à-dire de la compromission11. Et, évidemment, pas la moindre tentative sérieuse de la part de l'USS ou du PSS de mobiliser les salarié·e·s du pays sur cette question…
Dans les tiroirs de la droite..
Le Conseil fédéral, les commissions d'experts et les parlementaires ont envisagé un certain nombre de pistes, encore plus dures que celles adoptées, qu'ils ont fini par écarter. Pourquoi donc en parler ici? Parce que, de manière générale, lorsque les lois sociales sont révisées (à la baisse), les propositions les plus dures écartées constituent très fréquemment le point de départ… de la révision suivante. C'est ce que nous ont appris les révisions des législations sur le travail, sur l'assurance maladie, sur l'asile, sur la formation, etc. Dans ce sens, il est tout aussi important de comprendre ce qui a été discuté sans être nécessairement adopté… cette fois-ci. Quelques exemples
1° Privatisation partielle de l'assurance chômage. Cela signifie la mise en place d'une assurance complémentaire facultative privée. Mais cela conduirait d'une part «à des primes tellement chères que seules les personnes peu menacées de chômage[lire: seuls les revenus les plus élevés] pourraient se les offrir». Il en découlerait de plus des risques collectifs trop importants pour les assurances privées, qui ne sont donc pas intéressées.
Ce raisonnement montre qu'il suffirait de créer des conditions cadre adéquates pour que le chômage devienne une opportunité de profits pour les assureurs. Quelles devraient être ces conditions cadre? Une aide de base publique aux personnes sans emploi combinée à des règles encore beaucoup plus strictes pour contraindre le chômeur à se «réinsérer» à vil prix? Peut-être.
2° Introduction d'une assurance chômage pour les indépendants. Les risques, dès lors que les indépendants seraient regroupés dans une assurance particulière, seraient toutefois trop élevés, selon le Conseil fédéral.
Dans un système économique qui a généralisé la sous-traitance, il est parfaitement hypocrite de considérer les «indépendants» comme s'il s'agissait uniquement de patrons fortunés. Une grande partie des indépendants ne sont, aujourd'hui, que des salariés de grandes entreprises qui ont externalisé tous les coûts. Le jour où ces «indépendants» perdent un ou quelques clients, le chômage les guette, comme tout travailleur. Mais sans aucune indemnité chômage.
3° Suppression des indemnités en cas de chômage partiel ou en cas de chômage dû aux intempéries. Comme en 1995, cette idée a finalement été abandonnée devant le risque que les employeurs ne touchant plus ces prestations licencient plus rapidement, accroissant ainsi les coûts de l'assurance chômage.
Mais ce que ne disent pas les documents fédéraux, c'est que déjà en 1995 le débat sur… la privatisation de ce secteur de l'assurance chômage avait eu lieu. Remettre cette question sur le tapis signifie donc remettre en évidence les «coûts exorbitants» de ce segment de l'assurance chômage… Donc de maintenir la pression pour une éventuelle suppression pure et simple d'une partie de ces indemnités.
4° Modulation des cotisations en fonction des risques de chômage. «Une partie des employeurs et des travailleurs,explique le Conseil fédéral, sont plus prompts à résilier les rapports de travail qu'ils ne le feraient s'ils devaient supporter eux-mêmes les coûts de ce geste[…]. Ils se font ainsi en quelque sorte subventionner par la bande par ceux qui optent pour des situations d'emploi plus stables.»Mais une telle modulation serait inconstitutionnelle et engendrerait des coûts supplémentaires dans l'encaissement des cotisations.
Sur cette question, le Seco devient cependant très concret. Il annonce qu'il va mettre en place un système de contrôle des chômeurs (un petit Big Brother du Seco) pour mieux saisir les «risques de chômage»et, évidemment, pour mieux individualiser les porteurs de ces risques, afin de rendre à terme techniquement possible un tel système de modulation (individualisation) des cotisations.
5° Abaissement du taux d'indemnisation chômage. La crainte d'un référendum victorieux – «comme le peuple a déjà refusé en 1997 une diminution»,dit le Message du Conseil fédéral – a bloqué une telle proposition. L'autorité fédérale ne veut en aucun cas donner la possibilité aux salariés de remporter la moindre bataille sur le terrain du démantèlement social. Cela risquerait de leur redonner confiance… Mieux vaut retarder ou ralentir certaines remises en question, plutôt que d'accorder une victoire aux salariés, même partielle.
6° Prise en compte du revenu familial. Il s'agirait de tenir compte du revenu du partenaire pour définir le droit effectif aux indemnités chômage. Mais cette modification n'aurait de sens que s'il était possible de prendre en compte toutes les formes de cohabitation partenariale. Est-ce une des considérations expliquant pourquoi bien des secteurs de la droite sont aujourd'hui favorables aux divers pactes régularisant les cohabitations entre concubins, voire entre concubins homosexuels? La question – qui ne signifie pas que nous serions opposés à de telles reconnaissances légales – n'est pas dénuée d'intérêt.
7° Transformation des indemnités journalières en indemnités dégressives en fonction du temps passé au chômage. Cela entraînerait d'importants coûts supplémentaires de suivi et une trop grande complexité dans l'imbrication des prestations d'assistance et des indemnités de chômage, estiment les autorités. Relevons ici que le Message du Conseil fédéral précise que la pression exercée actuellement sur les chômeurs par le «vaste système de placement, de réinsertion et de contrôle et un sévère dispositif de sanctions»est suffisante…
Quant aux «réserves» dont jouissent les chômeurs, laissons la parole au Seco lui-même: «un peu moins de la moitié des chômeurs en fin de droit[…] bénéficiaient de l'aide de leur partenaire, plus d'un tiers vivaient de leurs économies et presque un quart avaient recours aux services sociaux,[…] 18% (à) l'apport de parents, amis ou connaissance» 12, etc. On peut ainsi apprécier quel effet aurait la dégressivité des indemnités.
8° Prolongation du délai d'attente avant le versement des indemnités. Mais, constate le Conseil fédéral, cette modification serait en contradiction avec la Convention n° 168 de l'OIT (la Suisse «pourrait [cependant] dénoncer»la convention); par ailleurs «un grand nombre de chômeurs n'ont que de faibles réserves financières, quand ils en ont».
Y a-t-il, sur ce point, un appel du pied aux parlementaires UDC, radicaux, démo-chrétiens et libéraux, pour qu'ils posent au Parlement la question de la dénonciation de la Convention de l'OIT?
9° Définition plus restrictive du travail convenable13. Le Conseil fédéral et les experts considèrent cependant que les critères définissant le travail «convenable»sont actuellement non seulement «bons»,mais «plutôt sévères en comparaison internationale».
Toutefois, pour éviter que certaines autorités locales de placement n'appliquent la législation trop peu sévèrement, l'autorité fédérale propose que l'assurance chômage fasse plus souvent recours auprès du Tribunal fédéral contre les décisions cantonales qui manqueraient de sévérité. Ainsi, la pratique pourrait, à elle seule, durcir la législation.
10° Prolongation de la période minimale de cotisations ouvrant un droit aux indemnités, à 24 mois pour les requérants d'asile. Sans commentaires…
Les jeunes dans le collimateur
Un fait met en relief l'inexistence en Suisse d'une véritable politique sociale. Toute la révision de la LACI est fondée sur un seul critère: la question des coûts. On ne part pas de la définition d'objectifs majeurs de politique sociale, pour lesquels il faudrait ensuite se donner les moyens financiers. On regarde simplement si telle décision est chère ou non. C'est, en fait, le même processus qui a présidé aux dernières révisions de la loi sur l'asile. Ce qui fait dire au Conseil fédéral que l'un des objectifs prioritaires de la révision est d'instaurer «un mode de financement[de l'assurance chômage] insensible aux fluctuations conjoncturelles». C'est-à-dire de ramener le coût de la politique sociale au niveau le plus bas possible. En attendant, afin de rendre crédibles les prochaines réductions d'impôts fédéraux en faveur des hauts revenus et des fortunes, il s'agit de rembourser au pas de charge la dette de l'assurance chômage (voir encadré p. 32).
A plusieurs reprises le Message fédéral mentionne que ces restrictions auront de toute façon un impact sur les caisses de l'assistance publique. Mais il ne rappelle pas que l'assistance est une dette (théoriquement) remboursable, tandis que les indemnités de chômage sont encore un droit versé par une assurance sociale.
En deuxième lieu, les autorités fédérales fondent ces nouvelles restrictions avec l'argument que ce sont les jeunes qui doivent accepter de revoir à la baisse leurs exigences, car ce sont les travailleurs et les «demandeurs d'emploi» des décennies à venir. On peut lire, dans le Message, qu'«une prolongation de la période minimale de cotisation touche surtout les personnes jeunes qui, en règle générale, retrouvent plus facilement un emploi».De même, «un raccourcissement de la durée d'indemnisation accroît la pression sur les demandeurs d'emploi, les poussant à intensifier leurs recherches d'emploi et à faire preuve de plus de flexibilité en matière de salaire comme aussi de mobilité géographique et professionnelle».La mesure est donc explicitement ciblée. A tel point que le Message fédéral explique également que la diminution du montant des cotisations (de 3% à 2%) ainsi que les réductions de prestations chômage ne représentent qu'un petit déplacement de revenu des chômeurs vers les personnes en emploi.
A ce sujet, le Conseil fédéral, sur la base d'une étude du Seco, indique que les principales victimes de cette révision de la LACI seront parmi la population active non seulement les jeunes (surtout entre 20 et 39 ans!), mais aussi les femmes plutôt que les hommes, les Romands plutôt que les Alémaniques, les étrangers extra-européens plutôt que les autres étrangers. En gros, ces mesures sont conçues pour accentuer les inégalités existantes.
En troisième lieu, le Message fédéral nous explique que, jusqu'à aujourd'hui, les saisonniers et les personnes avec des permis de séjour de courte durée ne coûtaient rien en matière de chômage. Il oublie de préciser qu'il en est ainsi parce qu'ils sont renvoyés. D'ici à la pleine entrée en vigueur des bilatérales, cette «économie» va d'ailleurs se poursuivre, et ces coûts continueront à être «supportés par les immigrants ou en partie par leur pays de provenance»…
Enfin, tout l'édifice de cette révision repose sur le pronostic que, dès le second semestre de 2002 et, surtout, dès 2003, une reprise économique va se dessiner et que le chômage restera en moyenne limité à 100000 personnes. C'est ce que le Message fédéral nomme le «chômage naturel»(sic!) ou «incompressible». On retrouve ici, dans la terminologie néolibérale, le vieux volant de chômage permanent servant à faire pression sur les salaires. Ce sont là des perspectives économiques que bien des analystes, à commencer par la grande presse économique britannique et nord-américaine, ne partagent pas du tout.
L'intention serait-elle alors d'appliquer la révision afin d'avancer dans le programme d'économie des dépenses fédérales, au profit des hauts revenus? Ou de faire entrer en vigueur la révision… avant que la prochaine flambée du chômage n'arrive, afin que les mécanismes pervers mis en place puissent alors jouer à fond?
Dans tous les cas, le mouvement syndical et les forces qui se disent de gauche ont encore quelques semaines pour se déterminer et décider s'ils considèrent que cette révision représente «l'extrême limite de l'acceptable»… ou un paquet inacceptable qu'ils ont la responsabilité de combattre.
1. L'événement syndical,19 décembre 2001.
2. Voir l'encadré «Abréviations utilisées».
3. Sauf précision contraire, les citations proviennent du Message du Conseil fédéral concernant la révision de la loi sur le chômage du 28 février 2001 (réf. 01.019).
4. Cf. J.-F. Marquis, «Procès-verbal d'une victoire et de quelques conséquences» et «Salaires: le coup de force patronal», in a l'encontren° 3, décembre 2001 (voir notre site).
5. L'article en question est disponible sur le site www.alencontre.org (n° 3, décembre 2001, «Les traces des années 90»). Le site du Seco est: http://www.seco-admin.ch
6. Le «gain assuré» est calculé à partir de la moyenne des 6 à 12 derniers mois de salaire, suivant le cas.
7. Outre le Message du Conseil fédéral, voir également Seco, Révision LACI 2003. Deux changements essentiels: nouveau régime de financement et modification des indemnités, Berne, mars 2001.
8. Seco, Révision LACI 2003. Objectifs, Berne, 12 mars 2001.
9. Ibidem.
10. Cf. Fritz Leutwiller et alii, Schweizerische Wirtschaftspolitik im internationalen Wettbewerb, Orell Füssli, Zurich, 1991 et David de Pury et alii, Mut zum Aufbruch. Eine wirtschaftspolitische Agenda für die Schweiz, Orell Füssli, Zurich, 1995.
11. A ce sujet, il est intéressant de lire l'interview de Serge Gaillard, parue dans le Service de presse de l'USSdu 17 décembre 2001, ainsi que la partie 1.3.3. du Message fédéral (Procédure de consultation).
12. Daniel Aeppli. La situation des arrivées en fin de droit en Suisse. Troisième étude, Seco, Berne, 2000.
13. Légalement, le travail proposé (imposé?) au chômeur est «convenable» s'il est «conforme» aux usages professionnels locaux, s'il tient compte «des aptitudes ou de l'activité» précédente du chômeur, s'il convient à l'âge ou à l'état de santé, s'il ne compromet pas «notablement» le retour dans la profession «dans un délai raisonnable», s'il ne «nécessite [pas] plus de 4 heures (aller et retour) de déplacement» ou, dans le cas contraire offre une possibilité de logement approprié, s'il procure «une rémunération inférieure à 70%» du revenu moyen de l'année précédant le chômage, bien qu'un travail avec un salaire en dessous de 70% de l'ancien revenu puisse être «convenable» dans toute une série de cas «exceptionnels» (Cf. Doris Gorgé, Guide des droits et devoirs des chômeurs, IES, Genève, mise à jour de décembre 1999).