N°6 - 2002

Quand trois quarts des gens ne voient plus la différence entre la gauche et la droite...

Nous nous sommes entretenus avec François Sabado, membre du Bureau politique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), sur le contexte politique de l'élection présidentielle d'avril/ mai 2002. Dans ce cadre, il présente aussi la campagne d'Olivier Besancenot, le candidat de la LCR à cette élection présidentielle.

Quel est le contexte de la campagne pour la présidentielle 2002 ?

François Sabado - Un sondage réalisé récemment indique que 74% des personnes interrogées ne voient pas la différence entre la droite et la gauche. Ce constat renvoie au bilan de cinq années de gouvernement de la gauche plurielle, associant aux socialistes les Verts et le Parti communiste français: il n'y a pas de différence fondamentale avec la politique conduite par les gouvernements précédents de droite. C'est justement parce que ces différences en termes de projets sont si faibles que l'attention est concentrée sur l'image, les petites phrases, les attaques personnelles. Dans ce contexte, le rapport des gens à la campagne est assez distancié; on prévoit un fort taux d'abstention et la campagne peine à déboucher sur un débat politique.

Comment ce climat s'articule-t-il avec les luttes sociales, nombreuses et fortes, qui ont eu lieu au cours de la dernière période en France?

Il existe effectivement une réalité de luttes et de résistances en France. D'un côté, cela souligne une certaine désynchronisation entre le social et le politique: les grèves, les mouvements sociaux, qui traduisent une résistance à l'offensive libérale, ne s'expriment pas politiquement dans toute leur ampleur. Cependant, d'un autre côté, la montée du score de l'extrême gauche - et en particulier d'Arlette Laguiller, la candidate de Lutte ouvrière (LO) - constitue une traduction partielle de cette effervescence sociale.

Le phénomène Arlette Laguiller - 9-10% d'intention de vote au 1ertour selon les sondages réalisés à la mi-mars - résulte en fait de la conjonction de trois éléments. Premièrement, la résistance sociale qui existe dans la société française, qui est une des dimensions de l'«exception française» dont les bourgeoisies européennes et française voudraient venir à bout. Deuxièmement, l'affaissement continuel du Parti communiste. Troisièmement la continuité électorale de LO et d'Arlette Laguiller, présents à chaque rendez-vous électoral depuis mai 1974 [en 1974, elle réunit 2,33% des suffrages exprimés; en 1981, 2,30%; en 1988, 1,99%; en 1995, 5,3%].

Cela dit, il faut garder à l'esprit une vue d'ensemble de la situation. Le rouleau compresseur libéral européen continue d'avancer. Ce qui vient de se passer, ce mois de mars, au sommet européen de Barcelone en est une nouvelle illustration. Le sommet de Lisbonne de l'Union européenne (UE), en mars 2000, avait marqué une première étape dans la mise en place de politiques coordonnées de flexibilisation du marché du travail. A Barcelone, une seconde étape a été franchie. A cela s'ajoutent la poursuite et l'approfondissement de la politique de libéralisation du marché de l'énergie. En France, cela va se traduire par des pressions accrues pour l'ouverture du capital et la privatisation, partielle dans un premier temps, d'Electricté et de Gaz de France (EDF et GDF). De plus, le Parlement européen a donné son feu vert à un renforcement de la concurrence dans le secteur de la Poste. Enfin, à Barcelone, les autorités européennes ont présenté leur texte général - ce n'est pas encore une directive - proposant une élévation de 5 ans de l'âge de la retraite dans tous les pays de l'UE.

Pour faire court, d'un côté, se déploie une offensive libérale très forte, qui marque des points, qui aligne tous les appareils politiques, de droite comme de gauche, et qui pèse fort sur les orientations des appareils d'organisations syndicales comme la CGT. Quant à la CFDT de Nicole Notat, elle est déjà à la pointe de la «modernisation» social-libérale. De l'autre côté existent des résistances sociales fortes; celles-ci sont cependant fragmentées, partielles, et elles n'ont pour l'instant qu'une traduction politique limitée, entre autres sous la forme de l'intention de vote pour Arlette Laguiller.

Arlette Laguiller à 10%; le Parti communiste à 5%: c'est un changement significatif dans le paysage de la gauche française...

Si les résultats des sondages se confirment dans les urnes, cela représentera effectivement un séisme pour la vie politique en France et pour la gauche. Avec des conséquences en cascade. La mécanique de la gauche plurielle, mise à mal par l'entrée en campagne de Jean-Pierre Chevènement [ministre du gouvernement Jospin de 1997 à 2000] et par sa dérive à droite, est ainsi complètement déréglée. Le PCF est désormais trop faible pour occuper une véritable place dans une coalition politique. Quant aux Verts, ils ne décollent pas et apparaissent comme un appendice du PS.

Simultanément, un effondrement électoral du PCF va accélérer sa crise politique. Implosion, scission, décomposition: tous les scénarios sont envisageables. Avec, jusqu'à maintenant, rien de positif qui ne sorte de ce parti en crise.

Dès lors, une question est posée: dans quelle mesure les 10% de suffrages que pourrait réunir Arlette Laguiller - 11 ou 12% avec les voix qui se porteraient sur Olivier Besancenot - vont-ils se traduire politiquement? Au-delà du score électoral, c'est le problème d'une nouvelle force politique, de gauche radicale, qui est devant nous.

Lutte ouvrière est régulièrement interpellé sur ce thème: allez-vous constituer un parti commun avec la LCR? LO explique que la réponse politique aux votes qui se portent sur Arlette Laguiller ne peut pas se résumer à une addition LCR-LO. Ce qui est juste. Mais le point négatif de cette approche est que LO poursuit en disant que les gens intéressés n'ont qu'à adhérer... à LO, qui reste par ailleurs une organisation très fermée.

Ces recompositions politiques entrent-elles en écho avec des réalignements au sein du mouvement syndical?

Ce sont là deux mouvements parallèles qui ne sont pas synchronisés pour l'instant. Dans le mouvement syndical, une polarisation est aussi à l'úuvre. D'un côté, SUD se consolide à la Poste, à France Télécom, à la SNCF et a fait une percée à EDF (Electricité de France). Cela reflète la montée de jeunes secteurs radicaux, déterminés à défendre l'emploi et les services publics. De l'autre, il y a une stabilisation, voire une progression, de secteurs syndicaux sociaux-libéraux, en particulier de la CFDT, fortement verrouillée par la direction de Nicole Notat.

Dans ce contexte, la question clé est celle de l'avenir de la CGT. La Confédération est elle-même travaillée par deux options qui, pour l'instant, ne s'expriment pas encore de manière ouverte. Le courant majoritaire, autour de la direction de Bernard Thibault, tend à s'intégrer progressivement dans le cadre social-libéral européen, sous la pression notamment de la Confédération européenne des syndicats (CES), cette dernière étant «organiquement» liée aux institutions de l'Union européenne. Face à cette dérive, la réaction a pour le moment plutôt un caractère nostalgique, celui de gens combatifs mais attachés au passé. Il en va de même au sein du PCF pour ce qui a trait aux opposants à l'appui apporté par la direction Hue-Buffet au gouvernement Jospin. Il n'existe pas encore de vrai courant au sein de la CGT qui se prononce pour une option à la fois unitaire, démocratique et radicale. On est toujours enfermé dans une fausse polarisation, avec soit des courants unitaires mais plutôt droitiers, soit des courants radicaux mais franchement nostalgiques.

Dans ce contexte, quelles sont les lignes de force de l'intervention de la LCR et de sa campagne électorale?

Sur le plan social, chaque fois que cela est possible, nous faisons tout pour aider au développement maximum de luttes et de mobilisations partielles. Cela a notamment été le cas, l'année passée, sur la question de l'emploi et des licenciements, avec la fermeture des usines Lu du groupe Danone et des magasins Marks & Spencer. A cette occasion, la revendication de l'interdiction des licenciements, défendue à l'origine par la seule extrême gauche, s'est imposée beaucoup plus largement. Elle est aujourd'hui reprise par des secteurs importants du mouvement syndical et par des collectifs de travailleurs. La question des retraites pourrait, demain, être l'objet d'une mobilisation-radicalisation analogue.Premièrement, contre les suppressions d'emplois, l'interdiction des licenciements. Deuxièmement, la répartition des richesses avec la question sous-jacente de la propriété privée. Les fortunes ont continué à exploser, en France comme ailleurs. Les PDG des 500 plus grandes entreprises françaises gagnent en moyenne chaque mois l'équivalent d'un SMIC annuel [le SMIC mensuel à plein temps est de 1127 euros]. Pendant ce temps, la pauvreté se maintient. Il y a en France 5 millions de personnes qui sont bénéficiaires des minima sociaux, 4 millions de pauvres. Face à ce creusement des inégalités sociales, nous revendiquons une autre répartition des richesses, avec une augmentation des minima sociaux, l'augmentation des salaires et une refonte du budget afin d'assurer une meilleure réponse aux besoins sociaux, ce qui débouche sur la thématique de la socialisation des grands moyens de production, de distribution et de communication.

Comment se passe la campagne d'Olivier Besancenot?

Nous menons une campagne populaire. Nous avons choisi de présenter un jeune facteur [O. Besancenot a 27 ans], auquel peuvent s'identifier des secteurs importants du salariat des services publics ainsi que des jeunes. Nous l'avons encore vérifié ces dernières semaines à l'occasion des grèves menées par de jeunes salarié·e·s à la Fnac ou chez Macdo, à Paris. En même temps, nous donnons aussi une forte dimension «anti-mondialisation» à cette candidature.

L'écho rencontré jusqu'à maintenant est significatif. Par exemple, hier [21 mars], un meeting avec Olivier Besancenot a réuni 120 personnes à Bayonne [Pays basque français]. D'habitude, on ne réunissait que 60 à 70 personnes dans cette ville. Et c'est partout la même chose. Il y a indiscutablement un intérêt pour l'extrême gauche, encore renforcé par l'effet «Arlette».

Beaucoup de jeunes viennent à ces meetings. Mais aussi des syndicalistes. Ou des gens traditionnellement proches du PCF qui viennent le défendre, ou débattre de sa politique. Il est encore trop tôt pour mesurer la dynamique que peut prendre cette campagne. Mais nous nouons de nombreux contacts. Et une question prend de plus en plus d'importance: si, au soir du 1ertour, le 21 avril, 10% des suffrages, ou davantage, se portent sur des candidats d'extrême gauche, que ferons-nous de ce résultat et de cette nouvelle situation politique?

Extraits de la plate-forme d'Olivier Besancenot: «Nos vies valent plus que leurs profits» sur notre site www.alencontre.org, rubrique News/France.


Principales organisations syndicales

CGT.Confédération générale du travail. Créée en 1895. Bernard Thibault secrétaire général depuis 1999. En 1997, 635 membres dont 492000 actifs. Estimation pour 2000: 700000 adhérents. 33,1% aux élections prud'homales de 1997.

CFDT.Confédération française démocratique du travail. Issue de la CFTC en 1964. Nicole Notat secrétaire générale depuis 1992. Annonce 830600 adhérents en 2000. 25,3% aux élections prud'homales de 1997.

CGT-FO.Confédération générale du travail - Force ouvrière. Fondée en 1947. Marc Blondel, secrétaire général depuis 1992. Annonce pour 2000 1015000 adhérents. 20,5% aux élections prud'homales de 1997.

CFTC.Confédération française des travailleurs chrétiens. Crée en 1919. Jacky Dintingen secrétaire général depuis 2000. Annonce 250000 adhérents en 1998. 7,5% aux élections prud'homales de 1997.

FSU.Fédération syndicale unitaire de l'enseignement, de l'éducation, de la recherche et de la culture, de la formation et de l'insertion. Fondée en 1993. Gérard Aschieri secrétaire général. Annonce 200000 membres.

CFE-CGC.Confédération française de l'encadrement CGC. Fondée en 1944. Jean-Louis Walter secrétaire général. Annonce 196000 membres en 2000, 5,9% aux élections prud'homales de 1997.

SUD. Solidaire, unitaire, démocratique. SUD PTT a est créé en 1988, suite à un processus d'exclusion de militant·e·s de la CFDT-PTT. SUD PTT compte aujourd'hui 15000 membres. En 2000, SUD PTT a recueilli 21% des suffrages aux élections professionnelles à La Poste et 27,5% à France Télécom. Depuis la seconde moitié des années 90, les groupes syndicaux SUD se sont multipliés: SUD-Aérien, SUD-Culture, SUD-Travail, SUD-Education, SUD-Rail, SUD-Energie, SUD-ANPE. Les SUD sont parties prenantes, avec de nombreuses autres organisations syndicales, de l'Union syndicale G10-Solidaires.

 

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